Les tripatouillages de Constitutions ont été nombreux ces dernières années en Afrique. Entre 2003 et 2005, le Bénin, aujourd’hui cité comme un exemple de démocratie sur le continent, a échappé à ce type de manœuvres grâce à de fortes mobilisations citoyennes organisées par plusieurs associations. Reckya Madougou, aujourd’hui ministre de la Microfinance, de l’Emploi des jeunes et des Femmes, a été à l’origine et à la tête de ce mouvement qui s’est opposé à la modification de la Loi fondamentale du Bénin. Elle retrace cette lutte dans Mon combat pour la parole, un livre qui vient de paraître aux éditions L’Harmattan.
« Touche pas à ma constitution! » C’est cette célèbre campagne contre la révision de la Constitution du Bénin – une révision qui devait permettre à l’ancien président Mathieu Kérékou de briguer un troisième mandat -, qui a révélé Reckya Madougou au grand public. Elle était alors présidente de l’association Elan. Cette lutte lui a valu de recevoir du gouvernement américain le prix « Woman of courage award ». Aujourd’hui ministre béninois de la Microfinance, de l’Emploi des jeunes et des femmes, cette diplômée de 3ème cycle en Affaires Internationales, vient de sortir Mon combat pour la parole : un ouvrage qui se donne pour ambition « d’amener à l’élaboration d’une théorie pour appuyer la mobilisation citoyenne ». Reckya Madougou y décrypte d’abord le système Kérékou, du nom de l’ancien président du Bénin, et y explique ensuite les recettes d’une mobilisation citoyenne réussie. L’auteure affirme qu’elle souhaite, à travers ce livre, inciter les populations des pays en proie à des modifications inopportune et opportuniste de leur Constitution à s’inspirer de l’exemple béninois. Interview.
Afrik.com : Comment est né Mon combat pour la parole ?
Reckya Madougou : Entre 2003 et 2005, la société civile béninoise s’est organisée pour constituer un bouclier contre le projet de révision inopportune et opportuniste de la Constitution du pays. Dans leur démarche, les organisations la composant ont utilisé des méthodes et des techniques qui ont porté leurs fruits. Ces méthodes et techniques ont pris diverses formes à chaque étape de la lutte. Par exemple : dans ce que j’ai appelé « Les atermoiements de l’Etat », le pouvoir en place au Bénin à l’époque, , lorsqu’il ne pouvait plus modifier la loi fondamentale, a cherché d’autres solutions. L’une d’entre elles a été de dire que le gouvernement n’avait pas suffisamment de moyens pour organiser l’élection. Pour montrer au régime en place que le peuple voulait de cette élection, nous avons décidé de mobiliser les ressources et avons alors créé le fonds d’appui citoyen à la Commission électorale nationale autonome (Cena). Ce geste a été un message très fort pour montrer que le peuple était décidé à organiser les élections. Après que nous ayons fait tout cela sur le terrain, les organismes internationaux ont vu les effets que nos méthodes ont donné sur le terrain. Certaines d’entre elles, dont l’Organisationsation internationale de la Francophonie, nous ont demandé de consigner par écrit tout cela. Et comme c’est mon association, Elan, qui a été le leader du mouvement, elle nous a proposé de laisser des traces. Car, dit-elle, notre lutte n’était pas improvisée, elle a été bien organisée, réfléchie et bien structurée. Il faut que cela profite à d’autre pays, notamment ceux qui sont en proie à des projets de révision de leur loi fondamentale.
Afrik.com : Votre livre ne se limite pas aux témoignages, il a également une dimension pédagogique…
Reckya Madougou : Tout à fait, ce livre s’est refusé à raconter uniquement des expériences. Nous avons voulu aller dans des approches méthodiques et pédagogiques, c’est-à-dire que nous ne nous contentons pas de raconter des histoires. Nous expliquons, nous décryptons, et nous montrons comment nous avons procédé. Vous y trouvez ainsi les techniques de monitoring politique, c’est-à-dire comment la société civile peut faire du contrôle citoyen, de l’action politique, de l’action publique, et les instruments et outils qui peuvent être utilisés. Nous citons dans le livre, deux grands types de monitoring politique : il y a d’une part la veille des citoyens, une structure pyramidale mais qui commence par la base. Il s’agit de montrer comment depuis la base on peut remonter, les craintes, les quolibets des populations vers le haut, c’est-à-dire vers les décideurs. Et la deuxième approche qui est l’inverse de la première : montre comment les élites depuis le haut peuvent organiser la base. Comment peuvent-ils la former, l’éduquer. Parce que, pour que la base puisse faire remonter ses attentes au sommet encore faudrait-il qu’elle soit éduquée. Nous avons développé ces deux approches parce que, quand on parle de monitoring politique, les gens ont l’impression qu’on leur parle chinois. Mais en fait, c’est une méthode, c’est une démarche qui a ses principes, ses techniques, ses outils et instruments.
Afrik.com : Pendant votre lutte, vous dites avoir été approchée par les proches de Mathieu Kérékou pour collaborer au tripatouillage de la Constitution de votre pays. Comment cela s’est-il passé concrètement ?
Reckya Madougou : Comme cela se passe habituellement dans nos pays. Vous portez une idée, une idée qui va à l’encontre des intérêts d’une caste de gouvernants, on vous approche et on vous propose de l’argent, des biens matériels, et on se dit qu’avec la faiblesse humaine par rapport aux biens matériels vous abandonnerez vos idées. Malheureusement pour ce gouvernement, ils avaient en face d’eux des jeunes qui croyaient réellement en ce qu’ils faisaient, et qui n’étaient mue que par un idéal, celui d’empêcher le tripatouillage de la Constitution. Quand j’ai été approchée, j’avais simplement répondu que le mouvement que je dirigeais ne pouvait abandonner son idéale pour des questions bassement matérielles. J’ai d’abord reçu une offre de 50 millions de francs CFA. Pour rigoler, je leur ai dit que nous étions cinq dans le bureau ce qui faisait 10 millions d’euros par tête, et que cela ne valait pas le coup. Ils l’ont pris au premier degré et m’ont demandé si je voulais qu’ils augmentent la mise. De ce type de corruption, on en est arrivé à un autre. Un poste ministériel m’a ainsi été proposé dans le gouvernement. J’ai également refusé cette offre.
Afrik.com : Quel regard portez-vous sur ce qui se passe au Niger où manifestement le régime tente de contourner la Constitution pour demeurer au pouvoir ?
Reckya Madougou : C’est totalement scandaleux que les pays africains en soient encore à des étapes de révisions opportunistes. Les Constitutions, comme dit Koffi Annan, ne sont pas faites pour servir les intérêts à court terme des dirigeants, mais pour protéger les avantages à long terme des populations. Il faut que nous quittions dans nos Etats africains cette dynamique des révisions opportunistes des Constitutions. Même si nos Constitutions doivent être modifiées, parce qu’elles peuvent ne pas être parfaites, cela doit être fait de façon pertinente et surtout de façon concertée. C’est ce à quoi nous travaillons au Bénin.
Afrik.com : Est ce que le fait d’être rentrée dans le gouvernement du président Yayi Boni, n’a pas affaibli pas votre pouvoir de contestation ?
Reckya Madougou : Au lendemain de l’élection présidentielle de mars 2006, pour avoir été très active à la tête de mon association Elan, je faisais partie des personnes qui, à coup sûr, étaient pressentie au gouvernement. Mais j’ai refusé d’entrer au gouvernement parce que j’ai pensé que ma lutte ne devait pas être associée à un besoin d’intérêt personnel. La question est revenue une deuxième fois lors du premier remaniement du gouvernement par le président Yayi Boni, mais je n’étais toujours pas prête. Finalement, à la troisième offre je suis rentrée au gouvernement. Mais j’avoue que la décision a été très difficile à prendre. Certains amis de la société civile m’y ont encouragé en me disant qu’il fallait aussi montrer que nous ne sommes pas là que pour critiquer mais que nous pouvons aussi participer à l’œuvre d’édification nationale. Et je peux vous assurer que mon pouvoir de prise de parole n’est pas encore en danger. Voyez-vous, si j’ai pu écrire Mon combat pour la parole, c’est je ne me retrouvais pas dans un espace où la prise de parole était confisquée.
Afrik.com : Pour revenir à votre fonction de ministre, on peut lire ici et là que le secteur de la microfinance dont vous êtes en charge est en crise profonde. Que répondez-vous à cela ?
Reckya Madougou : Point du tout ! Je peux vous dire que cela est absolument faux.
Afrik.com : C’est pourtant ce que disent messieurs René Azokli et Wakil Adjibi…
Reckya Madougou : Justement, ce sont deux personnes qui ont eu des problèmes personnels. Il ne s’agit pas de problèmes sectoriels. Monsieur Azokli, par exemple, a dirigé une institution de microfinance que le ministère des finances a contrôlé et à qui on reproche un certain nombre de chose. Je n’en dis pas plus parce que l’affaire est pendante devant la justice. Forcément, ces gens ne peuvent avoir qu’un regard négatif. Il y a d’ailleurs eu récemment une enquête informelle de Planète Finance, une grande organisation crédible spécialisée dans la microfinance, qui également a eu vent de ces fausses informations. Mais ils sont venus au Bénin et ont parcouru le pays de long en large. Leur conclusion a été claire. Ils ont fait une différence entre le secteur de la microfinance qui se porte bien, et l’affaire concernant le sieur Azokli qui est bien particulier.
Reckya Madougou, Mon combat pour la parole. Ed. L’Harmattan, 230p, 2009.
Lire aussi : L’Afrique et les tripatouilleurs de constitution