Dans cette deuxième et dernière partie de notre compte-rendu de la conférence de presse du Président Patrice Talon, nous mettons l’accent sur quatre sujets abordés par le dirigeant. Il s’agit de la situation au Niger, l’annonce du retrait de la CEDEAO du Burkina Faso, du Mali et du Niger, la situation au Sénégal, puis au plan national, la question de sa succession en 2026.
Au lendemain du coup d’État du 26 juillet 2023 au Niger, le Bénin n’a pas appliqué les mesures de fermeture des frontières avec son voisin nigérien de gaieté de cœur. Mais, c’est guidé par l’esprit de discipline de groupe que le pays a dû prendre cette décision qui n’est pas sans impact sur ses propres citoyens, a expliqué Patrice Talon aux hommes de médias.
« Que ce soit le Niger, le Burkina Faso ou le Mali, c’est une question qui, personnellement, me peine de plus en plus »
« Que ce soit le Niger, le Burkina Faso ou le Mali, c’est une question qui, personnellement, me peine de plus en plus. Nous sommes dans une communauté ; la plus petite dans la sous-région, c’est l’UEMOA, au-delà, c’est la CEDEAO, l’Union Africaine, et puis nous sommes tous dans les Nations Unies. Et la mission dévolue à ces regroupements de pays, à ces communautés, c’est de veiller à ce qu’il y ait la paix, la liberté, le développement, la démocratie pour les habitants de cette planète, pour le monde », a commencé Patrice Talon sur la question des frontières toujours fermées avec le Niger.
Et le Président béninois de poursuivre : « Il a été dit dans toutes ces institutions notamment la CEDEAO et l’UEMOA que le mode de changement de régime politique, d’acteurs politiques, c’est par le peuple ; c’est le peuple qui choisit. Et toutes les fois qu’il y a forcing, soit par les armes soit par les moyens non armés, mais aussi détestables que les moyens armés, ce que nous appelons les forcings constitutionnels ou institutionnels, il est normal que les communautés disent non, ce n’est pas conforme à ce que nous avons tous convenu de faire ensemble (…) Et on appelle les gens à l’ordre ; au besoin, on met des sanctions pour les contraindre à ne pas persister. C’est ce qui s’est passé au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et au Niger ».
Pour le Président béninois, avec la multiplicité des coups d’État dans la sous-région, la CEDEAO avait intérêt à réagir pour écarter le risque de contagion qui se précisait de plus en plus. C’est la raison pour laquelle, l’organisation a estimé qu’avec le Niger, c’en était trop, a indiqué Patrice Talon. « Des sanctions ont été prononcées contre le Niger ; des sanctions dures qui, en fait, ne sont pas destinées à durer dans le temps ». Mais, face à ces sanctions qui, finalement, s’éternisaient, le Président béninois a proposé qu’un point soit fait pour voir si lesdites mesures ont produit les effets escomptés ou non.
Patrice Talon pour la levée des sanctions vis-à-vis du Niger
Dans sa volonté d’œuvrer pour retour rapide à la normale, Patrice Talon a indiqué avoir personnellement touché les dirigeants nigériens pour leur demander ce qu’ils veulent pour que la CEDEAO les accompagne. Mais, jusque-là, il n’a eu aucune réaction de leur part. « Nous sommes les premiers à vouloir que les sanctions s’arrêtent. Moi, je suis pressé d’enlever les sanctions, pas parce que ça cause des préjudices graves au Bénin, non ; je veux que les Béninois le sachent : ça cause des préjudices au Bénin, c’est sûr. Mais, ça cause plus de préjudices au Niger qu’au Bénin. Nos frères nigériens souffrent plus que nous de ce qui se passe. Et ce sont nos frères et sœurs. Il est temps pour nous de lever ces mesures qui n’étaient pas destinées à durer ».
Pendant que les chefs d’État réfléchissent à une solution pour une sortie de crise, « brutalement, on apprend que les trois pays, Burkina, Mali et Niger, sortent de la CEDEAO. Moi, ça m’a beaucoup peiné », affirme Patrice Talon. Puis, il poursuit : « Après cette décision, j’ai personnellement téléphoné à l’un d’entre » les trois Présidents.
« Je lui ai dit que ce n’est pas bien. Les peuples ne nous ont pas élus pour les diviser (…) Notre rôle, c’est de conduire le destin, pendant un temps ,de la communauté globale, de la CEDEAO, de l’UEMOA. Mais la volonté des peuples, c’est de s’intégrer. Il n’y a pas de conflit entre le peuple du Bénin et le peuple du Niger. Il n’y a pas de conflit entre le peuple du Bénin et le peuple du Burkina ni du Mali (…) La CEDEAO des peuples n’est pas en difficulté. C’est au niveau de la Conférence des chefs d’État, au niveau de la Commission aussi bien de la CEDEAO que de l’UEMOA qu’il y a un problème », tranche le dirigeant béninois.
La décision des trois pays de se retirer de la CEDEAO « est allée trop loin », selon Patrice Talon. Pour lui, les sanctions sont mineures à côté des intérêts des peuples, de la communauté. « Ma position aujourd’hui – et si j’ai l’occasion de l’exprimer au sein de la Conférence des chefs d’État, je le dirais – c’est de tout laisser tomber (…) Pour que cette décision de séparer les peuples n’aille pas plus loin que l’intention ou la déclaration ». Patrice Talon milite donc pour que la CEDEAO accorde aux trois pays ce qu’ils désirent pour sauver l’essentiel.
Au sujet de la situation au Sénégal
Au cours de sa conférence de presse, le Président béninois n’a pas manqué de fustiger ce qui se passe actuellement au Sénégal où Macky Sall s’est octroyé un « mandat cadeau » pendant que lui Patrice Talon se dit prêt à écourter son mandat de deux voire trois mois pour régler un problème du calendrier électoral. Pour lui, il ne fait pas de doute que ce qu’on observe au Sénégal est « regrettable », et « de nature aujourd’hui à nous interpeller sur le rôle des communautés auxquelles nous appartenons ». Poursuivant sa réflexion, le Président béninois s’interroge : « Est-ce que la CEDEAO ou l’UEMOA, cette fois-ci, doit condamner ou non ? Quand on condamne, on dit qu’il ne faut pas condamner. Quand on sanctionne, on dit qu’il ne faut pas sanctionner. Il faut faire quoi ? »
Patrice Talon est allé jusqu’à se demander s’il ne faudra finalement pas que la CEDEAO et l’UEMOA se désengagent complètement des problèmes politiques, de démocratie, de liberté, de droits de l’homme et consorts dans les pays de la Communauté. « Peut-être que nous finirons par en arriver là », a fait observer le Président qui n’écarte pas l’idée de l’organisation d’un référendum pour écouter ses concitoyens sur cette question précise, afin de pouvoir en assurer la défense au sein de la Conférence des chefs d’État si ses compatriotes optaient pour cela.
« Moi, je n’ai besoin de personne pour assurer mes arrières »
Entre autres sujets abordés, il y a eu la question de la succession de Patrice Talon à la tête du Bénin. Depuis quelques mois, en effet, des mouvements se constituent à travers le pays pour porter la candidature de certains proches du chef de l’État dont le second et dernier mandat tire à sa fin. Il y a par exemple son ami personnel Olivier Boko, son ministre des Finances, Romuald Wadagni, et son conseiller spécial, Johannes Dagnon. Pour le Président béninois, l’urgence n’est pas là pour le moment. Il parlera clairement de cette question en son temps.
Néanmoins, il a tenu à apporter une clarification très importante à ses yeux : « Moi, je n’ai besoin de personne pour assurer mes arrières. Je ne veux pas d’un candidat qui me sera loyal. Le candidat, le bon pour nous tous, c’est ce candidat qui va être le meilleur pour le Bénin, qui va être loyal pour le Bénin et non à Patrice Talon ». Et d’ajouter : « Mes arrières, c’est que le Bénin se porte bien, et qu’en tant que citoyen béninois, j’aie le plaisir à constater que mon pays se développe ». Non sans préciser : « Et que si jamais j’ai fait quelque chose ou que les miens ont fait quelque chose dont ils doivent rendre compte, qu’on le fasse. Parce que c’est comme ça qu’on va construire le Bénin ».