Ceux qu’on jette à la mer ou l’odyssée tragique d’un boat people parti de Chine. Un voyage vu à travers les yeux de ces déracinés, ballottés par un monde hostile, par l’écrivain mauricien Carl de Souza.
« Nous sommes d’irrémédiables déracinés, d’éternels réfugiés, la mer nous refoule, la terre ne sait pas nous retenir, nous sommes pris dans un ressac incessant, violent et silencieux, qui n’en finit pas de voler nos rêves. » Le Ming Sing 23 a quitté Kwan Chou, en Chine. Officiellement, c’est un chalutier. En réalité, il cache dans sa soute quelques 200 passagers clandestins à destination de Haïti. Tian Sen, 20 ans, en fait partie.
Il raconte dans une langue frénétique, qui devient obsessionnelle à mesure que le temps passe, cette traversée infernale. « La façon dont on dispose de notre temps depuis le départ est pour moi la chose la plus dégradante que j’aie subie depuis longtemps. Attendre, toujours attendre, les ordres, la nourriture. Attendre le malheur. » Tian Sen raconte. La promiscuité, le ballottement, l’odeur indélébile des vomissures et de la peur, « passagère clandestine, plus encore que nous », la bouffe infecte, les maladies… Et ceux qu’on jette par-dessus bord pour ne pas contaminer les autres.
Parler aux étoiles
Pour ne pas être gagné par la folie, Tian Sen se réfugie dans la musique, agrippé à son baladeur rouillé, effeuille ses souvenirs et parle aux étoiles. « L’étoile de Hoy est celle qui brille beaucoup et se lève très tôt sur la gauche du bateau (…) Liling, je lui en ai choisi une minuscule, une pâlotte qui a l’air étonnée d’être là. Je l’ai prise un peu isolée, pour la retrouver. J’en ai trouvé aussi pour ma mère et mes soeurs, plus facilement. »
Tian Sen espérait « vite arriver à Haïti, éviter les ennuis, ne parler à personne ». Impossible. Attaqués par les « how tao », les pirates, traqués par les garde-côtes, le Ming Sing 23 entame une errance qui devient critique lorsque les vivres s’amenuisent et que la révolte gronde parmi les passagers contre le capitaine, le contremaître pervers Yap et le cuisinier. Le voyage se termine dans un port mais pas celui escompté. Tian Sen, va être ramené en Chine. A la case départ.
L’écrivain mauricien Carl de Souza signe avec Ceux qu’on jette à la mer, son quatrième roman, une odyssée tragique dont les journaux télévisés nous abreuvent régulièrement. Mais pour une fois, le voyage est vécu de l’intérieur. Un cri pour les exilés et les déracinés, ballottés dans un monde sans pitié.
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