Les femmes d’Afrique du Nord ont fait d’immenses progrès pour ce qui est de promouvoir et de faire respecter leurs droits. Les Maghrébines viennent en tête en matière de droits individuels et d’égalité des sexes et servent de modèle pour les autres femmes du monde arabe. On peut tirer un certain nombre de leçons de leur expérience plutôt encourageante, surtout du côté du Maroc et de la Tunisie.
Au Maroc, l’accès à la justice a été largement facilité par les nouveaux tribunaux des affaires familiales comme l’exige le code de la famille de 2004. Lorsqu’une femme se marie, elle demeure désormais propriétaire de ses biens, grâce à l’article 49 du code, qui permet d’établir un contrat séparé du contrat de mariage en ce qui concerne les biens. Cet article est conforme à la loi islamique selon laquelle la femme peut demeurer l’unique propriétaire de ses biens et n’a aucune obligation légale de partager ceux-ci avec son époux.
Par ailleurs, les mères de famille marocaines ou tunisiennes, mariées à des étrangers, peuvent désormais transmettre leur nationalité à leurs enfants – privilège réservé jusque-là aux hommes.
Les pays du Maghreb ont fait un énorme pas en avant dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Pratiquement tous les pays arabes ont signé la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, – la plus importante qui soit dans ce domaine, sur le plan international – en émettant toutefois des réserves pour certains articles non conformes à l’interprétation littérale de la loi islamique. Or le Maroc vient d’accepter les termes de la convention dans son intégralité.
Au Maghreb, les femmes sont également plus visibles qu’auparavant dans les sphères économiques et académiques. L’alphabétisation des jeunes filles devient peu à peu une réalité dans l’ensemble du pays et les femmes exigent des opportunités de formation égales et accessibles. Elles sont aussi souvent les fers de lance de nouvelles entreprises commerciales, choisissent de plus en plus librement leur profession et se sentent davantage en sécurité sur leur lieu de travail, grâce aux lois qui combattent le harcèlement sexuel. Enfin, elles ont aussi un meilleur accès aux cliniques et ont acquis plus d’indépendance quant à la décision d’avoir un enfant.
Le taux de fertilité a considérablement baissé dans la région : si dans les années 1970, la moyenne était de six enfants ou plus par femme, aujourd’hui elle est tombée à environ 2 dans le cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie, selon le Journal of African and Asian Studies. Cette baisse est impressionnante : le Maghreb a accompli en 25 ans ce que la France a mis pratiquement 200 ans à obtenir.
Les femmes du Maghreb ont aussi progressé en ce qui concerne l’exercice de leurs droits politiques et civiques : elles sont de plus en plus nombreuses au parlement (43 en Tunisie, 34 au Maroc et 30 en Algérie) ainsi que dans les municipalités (pas moins de 3406 au Maroc).
Les organisations non-gouvernementales ont joué un rôle essentiel dans la mise en avant des droits de la femme dans la région. Le jeu des réseaux entre associations nationales et locales permet aux militantes de disséminer l’information et de rassembler des groupes divers qui œuvrent pour la promotion d’une nouvelle législation ou de nouvelles initiatives en faveur des femmes.
Les réseaux de soutien, tels qu’Anaruz – réseau marocain qui regroupe des associations de femmes – gagnent du terrain malgré les règles conservatrices de la société. Grâce aux organisations de droits de la femme ainsi qu’aux militants individuels, le gouvernement a amélioré les droits de toutes les femmes. Les autorités marocaines voient ces améliorations comme un moyen de faire progresser la société dans son ensemble.
Autre leçon à tirer des expériences marocaines et tunisiennes : l’importance de la place accordée aux études sur l’égalité des sexes et sur la condition de la femme dans certaines universités. Ces programmes universitaires ont énormément contribué au changement des perceptions sociales, des comportements et des structures qui constituent un obstacle à l’égalité des sexes.
Une des principales raisons pour laquelle, dans le reste du monde arabe, les droits de la femme évoluent très lentement est cette crainte injustifiée chez les conservateurs selon laquelle donner l’égalité complète aux femmes signifierait une imposition des valeurs occidentales et une déviation par rapport aux règles islamiques. Les partisans des droits de la femme au Maghreb ont quant à eux déployé de grands efforts dans leurs raisonnements et dans leurs actes pour montrer que c’est le système patriarcal et les normes sociales qui sont en cause et non l’islam.
Les droits de la femme sont en effet compatibles à la fois avec l’esprit de l’islam et avec les idéaux universels. La jurisprudence islamique a une tradition d’ijtihad – interprétation indépendante et contextuelle du Coran et des hadithou paroles du Prophète Mahomet – qui permet que la prise en considération de la culture soit une notion changeante.
Les pays du Maghreb s’efforcent de réinterpréter l’islam dans les contextes sociaux modernes en révisant leur code de la famille, qui garantit les droits de la femme sans compromettre les valeurs islamiques. Tradition et modernité ne sont pas considérées comme incompatibles. L’avenir des droits de la femme dans le Maghreb dépend en grande partie à la fois du travail des militants de la société civile et d’une réforme continuelle de la législation islamique fondée sur les droits humains universels.
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* Fatima Sadiqi (www.fatimasadiqi.on.ma) est professeur de linguistique et de « gender studies » ou « études de genre », ainsi qu’experte de l’ONU sur les questions d’égalité des sexes. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).
Source: Service de Presse de Common Ground (CGNews), 13 novembre, www.commongroundnews.org
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