Si les pays occidentaux ont soutenu les révoltes arabes, du moins a posteriori, pourront-ils rendre justice aux pays qui se sont soulevés, surtout que les anciens dictateurs ont détourné pas mal de fonds publics ? Quelle est la capacité des autorités judiciaires occidentales à remédier à cette situation? Au regard de l’issue qui a été réservée pas mal d’affaires similaires dans le passé, la justice réparatrice n’est pas efficace et qu’il faudrait que les pays occidentaux en collaboration avec les pays concernés prennent des mesures préventives allant dans le sens de plus de transparence et de contrôle.
Suite aux révélations sur les avoirs volés de Hosni Moubarak (70 milliards de dollars) et Ben Ali (5milliards de dollars), des autorités gouvernementales et judiciaires occidentales, notamment, vont devoir réagir dès lors que la question de restitution leur sera posée. C’est une politique de remédiation qui, jusqu’ici, reste très en dessous des attentes au regard de la suite réservée dans le passé aux affaires du même acabit. Il serait inexact de ne pas reconnaître que la grammaire des réformes du système financier international ne cesse de grossir pour faire face aux phénomènes de blanchiment, d’évasion fiscale et de recel des deniers publics détournés. Mais quel que soit le sens de la réflexion à ce sujet, il s’ensuit qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire pour transformer ce système qui fait rituellement recours à la justice réparatrice, au demeurant, injuste et inefficace pour ce volet précis.
Déni de justice réparatrice
Les échanges des informations fiscales, judiciaires et bancaires se font généralement entre pays riches et développés. Leur manque de coopération « étendue », en la matière, avec les pays africains constitue une violation de l’article 51 de la Convention des Nations Unies contre la Corruption (CNUCC-2005). Celle-ci regroupe le nombre le plus important des Etats-parties (147) et affirme clairement le principe de justice réparatrice. Ce principe exprimé dans le Chapitre V : « la restitution d’avoirs », se traduit par une focalisation sur le préjudice en essayant de le réparer ou de restaurer l’équilibre rompu entre les différentes parties. L’Art. 51 Al. 1, stipule : « la restitution d’avoirs en application du présent chapitre est un principe fondamental de la présente convention et les Etats parties s’accordent mutuellement la coopération et l’assistance la plus étendue à cet égard. » Ceci sera réaffirmé dans l’Initiative pour la restitution des avoirs volés (StAR). Malheureusement on ne peut pas compter sur un système financier mondial encore très opaque, imbu de règles inéquitables qui étranglent les pays africains, pour rendre justice comme équité aux peuples africains.
Le cadre de libéralisation des finances internationales encore lézardé de rouages de blanchiment et d’une prédominance des accords bilatéraux sur les accords multilatéraux n’est pas propice à cette justice réparatrice. Les Etats africains sont encore instables, vulnérables et dénués d’expertise pointue et ne sont par conséquent pas à la hauteur des tracasseries judiciaires parfois savamment orchestrées pour faire échouer ou décourager les gouvernements qui initient cette démarche de restitution (affaire RDC contre Suisse, par exemple). Mais l’abandon de la procédure de restitution peut aussi être lié à une grande politisation de la question dans le pays d’origine où les autorités locales privilégient la paix contre la justice interne.
Le déni de justice représente ici une double peine : il participe davantage à la dégradation des conditions de vie des victimes. Ces dernières ont déjà souffert de l’impact des avoirs détournés sur leurs droits socio-économiques voire politiques. Voilà que certaines conséquences restent irrémédiables comme les millions de décès, les traumatismes socio-politiques, les dégradations environnementales. Quel sentiment d’injustice internationale de savoir que les avoirs volés des « pauvres », aux droits fondamentaux bafoués, alimentent le marché financier dans et en faveur des pays riches ?
Justice inefficace
Si tant est que l’efficacité ait trait au résultat, son inefficacité se dévoile ici, au regard des sommes finalement restituées aux victimes. Elles sont insignifiantes et moins réinsérées dans les programmes socio-économiques de développement.
Cette pratique de remédiation reflète une certaine complaisance des organisations internationales financières et économiques, un laxisme dans l’application des réglementations en vigueur par certains pays riches qui profitent de cette « économie de blanchiment, d’évasion fiscale et de deniers publics détournés ». Quels résultats concrets escomptés sont issus de la coopération juridique mutuelle entre l’Initiative StAR et les 23 pays victimes qui ont sollicité son appui depuis 2006 ? Quels résultats pour les gages de bonne volonté affichés au G20 de Londres (2009) ?
Il a fallu, notamment au Nigéria, 5 ans pour rapatrier 505 millions de $ US sur les 3 à 5 milliards attribués à Sani Abacha ( 1993-1998) et ses proches en Occident. La dernière plainte de l’ex-Zaïre a été rejetée le 21 avril 2009 par les autorités helvétiques pour prescription des faits. Sur les 20 à 40 milliards de dollars d’aide détournés annuellement dans les pays bénéficiaires (d’aide), seuls 5 milliards ont été restitués ces seize dernières années. Et environ 150 milliards $ continuent à partir sans retour de l’Afrique chaque année (CNUCED). Pourtant la Suisse se targue d’être la seule place financière à avoir restitué, en quinze ans 1,3 milliards d’euros à toutes les victimes.
Face aux rapports de puissance sans cesse croissants dans le système financier international encore éthiquement asséché, cette justice réparatrice n’est pas à la portée des plus faibles. Au-delà de toute chose une prévention plus grande, au travers d’une application rigoureuse des différentes conventions en matière de corruption internationale et blanchiment, leur rendra un véritable service. Les centres financiers offshore et onshore doivent promouvoir plus de transparence et d’application de lois antiblanchiment. Les pays hôtes comme ceux d’origine des firmes multinationales doivent légiférer sur le droit (de l’information) des « citoyens de savoir » sur les termes de contrats passés avec les gouvernements étrangers et la nécessité à publier ce qu’elles leur paient. Dans la foulée de transformation sociale dans les pays africains il est extrêmement urgent de généraliser la pratique des lois sur les conflits d’intérêts, la déclaration des biens pour certaines personnalités politico-économiques avant et après toute prise de fonction.
Par Noumbissié Tchamo