La justice populaire est en recrudescence au Cameroun et en particulier dans la ville de Douala. Le gouvernement camerounais a décidé de prendre des mesures pour endiguer ce phénomène social en lançant une campagne de sensibilisation.
Louise Simondet
« Au voleur ! » Au Cameroun, ces quelques mots sont directement synonymes de vindicte populaire. Un pour tous et tous contre un… le présumé bandit est tout simplement lynché par la foule pour toute forme de procès. Et la mort est souvent au bout du chemin. Des pratiques qui s’intensifient, et auxquelles le gouvernement camerounais entend mettre un terme. Il ne se passe pas une semaine sans que la police n’intervienne pour stopper ces lynchages de malfaiteurs, supposés ou avérés. « Les présumés coupables qui ont eu la malchance de se faire traiter de voleur sont le plus souvent lapidés. Mais d’autres pratiques vengeresses existent, comme par exemple le repassage au fer chaud, l’injection d’eau, d’alcool ou de lait dans les veines… Le supplice du pneu fait aussi partie de ces pratiques barbares. Il consiste à empiler des pneus sur le condamné, l’arroser d’essence avant d’allumer le feu. Il meurt ainsi brûlé vif », rapporte-t-on à la Gendarmerie nationale de Yaoundé.
« Cela fait dix ans que cette pratique se perpétue », confie-t-on au ministère de la Justice. La police ne dispose pas de chiffres exacts sur le nombre de décès occasionnés par la justice populaire, mais note tout de même une recrudescence de ces actes. « Nous n’avons pas de statistiques. Mais Douala, la capitale économique, est la ville la plus touchée», souligne-t-on au ministère de la Justice. Et à la Gendarmerie nationale d’ajouter : « Beaucoup d’argent circule dans cette ville. Résultat : cela attire les bandits ». Conséquence de la montée du banditisme : les populations préfèrent se faire justice elles-mêmes.
Difficultés d’intervention des forces de l’ordre
Comment interviennent les forces de l’ordre lorsqu’elles sont prévenues d’un lynchage en cours ? « On essaye de faire le maximum, mais ce n’est pas toujours facile, note-t-on à la Gendarmerie nationale de Yaoundé. Il est très difficile d’intervenir quand cent personnes sont agglutinées autour d’un corps. La plupart du temps nous intervenons à dix personnes (…). Le minimum, c’est cinq. Nous ne sommes pas armés, sauf en cas de situation extrême, où nous pouvons nous munir de matraques, de casques et d’un gilet pare-balle ». « Dans certains quartiers populaires, comme par exemple à la Briquerie à Yaoundé, il m’est déjà arrivé d’avoir peur », avoue un gendarme de Yaoundé qui a souhaité garder l’anonymat. Le sociologue Paul-Claude Cheta, interrogé par Panapress, révèle que « parfois, la police, informée d’un braquage, ne se déplace pas, prétextant un manque de voitures, de carburants, ou d’agents au poste ».
Face à l’insécurité grandissante, les populations s’exaspèrent et la pratique se banalise. « Il est vrai que les gens n’ont plus confiance dans la justice, reconnaît-t-on à la Gendarmerie nationale. Il est arrivé qu’un bandit soit relâché et que le lendemain, il menace de mort les personnes qui l’ont fait arrêter ». Ainsi, la population ne trouve plus nécessaire de livrer ces bandits aux forces de l’ordre. Sensibiliser les populations, c’est l’objectif que se sont fixés les pouvoirs publics. « De nombreuses personnes ignorent que lapider un homme, même s’il a commis un vol est passible de la prison à vie par le Code pénal, si sa responsabilité est prouvée », précise-t-on au ministère de la Justice. « Vous savez, quelquefois, la personne, sur qui l’on a crié, n’était pas coupable. Il est arrivé que des présumés coupables soient reconnues innocentes. Cela peut conduire à des dérives ou des vengeances personnelles », précise Jean-Bosco Ayissi, du secrétariat général du ministère de la Justice.
La police camerounaise consacre ainsi des émissions radio-télévisés au phénomène pour essayer d’informer la population. Même le Premier ministre, Inoni Ephraim, a décidé de prendre ce problème à bras le corps et organise des conférences de sensibilisation sur ce sujet « Il faut diffuser cette culture de foi en la justice, soumettre ceux qui pratiquent cette justice populaire devant les tribunaux. On ne peut laisser ces crimes impunis », souligne-t-on au ministère de la Justice. L’entrée en vigueur, en août prochain, d’un nouveau code Pénal doit être, entre autre, un moyen de faire cesser ces exactions publiques. Son but est aussi de « préserver la défense des droits de l’homme » dans le pays. En attentant, le peuple continue de se faire vengeance lui-même…