Le mapouka : danse pornographique ? Non ! affirme le Dr Albert Pitté, directeur de la compagnie Nigui Saff K Dance à Abidjan, spécialisée dans cette danse 100% ivoirienne. Son but : réhabiliter cette danse traditionnelle, utilisée par certains producteurs dans des clips pornos.
Les « Tueuses du Mapouka ». Ces danseuses aux formes plus que plantureuses détonnent et impressionnent par leur manière de se trémousser sur les pistes de danse d’Abidjan et d’ailleurs. Une gestuelle suggestive qui a été reprise dans nombre de cassettes à caractère plutôt pornographique. La compagnie Nigui Saff K Dance, dirigée par le Dr Albert Pitté, veut rétablir la vérité sur cette chorégraphie déformée.
Car malheureusement, des producteurs de clips vidéo n’hésitent pas à mettre en scène des danseuses très peu vêtues pour promouvoir leur vision du mapouka. Albert Pitté, en partenariat avec le CNAC (Centre national des arts et de la culture), propose une autre version, l’originale cette fois-ci, pour faire redécouvrir cette danse traditionnelle aux mélomanes et au public afin de montrer que le vrai mapouka n’est pas celui que l’on voit dans certains milieux dit « artistiques ». Le producteur souhaite réattribuer son vrai sens rythmique à cette expression corporelle. Interview.
Afrik : Que représente le mapouka pour vous ?
Dr Pitté : Le mapouka fait parti de la culture musicale ivoirienne. Il nous vient de l’ethnie Ahizi et existe depuis longtemps. Il est connu dans le monde entier. Cette danse a d’ailleurs été primée aux Kora (victoires de la musique africaine, ndlr) en 1999 en Afrique du Sud.
Afrik : On a vu sur une chaîne nationale française, dans l’émission « Envoyé Spécial » il y a un an, les Tueuses en pleine représentation. Quelle a été votre réaction ?
Dr Pitté : Ce que l’on a vu sur France 2 était une vision panoramique du mapouka. Lors de ce reportage, l’équipe de télévision a essayé de montrer tous les côtés de la danse mais j’ai trouvé une certaine déformation des choses qui ne reflète pas la réalité. Le reportage la montrait comme une chorégraphie pornographique.
Afrik : Comment ont réagi les Ivoiriens quand sont sortis des cassettes vidéo à caractère pornographique et mettant en scène des danseuses de mapouka?
Dr Pitté : Les gens ont réagi différemment selon qu’ils étaient jeunes ou plus âgés. Les 45 chefs de villages de tous les départements de Jacqueville ont porté plainte contre DC productions (le producteur des cassettes vidéo, ndlr) afin qu’il retire ses cassettes de la vente. Mais la publicité faite autour du mapouka a créé un épiphénomène qui a entraîné des ventes importantes de ces cassettes. Lors de la soirée des Kora, les jeunes étaient réunis à la rue Princesse (principale rue de la capitale Abidjan, ndlr). Quand on a annoncé que notre groupe avait obtenu le prix du meilleur groupe de danse traditionnelle africaine, ils sont allés casser dans les boîtes de nuit en accusant les directions de piller et de dégrader leur culture par l’interprétation qu’ils faisaient du mapouka.
Afrik : Quelle est votre collaboration avec le CNAC ?
Dr Pitté : Nous avons une convention de partenariat au terme duquel le groupe Nigui Saff K Dance et le CNAC, qui regroupe des experts nationaux en théâtre, cinéma et audiovisuel, doivent tourner des films et des clips pour faire la promotion du mapouka originel.
Afrik : Prévoyez-vous des représentations en Côte d’Ivoire et à l’étranger ?
Dr Pitté : Oui. Le groupe se rend dans des chefs-lieu à la rencontre de ses fans et dans toutes les grandes villes du pays. Nous prévoyons aussi de nous rendre aux Caraïbes pour une représentation.
Afrik : Qui sont vos contacts à l’étranger ?
Dr Pitté : Nous travaillons par exemple avec Hugo Zemp qui est chercheur en ethnomusicologie à Paris. Il est venu en Côte d’Ivoire au village Nigui Saff (village Ahizi) pour recueillir nos musiques et nos danses et que celles-ci puissent être enseignées dans des universités européennes et américaines. Nous avons également donné des cours en Hollande et en France car nous souhaitons un développement culturel, scientifique et intégral de notre danse.
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