La rencontre tant attendue entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara a eu lieu ce mardi, à la satisfaction générale des Ivoiriens très admiratifs de l’ambiance détendue qui a prévalu, hier, au palais présidentiel d’Abidjan. Une étape fondamentale a été franchie dans la marche vers la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, cela est vrai. Mais après l’euphorie, il faut se poser les bonnes questions sur la suite du processus.
Mardi 27 juillet 2021 ! Cette date sera certainement inscrite dans les annales politiques de la Côte d’ivoire. Tellement elle a marqué les esprits ! En effet ce mardi, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo ont offert aux Ivoiriens, aux Africains et au-delà, au monde entier, un spectacle extraordinaire. Les deux frères ennemis ont partagé accolade, larges sourires et chaudes poignées de mains. Ils se sont tenus par la main et ont parlé d’une même voix.
Comment tu vas Laurent ? Content de te voir ». C’est par ces mots que le Président ivoirien a accueilli son prédécesseur sur le perron du palais présidentiel, à sa descente du véhicule à bord duquel il avait pris siège. Après leur tête-à-tête qui a duré une trentaine de minutes, les deux hommes ont salué une rencontre « fraternelle » et « détendue » devant la presse. Les Ivoiriens n’attendaient pas mieux. Cette rencontre constitue une étape essentielle dans le processus de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire.
Rencontre Gbagbo – Ouattara, oui. Et après ?
Au-delà de l’acte symbolique posé hier, il est important de se questionner sur la suite des événements. Vu les profondes divergences qui les opposent, on peut se demander si les larges sourires, la complicité affichée devant les caméras par les deux ex-rivaux étaient sincères. D’autant plus que depuis son retour en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo n’a pas fait de cadeau à Alassane Ouattara, dans ses interventions. Il y a moins d’un mois, à Daoukro, chez Henri Konan Bédié, il n’a pas hésité à s’en prendre au troisième mandat d’Alassane Ouattara.
« Si on ne veut pas que le pays brûle, on doit respecter ce qui est écrit », avait-il déclaré, avant d’ajouter : « on peut décider que nous n’avons aucune Constitution et vivre comme ça. Mais si nous avons une Constitution, il faut se battre pour être du côté de la Constitution. Respecter les textes, respecter les êtres humains ». Avant Daoukro, Laurent Gbagbo avait déjà lancé quelques piques à Alassane Ouattara, dans son village, à Mama. « Il fallait écarter un concurrent gênant et on m’a transféré à La Haye », avait-il déclaré.
Il y a quelques jours encore, les camps Ouattara et Gbagbo ont échangé des insanités. Mais il est vrai qu’à Mama, Laurent Gbagbo avait également mis l’accent sur un élément essentiel en démocratie : « Si on doit être toujours d’accord, il n’y a plus de démocratie. C’est parce qu’on n’est pas d’accord qu’il y a démocratie. Là, on organise des discussions ». Dans tous les cas, la très bonne ambiance qui a prévalu hier au palais présidentiel d’Abidjan, si elle était souhaitée et est d’ailleurs saluée, ne devrait tout de même pas endormir les Ivoiriens.
D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, leurs réactions vont dans tous les sens. Pendant que Ousmane Adell Diakité s’extasie à l’instar de beaucoup d’autres Ivoiriens, Touré Siaka Moustapha tempère. Le premier écrit, en effet : « Toutes mes vives félicitations aux Présidents et grand merci au Président ADO pour sa grandeur d’esprit de voir une Côte d’Ivoire unie et réconciliée en elle-même. C’est un signal fort à l’endroit de tous les hommes d’État et les leaders d’opinion d’aplanir leurs divergences pour le bonheur de leur population ».
Et le second réagit : « Espérons que Ouattara est sincère. À mon avis, une rencontre de ce genre ne répond pas forcément au problème qui freine la réconciliation nationale, sinon pendant la désobéissance civile, le même Ouattara a eu une rencontre avec le Président Bédié, mais cela n’a absolument rien donné. La bonne foi de l’homme doit être mis en cause, moi personnellement je ne crois pas à ce monsieur tant qu’il n’ouvre pas réellement la voix de discussion avec tous les acteurs politiques ivoiriens sans distinction ».
La suite des événements permettra de se faire une idée précise de la sincérité ou non des deux hommes. Par exemple, Alassane Ouattara est attendu sur la question de la libération des partisans de Laurent Gbagbo arrêtés pendant la crise post-électorale de 2010-2011 et qui sont toujours derrière les barreaux. Le Président ivoirien est-il prêt à satisfaire cette requête de son prédécesseur ? Va-t-il permettre la libération des prisonniers comme il a permis ces dernières semaines, le retour au pays de plusieurs exilés politiques ? Attendons de voir.
Des rencontres sont annoncées, après août, entre les deux Présidents, avec l’association d’autres acteurs politiques ivoiriens au moment opportun, puisque comme l’a souligné Alassane Ouattara lui-même, « c’est important de rétablir la confiance et de faire en sorte que les Ivoiriens se réconcilient ».
Les deux hommes, et particulièrement Alassane Ouattara qui préside aux destinées de la Côte d’Ivoire, sont attendus sur ce terrain du rétablissement de la confiance qui est indispensable pour la réconciliation. Et qui dit rétablissement de la confiance dit forcément dialogue inclusif.