Régis Hounkpè, analyste en géopolitique et relations internationales, directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, un cabinet-conseil international spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique nous a accordé une interview sur le coup d’État au Niger. Cet enseignant à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et à l’École Nationale Supérieure des Armées du Bénin met en évidence les conséquences diplomatiques de l’intervention militaire que la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) entend mener au Niger. Ci-dessous la substance de notre échange.
Entretien
Comment percevez-vous le récent coup d’État au Niger
Sans aller jusqu’à la sidération, une désagréable surprise toutes les fois qu’un coup de force vient mettre fin à un cheminement politique, quoiqu’imparfait, vers plus de stabilité et de démocratie. C’était le cas du pouvoir de Mohamed Bazoum, élu en 2021, brusquement interrompu par sa garde présidentielle pour ce qu’il convient d’appeler le coup d’État pour convenance personnelle. Le contexte régional sahélien était déjà complexe sur le plan politique, institutionnel et sécuritaire avec des groupes armés terroristes qui profitent de la moindre instabilité, des pouvoirs putschistes au Mali, au Burkina Faso et en Guinée installés pour une durée indéterminée et une communauté régionale qui cherche toujours son but, ses solutions et ses perspectives face à des crises multidimensionnelles et démultipliées à chaque choc.
La CEDEAO menace d’intervenir militairement pour contraindre la junte à renoncer au coup d’État au Niger. Quelle lecture faites-vous de cette démarche ?
Il y a un véritable sujet sur les causes profondes et les conséquences de toutes ces graves instabilités dans la région ouest-africaine qui s’expliquent par la mauvaise négociation des alternances au pouvoir. De ce fait, l’organisation est constamment défiée et sa quête de légitimité et de crédibilité rudement entamée par des pouvoirs autocrates qui tripatouillent leurs arsenaux constitutionnels pour s’éterniser, et souvent par la violence, les arrestations arbitraires et parfois avec son cortège de blessés graves et de morts. Et maintenant, nous assistons presqu’impunément, depuis trois ans, à une frénésie de coups d’État militaires qui sont, de mon point de vue, tout autant condamnables que les coups de force qui maltraitent les institutions et les Constitutions. La CEDEAO n’a pas d’autre choix que de se montrer intransigeante et ferme. Et si elle veut se faire respecter, elle doit en imposer par sa capacité de leadership et de justice. Mais qui sont nos leaders respectés et respectables en zone CEDEAO, diront certains ?
Il y a les partisans du dialogue et de la diplomatie jugée mous et inefficaces et ceux qui pensent qu’une coalition armée pour stopper l’aventure de la junte serait plus rapide et efficace pour réinstaller le Président Bazoum. Dans tous les cas, la CEDEAO et les pays de la région sont face à des choix périlleux. Dans tous les cas, le peuple nigérien sera la terrible victime de cette crise. Et nous devrions y penser, car le risque d’instrumentalisation est aisé pour ceux qui ne veulent pas céder aux diktats de l’organisation.
Quelles peuvent être les conséquences militaires et diplomatiques de la démarche que la CEDEAO entend mener au Niger ?
La menace de stigmatisation et d’isolement diplomatique ne fait visiblement plus céder quand nous analysons la façon dont les putschistes maliens, guinéens et burkinabé se sont servis de leurs coups de force pour alimenter un souverainisme et un panafricanisme de plus en plus croissant chez certaines sociétés civiles et jeunesses en besoin de revendications. Cela permet, ne serait-ce qu’artificiellement, d’accréditer l’idée que ces coups d’État militaires sont salvateurs et plébiscités par le plus grand nombre. C’est un peu plus complexe à l’analyse sociologique du pouvoir des masses en fonction des événements perturbateurs.
Les autorités de la junte nigérienne peuvent compter sur leurs alliés et frères d’armes du Mali, du Burkina, de la Guinée et d’un capital non-négligeable d’affidés hors de leur pays. Mais mesurent-elles, au bout du tunnel, les conséquences sociales et économiques sur le peuple nigérien ? Évidemment, la CEDEAO isolera diplomatiquement le pays et prendra des sanctions économiques à son encontre, mais qui sont celles et ceux qui en souffriront le plus ? Sur le plan sécuritaire, je crains que ce coup de force soit une aubaine pour les groupes armés terroristes qui vont profiter des instabilités et de la concentration des attentions sur Niamey pour pousser leurs pions. Le risque de décrochage sécuritaire est évident.
Quelle lecture faites-vous de la divergence points de vue des membres de la CEDEAO sur une éventuelle intervention militaire au Niger ?
Je comprends aisément qu’il n’y ait pas unanimité sur l’intervention militaire en raison des conséquences et de l’image que cela peut renvoyer des pays initiateurs et de la CEDEAO. Les plus légalistes parmi eux pensent certainement que cela nécessite l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU qu’il ne faut pas espérer en raison des vétos assurés de la Chine et surtout de la Russie. L’Assemblée générale de l’ONU peut prendre une résolution pour faire de l’intervention un processus légal et international mais cela risque d’être long.
Pour les idéalistes, les putschistes finiront par retrouver la raison et céderont le pouvoir au titulaire constitutionnel ; ce que je me permets de prendre modérément après plus d’une semaine de séquestration du Président Bazoum. Et finalement, vous avez les réalistes qui savent parfaitement qu’ils ne sont pas en dehors de toute menace dans leurs propres pays et profitent de cette crise pour verrouiller les appareils sécuritaires chez eux. Aucun pays, du Sahel au Golfe de Guinée, n’est épargné et cela représente pour la CEDEAO un casse-tête aux issues incertaines.
Comment analysez-vous la réaction de la junte nigérienne qui compte riposter contre toute attaque militaire de l’Organisation régionale ?
La junte défie ouvertement la CEDEAO, qui je le rappelle, est pleinement dans son droit et a raison de mettre fin à ces aventures périlleuses de militaires qui prennent le pouvoir par la force. Ce sont les mêmes qui justifient leurs coups d’État par l’absence d’une gouvernance sécuritaire pour lutter contre les terroristes alors qu’au premier chef, ils sont les premiers concernés pour faire de la prévention et de la lutte la raison de leur intégration dans les armées.
Ceci dit et malgré les divergences de fond, les putschistes resteront attentifs aux résolutions du prochain sommet de la CEDEAO, du jeudi 10 août. Ils doivent conserver des relations avec l’organisation en permettant que l’intervention militaire ne soit nullement envisagée. Il faut à tout prix éviter ce scénario de militaires ouest-africains opérant à Niamey et cela dépend grandement des officiers nigériens. Cette éventualité aurait des effets incalculables sécuritaires, économiques et stratégiques sur le Niger, le Sahel et le Golfe de Guinée.
En tant qu’analyste géopolitique, qu’est-ce qui explique la recrudescence des coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest ?
En moins de trois ans, nous avons eu plusieurs coups d’États, des tentatives et ceux qui ont été tués dans l’œuf dans la conception et que nous ignorons. Le Mali en a connu deux, en août 2020 et mai 2021, la Guinée en septembre 2021, le Burkina Faso en janvier et en septembre de la même année, 2022. Le Niger vient de connaître le sien en août 2023. Un coup d’État militaire restera toujours un recul notoire, surtout dans les pays fragiles, qui essaient de remonter la pente, comme le Niger. Je sais qu’il n’est pas très populaire de le dire actuellement, mais je réprouve totalement les coups d’État militaire et je ne justifie, ni n’explique ces aventures solitaires et personnelles qui ne viennent ni rectifier des parcours civils chaotiques, ni redresser des pays sur le plan sécuritaire et économique. Je ne le souhaite même pas aux ploutocrates et gérontocrates d’Afrique centrale dont on parle assez peu qui sont au pouvoir depuis plus de trois ou quatre décennies et qui affament leurs pays malgré leurs richesses incommensurables et ressources économiques.
Ce regain s’expliquerait facilement, pour certains, par la faiblesse administrative et la démission des Etats, les crises économiques, les détournements de deniers publics, la démission et la complicité des élites. Ces arguments, qu’ils soient factuels ou conjoncturels, ne résistent pas à l’idée même que la construction démocratique ne s’accommode pas de prétextes périphériques mais se mature dans l’admission par tous de la gouvernance. C’est le lieu de définir les champs d’expression des uns et des autres dans la gouvernance et dans l’Etat de droit : le militaire colonisant un espace politique qui n’est pas le sien. Cette intrusion a suffisamment démontré qu’elle est contre-productive ; le bilan des juntes à l’œuvre en Afrique de l’Ouest se fait toujours attendre.
Plus que jamais, avec force et lucidité, sans émotion et froidement, admettons, une fois pour toutes, cette préoccupation : quel modèle d’armée souhaitons-nous dans une Afrique aux prises avec tous les chocs géopolitiques du monde ? Assurément, des armées professionnelles, investies dans le champ social et républicain, engagées pour la gouvernance, auprès des acteurs et décideurs politiques.