Le Président tchadien Idriss Déby Itno a accueilli dimanche 4 novembre 2007 à 14h00 à l’aéroport de N’Djamena le Président français Nicolas Sarkozy pour une visite-éclair de deux heures, afin de s’entretenir avec lui des derniers développements de « l’Affaire Arche de Zoé ».
Le déplacement express du Président français Nicolas Sarkozy témoigne de l’importance exceptionnelle qu’il accorde à l’affaire « Arche de Zoé« , craignant que les agissements de cette ONG n’entâchent gravement l’image de la France au Tchad et plus largement en Afrique.
L’objet précis du déplacement du Président français n’a pas été entièrement dévoilé à la presse par son porte-parole, David Martinon, qui a évoqué « la protection consulaire » des ressortissants français et « la coopération judiciaire » entre la France et le Tchad « dans le cadre des instructions ouvertes dans les deux pays« . Il semble qu’Idriss Déby Itno ait souhaité cette visite de son homologue français afin de clarifier la situation des 17 Européens pour l’heure impliqués dans l’Affaire « Arche de Zoé« …
Le Président français n’a de son côté accepté ce déplacement-éclair qu’à la condition de pouvoir le conclure de manière concrète en ramenant avec lui en Europe les inculpés que les premiers éléments de l’enquête ont permis au juge tchadien de mettre hors de cause.
Clarifier la situation des 17 inculpés européens.
Parmi les 21 personnes qui ont été placées sous mandat de dépôt et incarcérées successivement à Abéché et à N’Djamena, on dénombre en effet 17 Européens et 4 Tchadiens seulement. Parmi eux, 3 journalistes, 6 bénévoles français de l’association Arche de Zoé, 7 membres espagnols de l’équipage de l’avion qui devait enlever les enfants vers la France, et un belge, le pilote de l’avion de l’association, qui effectuait les trajets entre Adré, où les enfants étaient « trouvés », et Abéché, où ils étaient regroupés et soignés dans le camp organisé par l’association Arche de Zoé.
Le cas des 3 journalistes
Les 3 journalistes incarcérés avec les membres de l’association Arche de Zoé sont Marc Garmirian (de l’Agence CAPA), Jean-Daniel Guillou (de l’Agence Synchro X) et Marie-Agnès Peleran (de la chaîne publique française France 3). Le témoignage du Président de l’Association Arche de Zoé, Eric Breteau, entendu comme eux dès samedi 3 novembre par le juge d’instruction tchadien chargé de l’enquête, a permis de les mettre hors de cause.
Par ailleurs, de nombreuses associations de journalistes, dans le monde, parmi lesquelles Reporters sans Frontières et l’Union de la Presse Francophone, présidée par Hervé Bourges, étaient intervenues auprès des autorités tchadiennes pour que leur sort soit séparé de celui des autres inculpés, dans la mesure où ils s’étaient trouvés là pour couvrir l’opération qui leur avait été présentée comme une opération « humanitaire », et non pour y prêter main-forte. Ils furent ainsi pris dans la situation complexe des journalistes appelés à couvrir des événements, mais dont la présence peut être utilisée comme caution. En aucun cas leur vocation de « témoin » n’en fait des complices!
L’avion de Nicolas Sarkozy ramène donc à Paris « en priorité » les 3 journalistes remis en liberté dès le début de l’après-midi. Il devrait faire escale à Madrid pour y déposer également les 4 hôtesses de l’air espagnoles libérées en même temps qu’eux.
Le cas des hôtesses de l’air espagnoles
De même les 4 hôtesses de l’air de l’avion qui devait enlever les 103 enfants sélectionnés par l’Association Arche de Zoé ont rapidement pu être mises hors de cause par le Juge d’instruction tchadien, qui leur a fait bénéficier d’une levée du mandat de dépôt aux termes duquel elles avaient été incarcérées avec l’ensemble des prévenus.
Elles n’avaient en effet pas d’autre culpabilité que de s’être trouvées engagées pour composer l’équipage d’un avion parti pour Abéché afin d’effectuer une mission « humanitaire » (sic) sur laquelle elles n’avaient aucune information. Impossible d’imaginer qu’elles aient pu en être complices, a fortiori coupables.
Les autres ressortissants européens
Nicolas Sarkozy a également évoqué avec Idriss Déby le cas des autres Européens inculpés : à commencer par celui des 6 Français, bénévoles de l’Association Arche de Zoé, dont il a dit avec clarté qu’en vertu des accords de coopération judiciaire qui existent entre le Tchad et la France depuis 1976, ils peuvent aussi bien « être jugés au Tchad qu’en France« . Le Président français, pour sa part, souhaiterait qu’ils le soient en France, mais « fait toute confiance » à la justice tchadienne également. Aucun commentaire n’a été fait sur ce point par la Présidence tchadienne. Au premier rang de ces accusés « bénévoles » impliqués directement dans l’enlèvement des enfants, Eric Breteau, président de l’association Arche de Zoé, et sa compagne Emilie Lelouch, qui s’occupait de l’antenne de l’association à Adré et constituait « le dossier » des enfants recrutés.
Les autres cas méritent également d’être traités : 3 membres de l’équipage espagnols restent incarcérés à N’Djamena, dont le Consul espagnol à N’Djamena a déclaré ce dimanche : « ils sont étrangers aux manigances de « Children Rescue », je suis sûr qu’ils vont être libérés« . Tel n’a pourtant pas encore été le cas, et seules les hôtesses de l’air sont reparties avec Nicolas Sarkozy.
Par ailleurs, un dernier européen est également sous les verrous, le belge Jacques Wilmart, âgé de 75 ans, ancien commandant de bord de Boeing 747 de la Sabena, qui pilotait l’avion de l’association entre Adré et Abéché. Selon le témoignage au quotidien Le Monde d’un médecin urgentiste de l’hôpital d’Argenteuil, le Docteur Dominique Gladin, qui avait été entre le 3 et le 20 octobre à Abéché participer bénévolement à l’accueil des enfants et aux soins qui leur étaient dispensés, la bonne volonté et l’engagement humanitaire de ce vieil aviateur est hors de doute : « Il connaît bien l’Afrique. Il était aux anges. Pour lui, c’était une dernière occasion de se rendre utile en faisant ce qu’il aimait« .
Action humanitaire et engagement des Etats
Ce témoignage, comme celui de plusieurs volontaires mêlés à cette « lamentable équipée« (selon les termes de Nicolas Sarkozy à son départ de N’Djamena) témoigne des errements et des naïvetés de nombreux bénévoles entraînés par les discours humanitaires exagérés de l’Arche de Zoé, ou d’autres organisations…
Jamais jusque là la communauté internationale n’avait mis en oeuvre un tel dispositif d’assistance pour juguler les conséquences tragiques d’un conflit politique à composante ethnique. Dans les semaines qui viennent, une force d’interposition et de maintien de la paix internationale d’une ampleur sans précédent va trouver sa place entre Tchad et Darfour, avec l’accord, compliqué à obtenir, de Khartoum et de N’Djamena.
Il est impossible et absurde de prétendre aujourd’hui que les efforts de la communauté internationale, pour venir en aide au Darfour et éviter qu’un « génocide » y soit commis, ne seront pas couronnés de succès. C’est même la première fois qu’une telle intervention semble avoir quelques chances de réussir.
Il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt, et que l’engagement intempestif des bénévoles de l’Arche de Zoé, qui se termine par une débandade un peu ridicule, mais sans trop de dommages pour les enfants concernés, dissimule l’enjeu international des prochains mois : prouver que l’intervention conjointe de l’UA et de l’ONU peut mettre un terme aux drames vécus par les populations du Darfour, région soudanaise frontalière de l’Est du Tchad. Car c’est bien là l’essentiel : faire en sorte que pas une « bonne âme » au monde ne rêve plus « d’évacuer » les enfants du Darfour… En y ramenant la paix!
Lire aussi :
Le point de vue d’Amélie James Koh Bela
Les enfants enlevés, victimes impuissantes
L’affaire Arche de Zoé, une partie de poker menteur?
La part d’ombre de l’affaire Arche de Zoé
L’affaire Arche de Zoé, un sac de noeuds politico-humanitaire
Lire cet article en anglais