La population kenyane a augmenté rapidement ces 10 dernières années pour atteindre 38,6 millions d’habitants, selon les données du recensement annoncées mardi. En plus d’une simple comptabilité des habitants, l’étude a recueilli des informations sur l’éducation, le logement, les taux de fécondité et de mortalité, ainsi que l’appartenance tribale des personnes interrogées. Ce dernier point suscite la polémique, alors que le pays a connu de graves violences politico-ethniques après l’élection présidentielle contestée de 2007 qui ont fait près de 1 500 tués.
Recenser les Kenyans suivant leur origine : une fausse bonne idée ? Certains observateurs critiquent la décision de prendre en compte les affiliations ethnique ou religieuse dans les résultats du recensement rendu public mardi, parce qu’il irait directement à l’encontre de l’esprit de cohésion propre à la nouvelle Constitution.
Ce recensement nous apprend notamment que l’ethnie Kikuyu du président Kibaki est la plus importante du pays, avec un total de 6,6 millions (17%) de représentants. Elle est suivie de l’ethnie Luhya (13%), dans l’ouest du Kenya. Les Kalenjin, ethnie de l’ex-président Daniel Moi, est la troisième du pays (12%), tandis que celle des Luo, du Premier ministre Raila Odinga, est la quatrième (10%).
Début 2008, près de 1 500 Kenyans avaient été tués dans les violences postélectorales ethniques, et nombre d’analystes politiques craignent que la publication de ces résultats attise les divisions ethniques.
Une organisation de la société civile, le Tribe Kenya Group, avait ainsi appelé au début du recensement (en août 2009) les Kényans a refuser de se prononcer sur cette question de l’appartenance tribale, estimant que ces informations pourraient être instrumentalisées pour des intérêts politiciens, avec en perspective les élections générales de 2012.
Pour James Mwamu, vice-président du Barreau au Kenya : « Les politiciens vont immédiatement commencer à créer des alliances, basée sur la taille des tribus ». Il a indiqué que certains politiciens insistent pour dire qu’ils ont droit à un poste politique important, simplement à cause de la force numérique de leurs tribus.
De plus, « les chiffres sur les affiliations religieuses ne peuvent pas être exact, car de nombreuses personnes ont refusé de donner des détails sur cette information » a indiqué l’évêque Otieno Wasonga.
Pour le directeur général du recensement, Anthony Kilele, il n’y a rien de politique dans les statistiques elles-mêmes, mais plutôt dans la façon dont les gens les utilisent. Les précédents recensements organisés par les autorités en 1999 et 1989 mentionnaient déjà l’appartenance ethnique et le gouvernement a défendu à plusieurs reprises sa position pour le recensement de cette année. « Le recensement consiste à collecter des informations factuelles, et l’origine ethnique de chacun est un fait », a souligné dans un communiqué le bureau national des statistiques. Il est d’ailleurs à remarquer que dans d’autres pays, notamment aux Etats Unis, l’origine ethnique est systématiquement demandé lors des recensements.
Elaborer au mieux les plans de développement
« Un million de personnes par an, c’est une source de préoccupation », a déclaré l’analyste politique Jeremia Owiti. En effet, la population du Kenya augmente au taux de 1 million de personnes par an, ce qui entraîne une croissance démographique déséquilibrée par rapport au taux de croissance économique national. Ce recensement national, le septième depuis 1948 et le premier depuis dix ans, a dénombré 38 610 097 kenyans selon des critères divers et variés (notamment l’éducation, le logement, les taux de fécondité et de mortalité).
Le ministre du développement, Wycliffe Oparanya, a expliqué que la forte croissance démographique observée devrait avoir un impact négatif sur les dépenses, de sorte qu’un programme de planification familiale agressive devrait être lancé.
La politique de gouvernance novatrice qui accompagnera la mise en œuvre de la nouvelle Constitution dépendra aussi en grande partie des données du recensement qui fourniront des orientations sur l’attribution et le partage des ressources dans le cadre du nouveau système de gouvernement décentralisé.
M. Oparanya a expliqué que le recensement permettrait de déterminer les zones sous-développées et leurs besoins en termes de technologies, d’éducation, de santé, d’électrification et autres services. « Le rapport sur le recensement de la population sera crucial dans les enquêtes sur l’indice de pauvreté afin d’aider le gouvernement à concevoir de meilleurs moyens pour faire face à la situation », a-t-il dit.
Les chiffres montrent également qu’en plus de l’urbanisation rapide, la croissance démographique du Kenya est encore enclavée dans une bande étroite de terres arables à forte densité de population, tandis que de vastes étendues du pays sont à la fois sous-peuplées et sous-développés. La planification du développement qui a toujours mis l’accent sur les zones à potentiel agricole élevé devrait ainsi être réexaminée.
Ce recensement nous apprend également que plus de 67% des Kenyans vivent en milieu rural, que 63% des ménages possèdent un téléphone portable et que 30% de la population a accès à l’eau courante.
Le ministre a précisé qu’un nouveau recensement devrait être effectué dans huit districts après que des incohérences ont été relevées dans les données de population pour les zones au nord du Kenya, annulant les résultats de cette région. Une décision controversée, notamment dès aujourd’hui par Rukia Subow, présidente de Maendeleo Ya Wanawake Organisation (MYWO), la plus ancienne association de femmes du Kenya.