Répression débridée des médias en Tunisie


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Agréés ou, au contraire, non agréés par le pouvoir ? Pour les médias de Tunisie, la réponse à cette question devient de plus en plus lourde de conséquences. Entrés en grève fin janvier, les personnels, à maints égards précaires, de la radio-télévision d’Etat ont ainsi vu leurs réclamations assez promptement satisfaites par le gouvernement. Hausse de salaires auparavant dérisoires pour les uns et intégration au régime statutaire pour les autres ont été ordonnés par le président Zine El Abidine Ben Ali en personne. Dans ce cas, le ton des autorités est des plus conciliants. Diamétralement à l’opposé, le traitement réservé par les mêmes autorités aux médias situés en dehors de la ligne gouvernementale tourne en revanche à l’affrontement, de plus en plus brutal d’ailleurs.

Par Wicem Souissi

A l’instar des hebdomadaires Mouwatinoun (citoyens) et Al Mawkif (le point de vue), la presse de l’opposition légale est en proie aux pires tracasseries : privations de publicité, distributions entravées, procès devant des juridictions à l’indépendance d’ailleurs décriée. A présent, dans des conditions de black-out décrété sur l’information au sujet des mouvements protestataires, entamés voilà un an et durement réprimés, du bassin minier de Gafsa, l’organe du mouvement Ettajdid (ex-PC tunisien, légal) a été saisi, le 31 janvier. Sa publication de «l’interrogatoire d’un des prévenus» au procès des contestataires de «l’iniquité» dans cette région de production de phosphate est jugée répréhensible. En l’occurrence, selon l’AFP, le chef d’inculpation retenu de «substitution (du rédacteur de l’article) à l’autorité (du juge)» fait même encourir à l’auteur du «crime» jusqu’à la réclusion à vie…

Mais c’est le sort réservé, au même moment, à la toute récente radio privée Kalima (parole) qui illustre davantage encore le tour pris par un autoritarisme coutumier en Tunisie. Le journal en ligne éponyme, Kalima Tunisie, lui-même interdit d’accès en Tunisie, passe déjà, depuis le mois de janvier, sous les fourches caudines d’un blocus policier pour le moins musclé à l’encontre de ses journalistes, mais aussi de tout visiteur de son siège social de Tunis. A peine nées, ses émissions radiophoniques ont été, fin janvier, l’objet d’une interdiction. Un juge d’instruction a fait saisir son matériel, et ordonné sa réduction au silence, le tout sous couvert d’une absence d’autorisation d’émettre. Grâce à l’aide financière du Doha Center for Media Freedom, basé au Qatar, cette radio à fréquence satellitaire «émet à partir de l’Europe», font de leur côté valoir ses responsables. Sa rédactrice en chef, Sihem Bensedrine, connue pour son combat en faveur du pluralisme, est, quant à elle, régulièrement la cible de diatribes «patriotiques» par des journaux locaux, pour leur part réputés se faire l’écho de la propagande du régime. En clair, aux yeux de ces derniers, elle serait un suppôt de l’étranger, où tous les gouvernements, notamment occidentaux, sont pourtant complaisants avec le régime. Que «l’espace des libertés progresse en Tunisie», selon la formule de Nicolas Sarkozy du printemps 2008 en est au demeurant une illustration devenue célèbre.

Des journalistes continuent d’informer, à leurs risques et périls

Rien là que de très tragiquement banal, si ce n’est que la répression de la liberté de la presse s’accompagne d’un harcèlement singulièrement disproportionné des «fauteurs de trouble» : les journalistes dans le collimateur sont soumis, jusqu’à proximité de leur domicile, à des pressions, physiques et verbales, de forces de l’ordre en nombre, en effet, impressionnant. Une dizaine d’agents pour une seule personne, comme le dénonce ces jours-ci Zakia Dhifaoui de la radio Kalima, et qui avait été l’an dernier, en raison de sa présence sur place lors des manifestations de Gafsa, condamnée à la réclusion criminelle durant plusieurs mois. Une condamnation qui a valeur d’épée de Damoclès. Son confrère de la télévision par satellite Al Hiwar, Fahem Boukadous, qui avait «couvert» cette zone du sud-ouest où s’était déployée l’armée, est, lui, entré dans la clandestinité. Jugé par contumace le 4 février, il devra faire face au prononcé de six années d’emprisonnement.

En parallèle de l’envergure des déploiements policiers et de la lourdeur des peines de prison, une autre nouveauté s’inscrit cependant dans l’actualité des médias tunisiens. Alors que l’ancienne Association des journalistes tunisiens (AJT) semblait s’accommoder des mesures répressives à l’encontre de la profession en général, son successeur, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), centrale unique de représentation syndicale, prend en revanche position pour les journalistes réprimés.

Difficile de dire si ces syndicalistes seront entendus ou à leur tour réprimés. Toujours est-il qu’à l’étranger, Reporters sans frontières, qui a publié le 11 janvier un rapport d’enquête intitulé «Tunisie, le courage d’informer» cite en la matière une «menace à peine voilée» proférée par le président tunisien lors du vingt-et-unième anniversaire de l’éviction de Habib Bourguiba, le 7 novembre 1987. La citation présidentielle donne un éclairage de l’estime dont jouissent les professionnels irrespectueux de «l’éthique» auprès de Ben Ali. «Nous avons, affirmait-il, constamment œuvré à promouvoir les libertés publiques et, en premier lieu, la liberté d’expression (…) en comptant sur la prise de conscience des gens de la profession, sur leur attachement à la liberté de l’information autant qu’à ses règles d’éthique.» Et de préciser qu’«il s’agit de règles qui sont, pour nous, des garanties de la liberté, et des attributs du comportement démocratique auquel certains viennent, parfois, à faillir, tout particulièrement parmi les intrus à la profession et les professionnels de la désinformation, en diffusant des allégations mensongères et en portant atteinte aux intérêts supérieurs du pays.»

Que la presse soit favorablement accueillie par le pouvoir, ou, au contraire, mise au ban, la ligne de démarcation des médias est ainsi clairement tracée au sommet de l’Etat. A l’aune de la répression de sa, en effet « courageuse », transgression, ses conséquences le sont aussi. La vitalité d’information quotidienne dont témoigne par exemple le site Kalima Tunisie illustre néanmoins la détermination de ses journalistes à exercer leur métier.

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