Un entretien avec la grande chanteuse traditionnelle Nahawa Doumbia, dont le dernier disque, Yaala, a séduit et touché la rédaction d’Afrik.com.
C’est en toute simplicité que la chanteuse Nahawa Doumbia, l’une des grandes dames du Mali, a bien voulu recevoir afrik.com, dans le petit hôtel où elle était descendue à l’occasion de sa présence parisienne. Accompagnée par son guitariste et directeur artistique, Ngou Bagayoko, Nahawa Doumbia s’est prêtée cordialement au jeu des questions-réponses. Interrogée sur sa carrière et sa musique, elle découvre cette authenticité qui fait toute l’âme et la force de son oeuvre – et notamment de Yaala, son dernier disque.
Afrik : Nahawa Doumbia, quel a été votre parcours musical ?
Nahawa Doumbia : Je chante depuis l’âge de 12 ans. Tous les deux ans à partir de 1970, le gouvernement organisait à Bamako des biennales culturelles. Ces rencontres regroupaient de jeunes troupes artistiques venues des différentes régions du pays. La troupe de chant où j’étais moi-même soliste a été lauréate de la dernière édition en 1980. A cette occasion, j’ai été remarquée par des responsables de Radio Mali. Ils m’ont proposée comme candidate pour le premier concours découverte RFI. Par bonheur, j’ai remporté le 1ier prix. Ça a été un coup de pouce très important pour ma carrière. Aujourd’hui, je chante au Mali, je suis reconnue en Afrique et je commence à l’être en Europe et ailleurs. Mais bon, moi ce qui m’intéresse avant tout c’est de pouvoir m’exprimer à travers ma musique.
Justement, en parlant de musique, quel est votre démarche musicale ?
On dit de moi au Mali que je pratique une musique en résistance. Avec mon directeur artistique, Ngou Bagayoko, nous avons choisi de garder une authenticité musicale africaine. Nous restons ouverts évidemment à toutes associations musicales avec des artistes étrangers, parce que la musique n’a pas de frontière, mais nous refusons les influences trop marquées. On ne veux pas dénaturer notre musique. Claude Barthélémy qui intervient sur notre dernier album » Yaala « , l’a très bien compris. Il a réussi à se fondre dans notre musique, à l’enrichir sans la trahir.
Votre musique, c’est également des chants et c’est aussi ce qui fait la force de vos productions. De quoi parlez-vous dans vos chansons ?
Je parle avant tout de la société et de ses maux. C’est vrai que par le passé, avec l’ancien système des biennales, on devait obligatoirement, sous la pression de l’Etat, développer des thèmes moraux pour éduquer le peuple. Mais moi, j’ai toujours chanté avec le coeur ce que je ressentais au fond de moi. Je chante la mort parce que je reste très touchée par la disparition de ma mère que je n’ai jamais pu connaître. Je chante l’éducation des jeunes pour que les parents et l’élite prennent conscience qu’il s’agit là de l’avenir de l’Homme et de notre pays. Je chante la critique sociale, parce que beaucoup de gens ont oublié ce que les mots respect de l’autre voulaient dire.
Est-ce qu’on peut vous considérer comme un griot moderne ?
Non, je ne suis pas un griot. Les griots ont à travers de leur chants et leurs musiques une fonction : ils doivent faire les louanges des chefs. Moi je chante ce que je veux, je ne suis pas un instrument de politique social. C’est pour ça qu’on m’aime au Mali, c’est parce que je compose de façon très personnelle sur des thèmes qui touchent tout le monde.
Vos chansons s’adressent-elles uniquement à la société malienne ?
Non, les messages que j’essaie de faire passer peuvent concerner tout le monde, ils ont une valeur universelle. Je ne m’adresse pas seulement aux personnes de mon pays. Les problèmes que j’aborde sont les problèmes de tous que ce soit en Afrique ou ailleurs.
« Yaala » : un album authentique et profond d’une diva du Mali
Le propre des grands artistes n’est-il pas de durer ? Après 4 remarquables productions, force est de constater que Nahawa Doumbia promène toujours la même inspiration. Une inspiration forgée par la vie, où les blessures de l’absence dansent avec une vraie générosité de l’âme. Elle chante la mort pour mieux consacrer la vie, elle chante la vie pour ne pas craindre la mort. Apôtre du respect, du travail et de l’honnêteté, elle nous montre avec simplicité un chemin universel. C’est pour cela peut-être que ses paroles, chantées en bambara, sont aussi traduites à la fois en français et en anglais dans son album. Et ses textes restent aussi authentiques que sa musique, à la fois envoûtante et profonde.
Une musique traditionnelle tintée de subtiles touches du guitariste de jazz Claude Barthélémy qui brillent par leur étonnante discrétion, se fondant à merveille dans un blues africain tantôt mélancolique tantôt plein d’espoir. Chants et musiques se mêlent ensemble dans un tout harmonique indissociable pour former un style, ce style inimitable que Nahawa Doumbia explore avec maestria. Yaala est un album à la forte puissance évocatrice qui respire l’Afrique dans ses moindres notes. Sans se compromettre dans les tendances musicales du moment, cette oeuvre homogène fait avancer de belle façon la musique traditionnelle dans son propre sillon.
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