Quel est le lot quotidien des entrepreneurs culturels en Afrique ? Quelles sont leurs conditions de travail et leurs difficultés ? Hassim Tall Boukambou, à qui l’on doit notamment les coffrets DVD 2005 et 2007 du Festival panafricain de musique et les collections multimédia Couleurs Urbaines et Itinéraires Découvertes, jette un regard lucide sur son travail de producteur en Afrique. Il milite pour la nécessité d’une nouvelle exigence en matière de productions audiovisuelles et explique les conditions d’un travail efficace. Entretien.
« Je ne suis pas un mercenaire de la communication !», sans foi, ni loi. Hassim Tall Boukambou, prolifique producteur indépendant congolais, croit en l’Afrique et ses richesses culturelles ainsi qu’au travail bien fait. Burkina Faso, Niger, Brazzaville, Bamako, Pointe-Noire, autant de supports multimédia qu’il a réalisé depuis 2005, partant de la conviction que l’Afrique avait besoin de se montrer elle-même au lieu d’être le jouet des médias. S’il est fier que ses productions soient notamment disponibles dans l’un des plus grands distributeurs français de biens culturels (Fnac), il rappelle qu’il a construit patiemment un réseau professionnel dont il souhaite faire entièrement bénéficier son continent. Après les éditions 2005 et 2007 du Festival panafricain de musique (Fespam, Congo), tout deux disponibles en DVD, il travaille actuellement sur le 7ème volet de la biennale qui se tiendra en août prochain à Brazzaville.
Afrik.com : Vous avez réalisé les DVD 2005 et 2007 du Fespam. Et vous allez également travaillé sur l’édition 2009. Comment a commencé l’aventure Fespam ?
Hassim Tall Boukambou : On est venu me voir, en 2005, via CFI (Canal France International), pour travailler sur la visibilité du Fespam. En tant qu’Africain, je voulais apporter ma pierre à l’édifice et permettre au plus important événement musical du continent afin d’avoir des supports dignes de ce nom. J’ai donc réalisé un 26 minutes sur le festival et un coffret vidéo (aucun festival du continent n’avait, à ma connaissance, de support DVD). En 2007, j’ai ajouté, en plus, des émissions télé quotidiennes, Live in Fespam, durant toute la durée des festivités. Emissions que l’on peut retrouver dans le coffret DVD 2007.
Afrik.com : Le Fespam existe depuis 1996, mais il aura fallu attendre 2005 pour avoir les premières véritables images d’archives du festival. Comment expliquez-vous cela ?
Hassim Tall Boukambou : Les prestataires précédents n’ont peut être pas jugé utile de proposer ce type de support au festival. Ou peut être y a-t-il eu certains malentendus entre les différents acteurs du Fespam. Je ne sais pas … En tout cas, si on ne peut pas refaire le passé, on peut construire l’avenir. Et je crois que le travail entamé en 2005, du moins en ce qui me concerne, commence à porter ses fruits. Le simple fait qu’on puisse, par exemple, trouver des DVD du festival à la Fnac est déjà un grand pas. C’est un travail de fond, je ne suis pas un mercenaire de la communication, mais un professionnel qui entend travailler sur la durée. Au final, tout le monde en sort grandi : le festival, le Congo, l’Afrique et les Africains. J’ai patiemment construit un important réseau professionnel dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud, que j’ai à peine commencé à exploiter. Je pense que je peux encore beaucoup à apporter à mon continent, dès lors que j’ai de vraies marges de manœuvre. Je ronge mon frein depuis plusieurs années, mais il faut savoir se montrer patient.
Afrik.com : Quel a été, pour vous, le moment fort de l’édition 2007 ?
Hassim Tall Boukambou : Indéniablement la présence de feue Miriam Makeba (4 mars 1932, 9 novembre 2008, ndlr), alors marraine du festival. C’est une des plus grandes dames de la musique africaine et elle a illuminé le Fespam par sa simplicité, son humilité et son accessibilité. Je voudrais d’ailleurs lui dédier le coffret DVD 2007 où je lui ai consacré tout un reportage et une place de choix au montage.
Afrik.com : Concernant le coffret DVD 2007, d’aucun pourraient vous faire griefs de la qualité du son quelque peu inégale…
Hassim Tall Boukambou : Ce qui fait la qualité d’une production audiovisuelle c’est, en dehors de l’aspect artistique, la lumière et le son, qui n’étaient tout deux pas de notre ressort en ce qui concerne les concerts au stade. Nous avons fait au mieux pour corriger toute les faiblesses techniques, mais c’est un des points sur lequel j’essaierai de veiller pour l’édition 2009 en travaillant plus étroitement avec les personnes qui seront en charge du son et de la lumière. Pour avoir un bon rendu audiovisuel, c’est tout une chaîne de compétences, et il est important d’avoir une vraie synergie. Par exemple, il n’y a eu aucun problème sur les émissions télé où j’ai pu travailler avec une de mes équipes. On était forcément déjà bien rodés.
Afrik.com : Les productions audiovisuelles africaines sont souvent critiquées, hors du continent, pour leur qualité, disons, aléatoire. Est-ce dû à un manque de compétence ou à un manque de moyen ?
Hassim Tall Boukambou : Je pense avant tout que c’est une question de volonté et de responsabilité. Même s’ils s’en accommodent, les Africains ne sont pas dupes quant à la qualité des produits audiovisuels du continent. Le fait est, qu’avec le satellite et Internet, ils ont les moyens de comparer avec ce qui se fait ailleurs. On ne peut pas continuer à niveler par le bas. Il appartient aux professionnels africains de se hisser au niveau des standards internationaux en terme de qualité. Sinon les productions africaines continueront à s’exporter difficilement, en dehors des réseaux communautaires ou des seuls milieux afro. En cela, j’affiche volontiers un militantisme culturel à travers les exigences professionnelles que je peux avoir. En tant qu’Africain, j’estime qu’il faut être fier de notre culture et de notre patrimoine culturel et c’est pour moi une fierté de pouvoir les valoriser à travers les différents supports audiovisuels que je peux mettre en place.
Afrik.com : Est-il facile de travailler en Afrique ?
Hassim Tall Boukambou : Il est d’autant plus facile de travailler en Afrique quand on maîtrise certains codes culturels. Je trouve d’ailleurs dommage que nos pays ignorent trop souvent les professionnels du continent et de la diaspora en matière d’expertise. Après il faut souvent composer avec des timing serrés ou devrais-je dire des « non-timing », vu que les feux verts sont souvent donnés à la dernière minute. Dans ces conditions, c’est forcément un peu plus difficile de faire un véritable travail de qualité, ou alors ça revient plus cher. Quand les choses sont faites en temps et en heure, on a vraiment le temps de préparer et de planifier son action. C’est aussi un gage de crédibilité par rapport à des partenaires internationaux qui ont l’habitude que tout soit ficelé six mois, un an à l’avance.
Afrik.com : Vous estimez qu’on ne fait pas assez appel aux professionnels du continent. Mais n’y a-t-il pas finalement un problème de compétence ?
Hassim Tall Boukambou : Il y a beaucoup de compétences locales dont se privent nos pays. Je l’ai appris un jour à mes dépens. J’avais amené de France un monteur pour une de mes productions au Congo, avec tous les frais que cela implique. J’avais pris soin de doubler le poste avec un monteur congolais… qui travaillait deux fois plus vite. Il y a tout un réseau de compétences africaines que j’ai ainsi pu valider sur le terrain. Cela dit, il faut tout de même soulever un véritable paradoxe dont j’ai souvent été témoin. Il y a beaucoup de (très) bon matériel en Afrique, mais très peu de personnes qui savent s’en servir correctement. Ce qui soulève effectivement le lourd problème de la formation en Afrique.
Afrik.com : Avec votre discours, on est loin du simple prestataire audiovisuel…
Hassim Tall Boukambou : Oui, dans la mesure où les simples prestataires ne sont pas force de propositions. En tant qu’Africain et homme d’images, j’estime avoir une responsabilité qui dépasse la simple prestation, car en somme c’est l’image de l’Afrique et des Africains qui est en jeu. J’exerce d’ailleurs des activités de conseil en communication dont je ne parle pas beaucoup mais qui doivent, j’imagine, un peu déteindre sur mon travail de « prestataire » audiovisuel.
Afrik.com : Quelles sont finalement vos ambitions professionnelles ?
Hassim Tall Boukambou : Vendre médiatiquement l’Afrique à l’international en se hissant à des standards internationaux en matière de qualité. Vous savez, je crois que nous sommes à l’aube d’une nouvelle conscience africaine. Je fais partie d’une génération de personnes qui est née après les indépendances. Nous n’avons aucun complexe par rapport à l’Occident et nous voulons défendre notre propre vision de l’Afrique. Une Afrique qui nous ressemble, en dehors des clichés séculiers, même s’il est vrai que nous avons souvent donné le bâton pour nous faire battre.
Afrik.com : En dehors des DVD du Fespam, vous produisez également la collection Couleurs Urbaines sur les villes africaines et les Cahiers Découvertes sur les pays du Continent. Vous êtes plutôt prolifique. On parle souvent des industries de la culture, quel est votre business model ?
Hassim Tall Boukambou : Au départ, je faisais juste des clips vidéo… L’idée de réaliser des productions sur les villes et les pays africains répondait à une conviction basée sur mes propres envies. J’avais faim d’images d’Afrique et j’imaginais que je ne devais pas être le seul. Mais pas celles que les média occidentaux montrent à longueur de temps. Je voulais voir et partager, avec mes enfants, une Afrique plus vraie, plus optimiste, moins tragique. Alors, en 2005, j’ai investi tout ce que j’avais pour concrétiser deux productions (Brazzaville et Bamako). J’ai rapidement compris qu’elles répondaient finalement à un véritable besoin tant en Afrique qu’au sein de la diaspora. La demande existait, il ne me restait plus qu’à étoffer l’offre. J’ai ensuite fait Pointe-Noire, et je travaille actuellement sur Kinshasa, Luanda, Libreville et Douala pour Couleurs Urbaines. En ce qui concerne les Itinéraires Découvertes, j’ai déjà réalisé le Niger, le Burkina Faso et le Congo est en préparation.
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