Depuis presque quatre mois, un phénomène est observé sur les grandes artères de Kinshasa : des nouveaux cambistes échangent des billets de 50 et 100 Francs Congolais (FC) contre ceux de 500 FC et, de plus en plus, les petits commerçants s’adressent à eux pour avoir ces « petites coupures ». Sur le marché des changes informel congolais, le Franc congolais s’échange donc contre lui-même. Et aujourd’hui, Selon notre enquête de décembre 2010, la parité est fixée à un billet de 500 FC pour 400 FC en coupures de 100 FC ou 50 FC. Quelle est donc l’origine de ce phénomène et à quelles conséquences faudrait-il s’attendre ?
L’émission du Franc congolais, en 1998, est caractérisée par une économie essentiellement constituée de l’héritage des mauvais choix politiques ayant rendu le pays complètement dépendant des importations et qui ont favorisé des dévaluations successives des différentes monnaies émises dans le pays depuis 1960.
Selon la Banque Centrale du Congo (2007) dans sa publication La Banque Centrale du Congo, une rétrospective historique, à l’émission du Zaïre (Z) (1967), la parité était fixée à 1 Z pour 2 $ alors que les exportations entraient dans une longue phase descendante (1967-1977) relativement aux importations, montrant une insoutenabilité de cette parité qui a été révélée en 1993 avec 1 Z pour 0,00000011 $US après une longue succession des dévaluations. C’est le même scénario pour le Nouveau Zaïre (NZ) et le FC. A l’émission du NZ (1993), 1 NZ valait 0,33 $US alors qu’en 1998 déjà, il perdait la totalité de sa valeur d’émission, le pays traversant une période de pillage et d’hyperinflation qui a complètement détruit l’outil de production ; et aujourd’hui, le FC vaut presque 100 % moins que sa valeur d’origine. A l’émission en 1998, 1 FC valait 0,71 $US alors qu’en décembre 2010, cette valeur était descendue à 0,0011 $US à cause, à la fois, de la dépréciation externe générant une « inflation importée » sur les produits d’importation, et de l’inflation monétaire interne.
Or le fait est qu’en économie inflationniste, il arrive un seuil auquel il n’y a plus aucun bien échangeable contre un billet d’une valeur faciale donnée qui est faible : ce billet disparait de la circulation. Une situation que connait la RDC où, à ce jour, tous les billets à valeur faciale inférieure à 50 ont disparu de la circulation, et les billets de 50 et de 100 FC, dont l’offre est insuffisante, se raréfient, posant des problèmes dans les transactions des commerçants détaillants.
Cette raréfaction a occasionné le phénomène monétaire maintenant observé dans la ville de Kinshasa : le marché de change informel où le FC est échangé contre lui-même, un phénomène non prévu par la théorie économique.
Ce phénomène coïncide avec la campagne de la Banque Centrale du Congo (BCC) pour une bonne manipulation des billets de banque qui consiste aussi à échanger les nouveaux billets émis spécialement pour cette campagne, contre les anciens usés, mais à même valeur faciale. Il y a donc en stock, à la BCC, notamment une bonne partie des billets de 50 et de 100 FC émis.
Une autre enquête menée en fin janvier 2011 nous a révélé que ces nouveaux cambistes travaillent avec les agents de la BCC qui leur fournissent régulièrement et préférentiellement les billets nouvellement émis moyennant un paiement.
Conséquences
En partant de la loi de l’offre et de la demande, les conséquences économiques de ce phénomène sont simplement déduites. « Toutes choses restant égales par ailleurs, la quantité demandée augmente quand le prix baisse et vice versa ». En d’autres termes, cette loi stipule que lorsque la demande excède l’offre, il y a rareté relative, ce qui entraîne une hausse du prix.
En effet, il est de l’intérêt de ces nouveaux cambistes que les petites coupures soient de plus en plus rares, ce qui garantirait l’augmentation du taux de change. La rareté étant déjà observée, et avec les ménages et les petits commerçants ne pouvant pas, pour la plupart, payer le prix de la file d’attente en banque pour obtenir ces billets, il suffirait alors que les cambistes s’approvisionnent constamment à la BCC pour maintenir la rareté, et ainsi pérenniser le marché sous couvert de l’inattention notoire des autorités monétaires qui sont plutôt préoccupées par l’éternel ajustement des grands agrégats.
A court terme, il est fort possible que ces cambistes possèdent le monopole des petites coupures, ayant constaté l’augmentation de la préférence des ménages pour les billets à faible valeur faciale : ces derniers leur permettent de conserver leur pouvoir d’achat.
Malheureusement, l’amplification de la rareté se répercutera sur les prix des biens de première nécessité par le biais des comportements des commerçants détaillants qui, ayant constaté la rareté des coupures de 50 et 100 FC entre les mains des ménages, hausseront de plus en plus les prix des biens valant un billet de 50 Francs ou de 100 FC afin d’éviter les coûts liés aux opération de change, et ce, jusqu’à atteindre, à moyen terme, la valeur des billets à circulation normale (billets à grande valeur faciale). Et comme le prévoit la théorie économique, les ménages finiront par se réfugier vers le dollar américain en tant que réserve de valeur, d’où la nécessité de la concurrence monétaire.
Tout compte fait, les ménages courent, à moyen terme, le risque de perdre une partie de leur revenu, généralement incertain. Un risque que ne peuvent considérer une population non initiée à des telles analyses, ni malheureusement des autorités monétaires inattentives.
Kyayima Muteba Franklin est économiste à l’Université de Kinshasa.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org