Le Père Benoît Kouassy, originaire de Côte d’Ivoire, s’occupe du service de la communication du Sanctuaire de Lourdes. Sa mission consiste à diffuser le message de paix que l’église catholique promeut, ainsi que de faire l’interface entre Lourdes et le continent africain. Présent pendant les Journées de la Paix, qui se sont déroulées du 12 au 14 août 2006, il nous livre sa vision de la foi en Afrique.
De notre envoyée spéciale Louise Simondet
« Etre prêtre, c’est avant tout une vocation », confie le père Benoît Kouassy. Des yeux bienveillants cerclés de petites lunettes ornent un visage éclairé par un sourire franc. A première vue, on pourrait croire qu’il est un de ces universitaires qui viennent clamer leurs discours à la tribune lors de ces Journées de la paix de Lourdes (12 au 14 août 2006), mais l’uniforme de prêtre et le col romain rappellent sa fonction ecclésiastique. Ce trentenaire a été ordonné prêtre il y a quatre ans, le 21 décembre 2002, à Yopougon en Côte d’Ivoire. Il a foulé pour la première fois de sa vie le sol de la ville de Lourdes [[<*>Haut lieu symbolique pour les chrétiens du monde entier qui viennent se recueillir devant la grotte de Massabielle où la Vierge Marie est apparue à la petite Bernadette Soubirous.]], il y a deux mois. Il assure actuellement la fonction de chargé de communication du sanctuaire de Lourdes. Et a pour mission d’établir un pont entre l’Afrique et la ville de Lourdes. Entretien.
Afrik.com : En tant que prêtre, que représente pour vous la ville de Lourdes ?
Père Benoît Kouassy : C’est avant tout un symbole. Voir toutes ces personnes qui font le pèlerinage, des gens malades, des personnes en quête d’une réponse ou qui viennent simplement remercier et prier la Vierge Marie, ne peut en aucun cas laisser indifférent. Lourdes, c’est une démonstration de paix et d’amour entre les peuples qui se rencontrent.
Afrik.com : La communauté africaine est-elle nombreuse à venir à Lourdes ?
Père Benoît Kouassy : Oui, absolument. Et surtout les Ivoiriens. La plupart du temps, les Africains viennent en groupe parce qu’ils font un pèlerinage. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, il s’agit soit d’un pèlerinage national, soit d’un pèlerinage diocésain. Actuellement, c’est une paroisse qui est venue. Mais des problèmes se posent pour faire le déplacement. Il faut avoir les moyens de faire le voyage d’Afrique. Il y a aussi la question des visas. Résultat : de nombreuses personnes qui souhaitent venir mais ne le peuvent pas.
Afrik.com : Quelles seraient les solutions pour remédier au problème des visas ?
Père Benoît Kouassy : Il faudrait trouver des garanties. Car le principal obstacle, pour l’instant, est qu’il n’y en a pas en temps que tel. Les autorités françaises ont peur que les gens viennent et restent. Alors elles essayent de filtrer. C’est pourquoi les personnes qui organisent les pèlerinages prennent souvent des familles qui ont du travail, des liens dans leur pays. On sait qu’une dame qui est mariée et qui a quatre enfants ne va pas rester. Dans cette affaire, c’est la jeunesse qui est brimée. C’est dommage. C’est un peu une discrimination.
Afrik.com : Le catholicisme est-il bien implanté en Côte d’Ivoire ?
Père Benoît Kouassy : Le problème de la comptabilisation est complexe. On dit que les musulmans sont plus nombreux que les chrétiens. Pour essayer de comprendre, il faut savoir que la Côte d’Ivoire est un pays axé sur l’agriculture et que nous utilisons une main d’œuvre qui vient des pays du nord comme le Burkina Faso, le Bénin, le Mali. Si nous prenons cette population étrangère musulmane et qu’on l’ajoute aux musulmans ivoiriens, le pourcentage augmente. Donc les chiffres sont un peu biaisés. Par ailleurs, lorsqu’on parle des chrétiens, on se base sur l’église catholique, alors qu’il y a aussi les protestants qui représentent un nombre important de croyants. C’est en arrivant à faire la différence entre ces choses que l’on arrivera à savoir vraiment qui est majoritaire.
Afrik.com : Le syncrétisme religieux tient-il une place importante en Afrique ?
Père Benoit Kouassy : Effectivement, on ne peut pas nier ce fait. Il existe des syncrétistes en Afrique. On les retrouve autant chez les protestants, les musulmans, les catholiques que chez les méthodistes. La première forme de syncrétisme, ce sont les personnes qui étaient de religion traditionnelle africaine et qui se sont convertis au christianisme. Ces animistes portaient un culte particulier envers leur eau, leur bois, leur statuette, qu’ils vénéraient. En se convertissant au christianisme, ils pensent qu’il est nécessaire de faire les deux. Ils ne souhaitent pas renier la religion traditionnelle et en même temps ils trouvent que la religion catholique est supérieure. Comme le catholicisme est quelque chose de nouveau pour eux, ils sont inquiets de leur salut et prennent cette forme de religiosité. Mais ce n’est pas tout le monde. Il y a des gens qui se convertissent réellement, qui deviennent chrétiens et qui abandonnent complètement tout le reste. Et je pense sincèrement que c’est la majorité. Mais il y a toujours une petite partie qui fait les deux. Et puis il y a d’autres personnes, comme les hommes d’affaires, qui sont syncrétistes parce qu’ils veulent contenter tout le monde. Une dualité qui finalement les arrange.
Afrik.com : Comment expliquez-vous que les sectes prolifèrent en Afrique ?
Père Benoît Kouassy : Les sectes sont un phénomène des temps nouveaux. Il y en a beaucoup en Afrique. En général, ce sont des mouvements sectaires issus du grand groupe du protestantisme. La plupart du temps, elles sont importées par les Européens. Les Occidentaux croient qu’il y a des choses chez eux que l’on devrait avoir et nous les envoie… Il y a aussi de nombreuses sectes qui viennent du Brésil et des Etats Unis. A côté de cela, il y a des Africains qui pensent que la religion est un business. Qu’en créant une religion, cela leur permet d’avoir de quoi manger et de quoi s’enrichir. Par conséquence, il y a une prolifération des sectes. C’est une situation inquiétante car elle débouche souvent sur des drames. Les gourous exploitent les fidèles, ce qui engendre des problèmes de pauvreté et de spoliation de biens.
Afrik.com : En parallèle des sectes, il y a aussi les évangélistes américains qui affluent en Afrique…
Père Benoit Kouassy : Il y a de nombreuses réalités que les gens ne veulent pas dire. Par exemple que les Etats Unies favorisent énormément le sectarisme et la création de communautés religieuses. Elles sont nombreuses. Pour moi, cette situation s’explique par le fait que les Etats Unis ont le pouvoir politique et le pouvoir économique. Par contre, ce qu’ils n’ont pas c’est le pouvoir religieux qui a toujours été détenu par l’Occident. Il convient aussi pour eux de diviser pour mieux régner. D’où l’implantation en masse des évangélistes américains. Avoir la main mise sur le pouvoir religieux, c’est d’une certaine manière contrôler des peuples.
Afrik.com : Que pensez-vous de l’intégrisme religieux qui se développe en Afrique mais aussi dans le monde ?
Père Benoit Kouassy : Ce qui est inquiétant, c’est qu’il s’impose le plus souvent par la force. La foi se propose, Dieu se propose. Mais Dieu ne vient pas dans la vie des hommes par irruption involontaire. Si tu le veux, tu l’acceptes. Si tu ne le veux pas, tu n’y adhères pas. Dans toute religion, il y a des intégristes. Et ces hommes, qui interprètent de façon extrême, les textes sont une menace pour la communauté et la stabilité des pays.
Afrik.com : Quelle est votre position par rapport à l’interdiction du préservatif prôné par le Vatican, alors que c’est une solution avérée pour contrer l’avancée du sida en Afrique ?
Père Benoit Kouassy : Ce n’est pas vrai. Il y a beaucoup de non-dits. Il ne faut pas se voiler la face, le préservatif est un business. Tous ceux qui font la publicité pour le port de ce moyen de contraception gagnent beaucoup d’argent. Les grandes firmes, les grandes sociétés qui le fabriquent sont souvent en partenariat avec des chefs, des leaders politiques et des autorités en Afrique. Pour vendre leurs produits, ils disent que c’est le meilleur moyen de ne pas attraper le sida ainsi que des maladies sexuellement transmissibles. Alors que le meilleur moyen de se protéger reste la fidélité et l’abstinence. C’est bien beau de sensibiliser dans les écoles, dans les lycées. Mais dire à des enfants de 13 ans qu’il faut porter des préservatifs leur donnera obligatoirement l’envie d’essayer. Et cela débouchera sur des grossesses indésirées ou des maladies. Et puis, il ne faut pas oublier qu’un caoutchouc peut se rompre. Il y a donc des risques à prendre en l’utilisant. Alors que celui qui se préserve reste indemne et ne prend pas de risques. Où est l’inconséquence ? C’est un moyen de se protéger, mais ce n’est pas le moyen absolu. Il faut chercher le moyen le plus efficace et c’est l’abstinence et la fidélité parce que la personne qui est fidèle n’attrapera pas de maladies. C’est la voie de l’église.
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