De passage à Paris, l’écrivain congolais Alain Mabanckou, qui enseigne la littérature africaine aux Etats-Unis, revient sur son dernier livre, African psycho. Il évoque également son pays natal et la littérature africaine en général.
Dans ses livres, Alain Mabanckou l’ironique joue avec les mots et manie l’humour comme un couperet. Mais dans la vie, l’écrivain congolais est un grand gaillard au regard doux. Depuis deux ans, il a quitté Paris pour enseigner la littérature africaine contemporaine à l’université du Michigan, aux Etats-Unis. Il est l’un des rares à enseigner Waberi ou Florent Couao-Zotti à la place des Senghor ou des Mongo Béti. De passage dans la capitale parisienne, il évoque son dernier roman, paru cet été aux éditions du Serpent à Plumes, African psycho.
Afrik : Le titre de votre dernier livre est-il une vraie référence à American psycho de Brett Eston Ellis ?
Alain Mabanckou : C’est un jeu de mots, plus une provocation qu’une vraie référence à cet ouvrage très violent. Dans African psycho, il y a pas d’effusion de sang, seulement quelques scènes de violence qui, à la rigueur, pourraient être interdites aux moins de 12 ans et encore ! Même la scène du viol montre un viol râté… En fait, mon livre est une façon de rire des crimes des serial killers. On nous montre toujours ces derniers avec leurs perfections… pas moi !
Afrik : Justement, qu’est-ce-qui vous a inspiré ce personnage de criminel pitoyable qui n’arrive pas à tuer ?
Alain Mabanckou : C’est l’opposition entre ce personnage, qui est un raté, et son idole, le tueur Angoualima, qui de son vivant réussissait tous ses crimes. Angoualima a véritablement existé. Il a sévi au Zaïre et au Congo dans les années 50-60. Je n’étais pas né mais sa légende m’a été transmise. Les personnes plus âgées nous disaient vraiment que ce tueur avait deux visages ou d’autres choses extraordinaires. Que mon personnage soit un looser permet d’intégrer beaucoup d’humour au récit et attire la sympathie du lecteur. C’est aussi une façon de dénoncer le phénomène des rumeurs qui, en Afrique, prend des proportions exagérées et fait que l’information peut être complètement détournée.
Afrik : L’action de votre roman se passe à Brazzaville, même si vous ne nommez jamais la ville. Le Congo est une source d’inspiration ?
Alain Mabanckou : Je suis de Pointe-Noire et j’ai passé quatre ans à Brazzaville, de 19 à 23 ans. C’est vrai que pour les noms des quartiers que j’utilise dans le livre, je me suis largement inspiré de ceux que je connaissais dans ces deux villes. Par exemple, à Pointe-Noire, il existe un quartier « 300 », c’est le quartier des prostituées et il s’appelle comme ça parce-que la passe est à 300 francs. Les noms des bars sont aussi souvent les mêmes comme « Buvez-ceci-est-mon-sang », des noms déjà propices à une légitimation de l’alcoolisme ! Le Congo est toujours mon point d’inspiration, le pays qui bat dans mon cœur. J’y retourne toujours avec émotion. Plus je m’éloigne de ce pays, plus il se rapproche de moi. Je me tiens au courant de son actualité mais je ne me vois pas y vivre avant la retraite. Je pense que je suis utile à mon pays en travaillant à l’extérieur.
Afrik : Quand avez-vous commencé à écrire ?
Alain Mabanckou : Au lycée. Je suis d’ailleurs venu en France avec des manuscrits de poésie. Comme ma mère me voyait juge, avocat ou médecin, j’ai fait des études de droit pour lui faire plaisir. Ce n’était pas ma voie et la littérature a fini par prendre le dessus. Le Grand prix littéraire de l’Afrique noire que j’ai reçu pour mon premier roman paru en 1998, Bleu- Blanc-Rouge, a été un encouragement. Il m’a permis de m’installer dans le pré carré de la littérature africaine.
Afrik : Que pensez-vous de ce pré carré ?
Alain Mabanckou : C’est un petit territoire qui s’anime de temps à autre. Il est en train de changer, de s’ouvrir au lectorat français, ce qui n’était pas le cas avant. La littérature africaine en langue française commence à s’imposer dans le domaine littéraire français même si certaines maisons d’édition continuent de ghettoïser cette littérature en créant des collections « africaines », ce qui contribue à la marginaliser.
Afrik : Vous avez des projets d’écriture ?
Alain Mabanckou : Je dois publier un recueil de poésie au Canada. Même si j’écris encore beaucoup de poésie, j’en publie peu. Et puis je travaille sur plusieurs projets. Un livre sur la vie du boxeur Mohamed Ali, un autre sur l’histoire d’un alcoolique qui écrit ses mémoires et peut-être une suite de Bleu-Blanc-Rouge qui abordera encore le thème de l’émigration. En tous cas, je n’écrirais pas un African psycho II !
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