C’est un sondage sans précédent qui vient d’être publié en République démocratique du Congo par le Bureau d’études, de recherches et consulting international (Berci) et le Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New York. Entre mai et septembre 2016, 7.545 personnes réparties dans toutes les provinces du pays ont répondu à quelque 150 questions. Résultat, une photographie riche d’enseignements sur l’état de l’opinion publique congolaise vis-à-vis de la situation politique.
Le premier résultat du sondage apporte un enseignement majeur : en cas d’élection présidentielle intervenant maintenant, Moïse Katumbi recueillerait 33 % des intentions de vote, loin devant Etienne Tshisekedi (18 %) et Joseph Kabila (7,8 %). Révélateur.
C’est une étude qui vient confirmer de manière objective ce que nombre d’observateurs constatent de façon subjective sur le terrain. Son ampleur est inédite (en durée, en nombre de personnes interrogées et de questions posées, etc.). Elle a été conduite par le Berci (un des rares instituts sérieux au Congo-Kinshasa, qui travaille avec les plus grandes organisations multilatérales – Banque mondiale… –, le Gouvernement congolais, les ONG internationales, etc.) et le Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New York, piloté par Jason Stearns, un chercheur renommé, réputé pour sa rigueur intellectuelle. En définitive, il en ressort des résultats nets qui, du coup, les situent au-delà de la marge d’erreur.
C’est donc un outil majeur pour décrypter et comprendre l’état de l’opinion publique congolaise aujourd’hui. Au final, quatre grands enseignements peuvent être tirés sur le plan politique :
la très forte impopularité de Joseph Kabila et de la MP ;
le rejet de toute éventuelle nouvelle candidature du Président sortant et du glissement ;
le plébiscite de l’opposition défavorable au dialogue du camp militaire Tshatshi ;
l’irrésistible montée en puissance de Moïse Katumbi, qui s’impose comme l’alternative politique la plus crédible face à Joseph Kabila.
1) La très forte impopularité de Joseph Kabila
En cas d’élection présidentielle, Joseph Kabila (s’il se représentait) ne recueillerait que 7,8 % des intentions de vote à l’échelle nationale. Soit un taux de rejet très fort pour le Président sortant, qui est encore plus accentué dans l’ex-Katanga (7 %), province dont il est originaire et qui est réputée être son fief électoral (il y avait recueilli plus de 90 % des suffrages en 2011).
Mécaniquement, l’impopularité de Joseph Kabila rejaillit sur l’ensemble de la majorité présidentielle (MP), dont les principaux lieutenants ne dépassent pas la barre des 2 % dans les intentions de vote. C’est le cas notamment de Matata Ponyo, le futur ex-Premier ministre (1,8 %), d’Évariste Boshab, le vice-Premier ministre de l’Intérieur (0,8 %) ou encore d’Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale (0,7 %). Au sein de la MP, le plus faible score d’impopularité est celui d’Olive Lembe Kabila (2,6 %). Un temps pressentie pour être la dauphine de son mari, la femme du Président bénéficie sans doute de l’effet « Première dame ».
2) Corolaire de la forte impopularité de Joseph Kabila, le rejet massif de toute éventuelle nouvelle candidature du chef de l’Etat sortant et de tout glissement
81 % des Congolais interrogés sont contre une révision constitutionnelle qui permettrait à Joseph Kabila de briguer un troisième mandat. Seuls 16,1 % y sont favorables. Et encore, le résultat aurait pu être pire sans les scores enregistrés dans les trois provinces suivantes : le Sankuru (56 %), le Lualaba (45,6 %) et le Haut-Katanga (28,8 %). L’impopularité du Président sortant est donc diffuse dans l’ensemble du pays.
Farouchement opposés à un troisième mandat de Joseph Kabila, les Congolais sont aussi vigoureusement contre toute idée de glissement. Pour 82 % des sondés, « le président Kabila devrait quitter ses fonctions d’ici la fin de l’année 2016 », son second et dernier mandat présidentiel arrivant à terme le 19 décembre à minuit.
Et si d’aventure le glissement était inévitable, 41 % des Congolais interrogés estiment que l’élection présidentielle devrait être organisée en 2017 au plus tard. Seuls 13,7 % d’entre eux estiment que le report peut aller jusqu’en 2018. Un camouflet pour les signataires de l’accord politique issu du dialogue.
3) Face à une majorité décrédibilisée, une opposition plébiscitée
Une majorité de Congolais se dit favorable à une solution négociée et donc à la participation au dialogue de l’opposition et de la société civile (NDLR : l’enquête a été réalisée avant la conclusion de l’accord très décrié du 18 octobre 2016). Toutefois, 55 % d’entre eux soutiennent les candidats issus des partis politiques qui n’ont pas pris part à l’accord politique issu du dialogue. Ainsi, si on cumule les intentions de vote, le duo Katumbi-Tshisekedi domine très largement le couple Kabila-Kamerhe par 51 % contre 15 %.
4) Moïse Katumbi, leader naturel de l’opposition et Président en puissance
Plébiscité dans l’ex-Katanga, son fief dans lequel il est ultra-populaire, Moïse Katumbi l’est aussi – et surtout – à l’échelle du pays tout entier. Il enregistre une moyenne très élevée en termes d’intentions de vote dans chacune des 26 provinces. Un résultat qui bat totalement en brèche la thèse de ses adversaires selon laquelle sa popularité ne dépasserait pas les frontières de l’ex-province du Katanga dont il a longtemps été l’emblématique Gouverneur.
Clairement, Moïse Katumbi apparaît comme un leader national. Mieux, avec un total de 33,3 % des intentions de vote, le Président du Tout Puissant Mazembe se hisse à la première place des intentions de vote, loin devant… Etienne Tshisekedi, crédité d’un score honorable de 18 %.
Selon un professeur en sciences politiques de l’UniKin, « Katumbi et Tshisekedi sont dans un rapport non pas de rivalité, mais de complémentarité ». L’écart entre les deux hommes s’explique par le fait que « compte tenu de leur différence d’âge, les Congolais ont conscience que l’avenir politique s’écrira davantage avec Moïse Katumbi, même s’ils ont un profond respect pour la combativité et l’intransigeance du Sphinx ». « Tshisekedi, à bientôt 84 ans, a pour principale ambition d’assoir la démocratie au Congo et d’y garantir l’alternance. C’est son dernier combat. Il n’est pas à la recherche d’un poste. Il veut marquer l’Histoire. Pour le reste, le témoin devrait être transmis à Moïse Katumbi, que les Congolais perçoivent un peu comme le fils spirituel de Tshisekedi », analyse-t-il, avant de conclure : « dans l’esprit de la population, ils forment un bloc indivisible ».
Selon les auteurs du sondage, le score élevé de Moïse Katumbi s’explique également par le fait qu’il constituerait aux yeux des Congolais le meilleur rempart face à Joseph Kabila. Un sentiment partagé par la MP qui depuis plusieurs mois a fait de Katumbi l’ennemi public numéro un, l’homme à abattre.
Derrière le peloton de tête constitué de Moïse Katumbi et d’Etienne Tshisekedi, figure loin derrière, décroché, Vital Kamerhe. Avec 7,5 % seulement des intentions, le leader de l’UNC enregistre un score légèrement inférieur à celui de la présidentielle de 2011 (7,7 %). Il peine ainsi à se défaire de son statut de leader régional, confiné à Bukavu et à la province du Sud-Kivu. En outre, ce sondage ayant été réalisé avant la fin du dialogue, dont les conclusions ont nettement contribué à ternir l’image d’opposant que Vital Kamerhe s’était patiemment construit, il est probable que, depuis, sa popularité se soit encore affaissée.
L’initiative d’un tel sondage, qui fera sans doute des émules, a été louée par de nombreux membres de la communauté universitaire, balayant ainsi tout début de polémique inhérent à ce genre d’exercice. La société civile congolaise s’en est, elle aussi, félicitée. « Pour ceux qui sont sensés, ce sondage renferme bien des leçons : qui vaut quoi, qui pèse quoi. Surtout, il montre que ce peuple n’est pas dupe », a déclaré La Lucha sur son compte Twitter.
Au Congo-Kinshasa, le divorce semble irrémédiablement consommé entre le peuple et le pouvoir, tant le désir d’alternance apparait profondément ancré dans la population. Le jusqu’au-boutiste Joseph Kabila aura beau compter sur le soutien de sa Garde républicaine et de ses pairs de la sous-région pour s’accrocher à son poste, il lui sera sans doute difficile d’ignorer très longtemps la volonté de l’écrasante majorité des Congolais – soutenue par la communauté internationale – qui souhaite le voir partir. En RDC, le glissement pourrait se révéler n’être au final qu’une légère glissade.