Redécouvrir Pierre Verger


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L’Afrique a changé de visage, au milieu de ce siècle. Pierre Verger, ce passeur entre les continents, entre leurs habitants, était un homme d’instinct, photographiant dans l’instant ce qui accrochait son attention. Avec une perpétuelle attention aux traits mobiles de l’autre, révélant son, étrangère, beauté. Il a figé une Afrique en mutation.

Nous sommes aujourd’hui face aux photographies de Pierre Verger comme par rapport à des images d’ancêtres, dans un salon bourgeois de la Vieille Europe. Leurs sujets nous sont proches, nous y reconnaissons nos traits, nous nous souvenons vaguement de leurs costumes et leurs comportements. Ils nous sont tellement familiers.

Et pourtant : un gouffre nous sépare d’eux. L’ouvrage que lui ont consacré les Editions de la Revue Noire,  » Pierre Verger, le messager  » s’ouvre par le portrait d’un berger algérien, saisi près de Tamanrasset en 1936. Il regarde vers la gauche, surveillant l’horizon, un peu soucieux, tandis que ses mains s’activent sur la droite à coudre un sac de cuir. Tout entier dans cette attention dédoublée, il paraît à la fois en plein repos et prêt à bondir.

Combien de siècles séparent les jeunes algériens d’aujourd’hui de celui-ci, qui est leur grand-père ? Combien d’années-lumière entre les manifestants berbères qui protestent contre le marasme économique et ce berger intemporel emporté dans sa paisible activité ? La beauté fragile du passé, un gouffre béant, en partie sanglant, nous en sépare à jamais.

Plus au Sud, au Niger et en Mauritanie, Pierre Verger a saisi des moments intenses, fêtes, préparatifs, habillage, maquillage, gestes de douceur et d’amour, comme cette extraordinaire photographie sur laquelle un adolescent, un rien joueur, jouissant visiblement de cette proximité provisoire, noue un foulard souple, tourné en turban, dans le cou d’une jeune femme attentive.

Plus au Sud encore, ce sont les danses du Bénin, puis du Rwanda, les lutteurs sénégalais, l’immense nostalgie d’un jeune fumeur de pipe, en Guinée Bissau, dont le visage jeune, qui respire une force intérieure, semble étrangement retourné en lui-même. Beauté virile comme inemployée, absente : vision d’un retrait mystérieux, que l’on voudrait interroger. Et qui nous renvoie à cette solitude de tous les hommes, à cette impossibilité de percer cette surface d’apparence intangible, qui est tout ce que l’autre nous offre -et c’est tellement, et c’est si peu.

Proche de Jacques et Pierre Prévert, familier de l’équipe du Musée de l’Homme, Michel Leiris, Paul-Emile Victor, Hélène Gordon-Lazareff…Pierre Verger était plus qu’un photographe, et son amitié avec Théodore Monod l’a prouvé. Il s’est lui-même fait enseigner les rites vaudous de certains cultes africains.  » Grand initié  » en 1952, Pierre Verger portera désormais, aussi, le nom de Fatumbi : le titre de  » babalawo « ,  » père du secret « , lui sera décerné, et il deviendra ensuite, à Bahia, Oju-Oba,  » l’oeil du Roi « .  » Dieux d’Afrique « , édité par Paul Hartmann, sera le livre témoignage de ce respectueux apprentissage d’une culture et d’une religion intensément vécues.

Au fil de ses photos, le monde qui ressuscite et surgit du passé est donc un monde d’authenticité et de force. Il n’y a pas de pose ni de faiblesse dans ces images d’une humanité vivante et profonde, qui respire et qui vibre de vérité. Chapeau bas devant Pierre Verger.

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