A l’île de La Réunion, la mosquée Al-Madina est considérée comme « la deuxième mosquée de Saint-Denis » (après la mosquée El-Noor). Les hauts-parleurs du minaret lancent l’appel du muezzin, annonçant l’heure de l’Iftar, la rupture du jeûne du mois de ramadan. Les musulmans, que l’on appelle ici les Zarabes (ou Z’arabes), se retrouvent alors pour vivre un moment de convivialité après une journée d’ascèse.
Depuis le début du ramadan, Assani, la trentaine environ, organise quotidiennement la rupture du jeûne dans l’enceinte de la mosquée Al-Madina. « Chaque jour, on prépare le repas pour trois cents personnes, dit-il. Cela fait quatre ans que je fais ça. C’est la mosquée qui offre le repas. Et il y a toujours du monde… Non, il n’y a pas de jour sans affluence » ajoute-t-il.
Ce vendredi, la rupture du jeûne était à 18 heures 23. Mais c’est vers 16 heures que Assani, aidé de Safla, commence la préparation du repas.
Du sirop de rose, ni Shorba ni Harira
« Avant tout, il faut préparer le lait au sirop de rose » nous explique-t-on. Cette boisson dont la recette aurait ses origines en Inde, est une boisson typique du mois de ramadan à Saint-Denis de La Réunion. « Il arrive qu’on en boive en dehors du ramadan, mais c’est rare. Pendant le ramadan, on en boit tous les jours. Parce que c’est bon, c’est sucré. Quand on n’a pas mangé de toute la journée, c’est bien de commencer par ça » explique Assani.
À même le sol, sont installées de longues rangées de nappes en plastique. Une équipe de jeunes prête main forte à Assani et Safla pour mettre cette « table ». Une partie de l’équipe garnit les assiettes et une autre les dispose à intervalles réguliers sur les nappes en plastique.
A deux pas de ces va-et-vient joyeux, une troisième équipe remplit des verres de sirop de rose sous la surveillance d’un patriarche à barbe longue et blanche qui nous confie: « ici, on boit beaucoup de sirop de rose pendant le ramadan. Au ramadan, il faut du Sirop de rose. » La réflexion fait l’unanimité. Les jeunes disposent les verres de sirop autour des assiettes. Ils complètent le tout par de petites bouteilles de jus de mangue et de jus de raisin.
Le sirop de rose fondu dans le lait donne un cocktail qui désaltère en douceur. Il procure une sensation de velouté qui prépare le palais à la suite du repas composée de gâteaux exotiques divers. Le succès du « Badiassa » est indiscutable. Les convives ne s’accordent ni sur sa composition ni sur ses origines (malgaches pour certains, indiennes pour d’autres). Ce gâteau d’épices est plutôt doux au contraire du « gâteau piment » (ou « bonbon piment ») qui est bien réunionnais. Parce qu’il est fourré d’un piment vert, on ne saurait le recommander aux estomacs non initiés. Les habitués l’accompagnent de bonnes gorgées de sirop de rose, histoire d’adoucir ses effets. Gâteaux bananes, gâteaux sauge, gâteaux aubergines… Les mains plongent et ressortent avec une douceur entre les doigts. L’heure n’est pas à la discussion. Mais la tentation est trop grande.
«Connaissez-vous la Shorba ? » Non. Personne n’a idée de ce qu’est une Shorba. S’en suit un silence gêné. Nous tentons de rattraper le coup avec la « Harira? ». Les regards se croisent et les têtes se secouent négativement. « Nous, les Zarabes, nous ne sommes pas des Arabes » explique Fayçoil, la vingtaine environ, étudiant en BTS. « Moi je suis Réunionnais d’origine mahoraise, ajoute-t-il. Mais vous avez aussi des Malgaches, des Indiens, des Chinois, des Créoles… tous musulmans. Ils viennent à la mosquée pour faire la prière. Et nous prions tous en arabe comme tous les musulmans… Le Coran est en arabe.»
Farouq est élève en classe de 3e. Il a quatorze ans et en paraît dix-huit. Le buste droit, la voix posée, il a une excellente expertise de la mosquée et en connaît les recoins et les imams. Il fréquente les lieux depuis son jeune âge et n’éprouve pas le besoin d’apprendre la langue arabe. « A la mosquée, j’ai déjà suivi les cours de l’enseignement de base, explique-t-il. Maintenant je suis des cours pour devenir Hafiz, mais je ne veux pas enseigner l’islam. Je ne veux ni être prédicateur ni imam. J’apprends le Coran pour moi-même parce que j’aime ça… Je veux connaître tout le Livre de Dieu par coeur ». Ensemble, nous calculons qu’il aura atteint son objectif dans deux ans.
La Salat confortablement
L’Iftar est un repas rapide. A peine une dizaine de minutes et les verres sont vides. Les assiettes n’offrent plus que quelques dattes qui n’ont pu trouver acquéreur. Les tablées se lèvent pour se joindre aux rangs dans la grande salle de prières où l’on s’apprête à célébrer l’office du crépuscule. Au passage les fidèles peuvent choisir un bonnet dans un lot disposé à l’entrée de la salle de prière. Adultes et enfants, chacun se couvre la tête et prend place en attendant que commence la célébration.
En habitué des mosquées parisiennes, l’on est frappé par le confort qu’offre cet espace de prières. Il y a un bien-être certain à faire ses ablutions dans un espace conçu et aménagé pour ce rituel. Le ravissement de se prosterner en rythme, naturellement, avec aisance et surtout sans bousculer le voisin de devant ni redouter un coup de boule de derrière. Se tenir à son aise et en paix sans se sentir étouffé ni pris en sandwich par ses voisins latéraux… Bref, dans la mosquée Al-Madina de Saint-Denis de La Réunion, la Salat est un moment de plein recueillement où le fidèle n’est pas préoccupé par la gestion de l’exiguïté de son espace.
L’imam de ce soir, comme celui de la veille, arbore une imposante barbe soigneusement tenue sous un regard d’ange. Sa poignée de mains est douce. Le sourire qui l’accompagne est chaleureux et dégage un parfum d’amitié innocente et fraternelle. C’est un imam non Arabe vêtu à la manière des Arabes du temps du Prophète, avec le turban blanc sur la tête. Quatre tentes blanches dressées dans la salle de prières offrent un prétexte pour une première question. L’imam sourit et esquive: « on va d’abord manger un peu, puis on se donne rendez-vous à 20 heures pour la Salat Tarawih. On pourra parler de ces tentes plus tard. Sache simplement qu’à l’intérieur se trouvent ceux qui font une retraite spirituelle.»
Durant les dix derniers jours du ramadan, l’usage est d’intensifier les exercices spirituels. A la Mecque et à Médine, mais aussi dans beaucoup d’autres régions du monde musulman, des fidèles renoncent à toute activité pour se consacrer exclusivement à des actes d’adoration durant ce dernier tiers du mois de ramadan. Avant la prière du vendredi, l’imam avait souligné les bienfaits de cet exercice spirituel qui est une tradition prophétique. Cet imam parlait une langue française parfaite avec l’accent créole en plus. « Un imam Zarabe » dira-t-on en créole. Mais ce Zarabe parle aussi parfaitement arabe!
Par Ali Berthet, pour Saphirnews