Retour diplomatique de Guillaume Soro au Ghana : un signal fort dans la recomposition politique ouest-africaine


Lecture 5 min.
Guillaume Soro
Guillaume Soro

Guillaume Soro s’est rendu au Ghana. Une visite qui tranche avec l’humiliation qu’il a subie dans ce même pays six ans plus tôt. Une preuve qu’entre-temps, les lignes ont bougé.  

Le mardi 8 avril 2025, Guillaume Soro a posé le pied sur le tarmac de l’aéroport international d’Accra dans des conditions qui tranchent radicalement avec le souvenir cuisant de décembre 2019. Six ans plus tôt, son avion, en provenance de Paris, avait été interdit d’atterrissage au Ghana, alors sous la Présidence de Nana Akufo-Addo. Aujourd’hui, accueilli avec tous les honneurs dus à un dignitaire étranger, l’ex-président de l’Assemblée nationale ivoirienne signe son retour dans le jeu diplomatique ouest-africain. Un geste hautement symbolique qui dépasse les convenances protocolaires : il s’agit d’un message politique fort adressé à la sous-région, et à Abidjan en particulier.

Un accueil d’État pour un opposant en exil

L’image est forte. Escorté par des motards de la Présidence jusqu’à une résidence officielle, reçu dans le salon présidentiel de l’aéroport d’Accra, Guillaume Soro a bénéficié d’un protocole habituellement réservé aux chefs d’État. À la manœuvre, Larry Gbevlo-Lartey, représentant spécial du Président John Dramani Mahama pour les relations avec l’Alliance des États du Sahel (AES), acteur discret mais stratégique des nouvelles alliances régionales.

Le message est limpide : le Ghana version Mahama entend redéfinir sa diplomatie, marquée sous la précédente administration par un alignement net sur la position d’Alassane Ouattara. En 2019, les autorités ghanéennes avaient fermé leur espace aérien à l’avion de Guillaume Soro sur pression de la Côte d’Ivoire, renforçant l’isolement de ce dernier. En 2025, elles lui déroulent le tapis rouge. Ce changement de ton n’est pas anodin.

Une recomposition géopolitique régionale en toile de fond

Depuis 2020, la scène politique ouest-africaine est marquée par de profondes mutations : coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso, au Niger, rupture progressive avec la France, retrait de ces pays de la CEDEAO et création de l’AES. Une frange de la jeunesse et des mouvements panafricanistes applaudissent ces basculements. Guillaume Soro, qui a multiplié les déplacements dans les pays de l’AES, semble avoir épousé leur rhétorique souverainiste, voire anticoloniale.

Le Ghana de John Dramani Mahama, bien que toujours membre de la CEDEAO, donne des signes d’ouverture vers une posture plus indépendante vis-à-vis de la ligne traditionnelle des chancelleries d’Afrique de l’Ouest. En accueillant Soro, il montre qu’il ne veut pas se priver de relations avec des figures d’avenir, en marge ou en opposition aux régimes actuels. Il s’agit d’un signal de rupture, voire d’un pari diplomatique sur le temps long.

Un opposant qui rêve de conquérir le pouvoir

Condamné à la perpétuité par contumace en Côte d’Ivoire pour tentative de déstabilisation, Guillaume Soro vit en exil depuis décembre 2019. Pourtant, l’homme n’a jamais cessé de se positionner dans l’arène politique ivoirienne. Son discours de janvier 2025, dans lequel il réaffirmait sa volonté de se présenter à la Présidentielle d’octobre, en dépit de sa situation judiciaire, témoigne d’une résilience politique assumée.

« Je suis plus que jamais déterminé à servir mon pays », déclarait-il à ses militants. Pour lui, le temps de l’exil n’est pas un retrait, mais un temps de préparation. Il a construit, depuis l’étranger, un réseau de soutiens dans la diaspora, noué des liens étroits avec les pouvoirs militaires du Sahel, et travaille aujourd’hui à se repositionner dans le paysage politique ivoirien.

Un retour possible ? Entre volonté populaire et verrou judiciaire

La candidature de Guillaume Soro à la Présidentielle de 2025 se heurte cependant à un obstacle majeur : sa condamnation judiciaire, assortie d’une privation de ses droits civiques. Juridiquement, il est inéligible. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a bien exigé, en 2023, que la Côte d’Ivoire garantisse ses droits politiques. Mais Abidjan a balayé cette décision d’un revers de main, affirmant sa souveraineté judiciaire.

Pour ses partisans, cette condamnation n’est qu’une manœuvre politique. Pour le pouvoir en place, il s’agit d’un impératif de stabilité et de respect des institutions. Le bras de fer judiciaire et politique pourrait bien s’intensifier à l’approche du scrutin. Et l’accueil qui lui a été réservé à Accra pourrait être perçu comme un soutien indirect de certains acteurs régionaux à son retour.

Une opposition éclatée, un pouvoir fragilisé

Le retour sur la scène de Guillaume Soro intervient dans un contexte d’incertitude pour le régime d’Abidjan. Après trois mandats successifs, Alassane Ouattara n’a pas encore clarifié ses intentions pour 2025. L’opposition, quant à elle, reste divisée entre les partisans de Laurent Gbagbo, ceux d’Henri Konan Bédié (décédé en 2023), et les mouvements de la jeunesse urbaine.

Soro, qui fut à la fois proche de Ouattara et artisan de la chute de Gbagbo, reste une figure à part, capable de troubler le jeu des alliances traditionnelles. Sa rhétorique de rupture, son enracinement dans certaines zones du nord, et son image de rebelle converti à la politique institutionnelle en font un acteur difficile à ignorer.

Au total, une visite, un symbole, une stratégie

Le séjour de Guillaume Soro au Ghana dépasse le cadre d’un simple déplacement. Il s’agit d’un acte politique et diplomatique réfléchi, qui s’inscrit dans une stratégie plus large de réintégration dans le jeu régional. Accueilli avec faste par un pays-clé de la CEDEAO, il réaffirme son ambition présidentielle, alors même que son éligibilité reste incertaine.

Pour la Côte d’Ivoire, pour la CEDEAO et pour les partenaires internationaux, cette visite sonne comme un rappel : les équilibres traditionnels sont en train de bouger. Et dans cette recomposition, les figures naguère marginalisées pourraient bien retrouver une place centrale.

Avatar photo
Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
Facebook Linkedin
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News