La République Démocratique du Congo organise les 18 et 19 décembre prochains un capital référendum qui doit entériner l’avènement de la troisième République congolaise. Pour la première fois depuis 40 ans, un gouvernement propose d’établir les bases d’un régime démocratique avec des représentants librement élus par la population.
Par Koceila Bouhanik en collaboration avec Octave Kambale Juakali
Les Congolais (République démocratique du Congo) sont appelés les 18 et 19 décembre prochains à se prononcer par référendum sur une nouvelle Constitution national. Ce scrutin, qui instaurerait la troisième République dans le pays, est le premier d’une série d’élections prévues en 2006, devant mettre un terme à une fragile transition politique initiée en 2003. L’adoption de ce texte, préalable au vote de la loi électorale, servira de base juridique aux élections présidentielles, législatives, sénatoriales et locales qui doivent impérativement se tenir d’ici le 30 juin 2006, délai maximal accordé par la Constitution de transition adoptée à Sun City.
« 1 + 4 = 0 »
Cinq années de conflit et de 19 mois de négociations houleuses avaient abouti en 2003 au partage du pouvoir entre les différentes « composantes » de la classe politique congolaise, et conduit à une transition politique émaillée de crises, durant laquelle les ennemis d’hier ont été contraints de travailler ensemble sous la pression de la communauté internationale.
« 1 + 4 = 0 », selon une raillerie populaire. Sous cette formule déroutante se cache la réalité d’un pouvoir exécutif inédit, composé d’un président et de quatre vice-présidents appartenant aux principaux groupes politiques. C’est cet exécutif issu du Dialogue Inter Congolais (2003) qui régit depuis la fin de la guerre un pays divisé, grand comme l’Europe occidentale, où aucun groupe ethnique ne représente plus de 5% de la population.
Toutefois la volonté de s’affranchir de la logique des « composantes » s’affirme de plus en plus. Une centaine de députés et sénateurs, toutes tendances confondues, ont récemment signé à Kinshasa « l’acte constitutif de la coalition parlementaire » qui offre une plate-forme électorale ouverte et représentative de la recomposition politique du pays. Mais si le référendum constitutionnel répond aussi à cette optique, plus de quinze candidats sont d’ores et déjà en lice pour la magistrature suprême.
Une Constitution plus démocratique
Après la « Constitution de Luluabourg » du 1er août 1964 (1ère République), la « Constitution révolutionnaire » du 27 juin 1967 (2e République) et la Constitution de transition de 2003, la Constitution de 2005 instituerait un régime semi-présidentiel dans un Etat unitaire fortement décentralisé (division du pays en 25 provinces administratives contre 11 actuellement). Elle prévoit en outre l’équilibre de tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et érige les violences sexuelles en crime contre l’humanité.
La transparence de ce scrutin, qui apparaît pour la plupart des partis comme un galop d’essai avant les « vraies élections » de 2006, devrait donc être garantie à la fois par les observateurs internationaux[[<*>Notamment à travers le Comité International d’Accompagnement de la Transition, qui réunit les ambassadeurs des puissances occidentales (Etats-Unis, France, Belgique, etc.)]] et nationaux, mais aussi par la présence de témoins des différents partis politiques dans les bureaux de vote. Créée en 2003, la Commission Electorale Indépendante (CEI), qui regroupe toutes les tendances politiques de R.D.C, est quant à elle chargée de l’ensemble du processus électoral : du recensement à l’organisation des scrutins et à la promulgation des résultats, qui devront être validés par la Cour suprême de justice.
A ce jour, 25 millions d’électeurs (pour un chiffre estimé au maximum à 28 millions d’électeurs potentiels dans un pays de plus de 58 millions d’habitants), ont été enregistrés depuis le 20 juin 2005. Mais à 48 heures du référendum constitutionnel, la C.E.I poursuit encore les opérations de recensement dans deux des onze provinces de R.D.C (l’Equateur et le Bandundu), tout en accélérant le déploiement du matériel électoral dans les 40.000 bureaux de vote prévus dans l’ensemble du pays. Se basant sur le délai constitutionnel qui autorise une seconde prolongation jusqu’en juin 2006, la C.E.I a proposé un calendrier provisoire qui fixe le premier tour de la présidentielle et les législatives au 20 mars 2006, et le second tour de la présidentielle au 30 avril.
Les arguments du Rassemblement pour le non
La seule fausse note véritable reste la marche pacifique contre le projet de Constitution à Kinshasa ce vendredi, organisée par les partis d’opposition. Composé d’une trentaine de petits partis politiques et de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi, le « Rassemblement pour le non » appelle à rejeter le texte constitutionnel pour « plusieurs raisons graves ». Selon la coalition, les relations entre le Président et le Premier ministre sont peu claires et décrites comme une source potentielle de crise de gouvernement. Les opposants jugent notamment anormal que le Président « consulte la majorité » parlementaire avant de nommer le Premier ministre, au lieu de simplement nommer celui qui lui est « présenté par la majorité ». Ils estiment encore que le texte consacre « l’impunité » du chef de l’Etat et du Premier ministre, en obligeant le Parlement à voter des décisions de poursuites à la majorité des deux tiers.
Ils fustigent par ailleurs le découpage du territoire en 25 provinces au lieu des 11 actuelles, « sans accord préalable des populations intéressées », suggérant que cette seule décision aurait mérité un référendum. Le Rassemblement appelle en outre à un report du scrutin référendaire en déplorant l’absence d’une campagne suffisante de sensibilisation des électeurs par la Commission électorale indépendante. Concernant les modalités du scrutin, elle dénonce la validation du vote par l’apposition de son empreinte digitale sur le bulletin de vote estimant que cette disposition viole le caractère secret du vote car « l’identité de l’électeur est décryptable ».
Un oui nécessaire pour le calendrier électoral
Malgré l’enjeu, il faut reconnaître que la campagne référendaire a peiné à démarrer et la plupart des 25 millions d’électeurs enregistrés par la Commission Electorale Indépendante n’ont pas eu accès au projet de Constitution par manque de moyens et surtout de temps. La barrière de la langue (texte constitutif rédigé en français) a également largement contribué à cet état de fait.
Pourtant, nul n’imagine devoir à nouveau ouvrir des négociations dans un pays qui se relève à peine d’une guerre ayant impliqué une demi-douzaine de pays et fait plus de 3 millions de morts directs et indirects. La plupart des grands partis politiques congolais ont en conséquence appelé à voter massivement pour cette Constitution, dont le rejet plongerait le pays dans un « vide juridique » (l’accord global de 2003 régissant la transition n’ayant pas prévu ce scénario catastrophe et devenant lui-même caduque passé juin 2006). La communauté internationale, qui soutient à bout de bras la transition congolaise, a, quant à elle, clairement appelé les Congolais à la « responsabilité » en votant oui.
LES INSTITUTIONS DE LA TRANSITION
Président et Vice-présidents
Selon les textes, « le président de la République en exercice au moment de la promulgation de la Constitution de la transition reste en fonction pour toute la durée de la transition ». Joseph Kabila, porté au pouvoir en janvier 2001 après l’assassinat de son père Laurent Désiré Kabila, a prêté serment le 7 avril 2003 sur la nouvelle Constitution.
Quatre vice-présidents, issus des composantes du Dialogue inter congolais, ont prêté serment le 17 juillet 2003.
Il s’agit de:
Abdoulaye Yerodia Ndombasi: composante gouvernementale, chargé de la commission pour la Reconstruction et le Développement
Azarias Ruberwa: Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD, ex-rébellion soutenue par le Rwanda), commission Politique, Défense et Sécurité)
Jean-Pierre Bemba: Mouvement de libération du Congo (MLC, ex-rébellion soutenue par l’Ouganda), commission Economique et Financière
Arthur Zahidi Ngoma: opposition politique, commission Sociale et Culturelle.
Gouvernement de transition
Le gouvernement de transition compte 36 ministres et 25 vice-ministres. Les RCD, MLC, opposition politique et ex-gouvernement ont chacun sept ministres et quatre postes de vice-ministres. Deux ministères et trois postes de vice-ministres ont été attribués à la composante société civile. Les entités – RCD-ML et RCD-N (factions rebelles minoritaires) et Maï Maï (milices paramilitaires) – ont chacune deux ministères et deux postes de vice-ministres. L’Intérieur et les Finances reviennent au gouvernement, la Défense et l’Economie au RCD, les Affaires étrangères et le Budget au MLC. Le gouvernement a été installé le 30 juin 2003.
Parlement de la transition
Assemblée nationale (500 sièges), dont la présidence revient au MLC. Les cinq composantes du dialogue (RCD, MLC, gouvernement, opposition politique et société civile) disposent chacune de 94 sièges. Le RCD-ML : 15 sièges, le RCD-N: 5 sièges et les Maï Maï: 10 sièges.
Sénat (120 sièges): Les RCD, MLC, gouvernement, opposition politique et société civile) disposent chacune de 22 sièges. Le RCD-ML: 4 sièges, le RCD-N: 2 sièges et les Maï-Maï: 4 sièges.
Le Parlement a été installé le 22 août 2003. L’Assemblée nationale est présidée par Olivier Kamitatu Etsu et le Sénat par Mgr Pierre Marini Bodho.
Le 7 déc. 2005, M. Kamitatu a affirmé qu’il resterait président de l’Assemblée malgré son exclusion de son parti, le MLC.
Sécurité et armée
Aux termes de l’Accord global, les différents groupes belligérants ont accepté de s’engager dans le processus de formation d’une armée nationale, restructurée et unifiée. La nouvelle structure de commandement de l’armée compte 10 régions militaires, plus Kinshasa. L’état-major général des Forces armées de la RDC (FARDC), nouvelle armée restructurée intégrant les ex-belligérants, a été installé le 5 septembre 2003, mais la loi organique sur la future armée n’a été adoptée qu’en juin 2004.
Gouverneurs
Le 16 mai 2004, le président Kabila a nommé les gouverneurs et vice gouverneurs des onze provinces que compte le pays. Les gouvernorats de la ville-province de Kinshasa, des provinces du Kasaï occidental (centre) et du Bas Congo (ouest) reviennent à la composante ex-gouvernement. L’Equateur (nord) et le Bandundu (sud-est) ont été confiés respectivement à la société civile et au MLC, tandis que le Sud Kivu (est) revient à l’opposition politique. Le RCD prend le Nord Kivu (est) et la Province Orientale (nord-est) alors que le Katanga (sud-est) est gouverné par les Maï Maï. Le RCD-ML et le RCD-N se partagent le Maniema (centre-est) et le Kasaï oriental (centre). Plusieurs gouverneurs ont été depuis remplacés.
LA NOUVELLE CONSTITUTION
Présidence/gouvernement
Le président est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois.
Il nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire et met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.
Il proclame l’état d’urgence ou de siège après concertation avec le Premier ministre et les présidents des deux chambres du Parlement. Il déclare la guerre par ordonnance délibérée en Conseil des ministres après autorisation des deux chambres.
Le Premier ministre dirige le gouvernement, qui conduit la politique de la Nation décidée en concertation avec le président de la République.
La Défense, la Sécurité et les Affaires étrangères deviennent des domaines de collaboration entre le président et le gouvernement.
Parlement
Est bicaméral. Les députés sont élus au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans renouvelable et les sénateurs au suffrage indirect pour un mandat de 5 ans renouvelable.
Equilibre législatif/exécutif
L’Assemblée nationale peut voter une motion de censure contre le gouvernement. Si cette motion est adoptée à la majorité absolue, le Premier ministre doit remettre dans les 24 heures la démission de son gouvernement.
En cas de crise persistante entre le gouvernement et l’Assemblée, le président peut prononcer la dissolution de l’Assemblée.
Justice
Le pouvoir judiciaire est indépendant de l’exécutif et du législatif. Il est dévolu aux parquets, cours et tribunaux civils et militaires, à la Cour constitutionnelle (créée), la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et la Haute cour militaire. Il ne peut être créé aucun tribunal d’exception.
Les magistrats du siège sont inamovibles.
Etat et souveraineté
La R.D.C sera composée de la ville de Kinshasa et de 25 provinces (contre 11 actuellement), dans un délai de 36 mois.
Les provinces ont une large autonomie et perçoivent directement à la source 40% des recettes qui leur sont allouées. Une caisse de péréquation est par ailleurs créée pour corriger le déséquilibre entre les provinces.
La nationalité congolaise est une et exclusive.
Société
Instauration du principe de la parité homme/femme dans les institutions.
Les violences sexuelles sont érigées en crime contre l’humanité.