
L’arrivée de Joseph Kabila à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, en pleine guerre contre le M23, continue de susciter de nombreuses interrogations dans l’opinion publique congolaise. Lors d’un point de presse tenu à Lubumbashi ce samedi 19 avril, Patrick Muyaya, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a livré une réaction mesurée mais lourde de sous-entendus.
« Moi, je ne l’ai pas vu, mais j’ai entendu. Nous avons lu les articles. Nous attendons de le voir et de l’écouter ». Ainsi s’exprimait, ce samedi, Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais, au sujet de l’arrivée de Joseph Kabila à Goma vendredi. Au-delà de cette prudence diplomatique, les propos de Patrick Muyaya trahissent une tension sous-jacente : que signifie réellement cette présence — ou ce retour — de l’ancien Président dans une zone à haute valeur symbolique et stratégique ? Et pourquoi cette apparition survient-elle maintenant, alors que la République démocratique du Congo est engagée dans une lutte acharnée contre une rébellion soutenue, selon Kinshasa, par le Rwanda ?
Goma, théâtre de guerre et de mémoire
Goma n’est pas une ville comme les autres. Elle est le centre névralgique d’une région en guerre, mais aussi un lieu de mémoire pour Joseph Kabila, qui y avait affronté militairement le M23 durant son mandat. En rappelant cela, Patrick Muyaya replace l’ancien Président dans le rôle de défenseur de l’intégrité nationale qu’il a tenu : « N’oublions pas que le Président Kabila lui-même a combattu le M23 alors qu’il était commandant suprême des forces armées de la RDC ».
Ce rappel du passé n’est pas anodin. Il sert à légitimer le discours actuel du gouvernement, qui insiste sur l’unité nationale face à un ennemi clairement identifié. Il permet aussi de rappeler que la lutte contre les agresseurs étrangers n’est pas née sous Félix Tshisekedi, mais s’inscrit dans une continuité historique où Joseph Kabila a, lui aussi, tenu sa part.
Une présence ambivalente
Mais si Kabila revient à Goma, c’est dans quel but ? Et avec quelle intention politique ? Depuis plusieurs mois, des rumeurs font état de sa proximité avec l’Alliance des Forces du Changement (AFC), une plateforme d’opposition qui critique vivement la gouvernance actuelle. Félix Tshisekedi lui-même avait évoqué publiquement cette possible alliance. Le silence persistant de l’ancien Président lui-même sur ces accusations ne fait qu’alimenter les spéculations. C’est sans doute ce qui explique la mise en garde, subtile, de Patrick Muyaya : « Il est important que, dans les actes posés par son successeur, [le serment de Laurent-Désiré Kabila de ne jamais trahir le Congo] ne soit pas trahi ».
L’évocation du père, Laurent-Désiré Kabila, figure martyre et libératrice de la nation congolaise, fait écho à une forme d’exhortation morale : Joseph Kabila doit, en tant qu’héritier politique, continuer à défendre l’unité du pays plutôt que de contribuer à son émiettement, symbolique ou réel.
Un appel à l’unité dans un contexte de guerre
Le message du porte-parole du gouvernement se veut donc clair : il faut se garder de toute division dans un contexte aussi critique pour la nation. Il appelle à l’unité, et invite chaque Congolais à participer à l’effort de guerre, au-delà des clivages partisans : « Cette guerre ne concerne pas uniquement le président Félix Tshisekedi ». Ce faisant, le gouvernement cherche à mobiliser non seulement les forces de sécurité, mais aussi les citoyens et les anciens responsables politiques, dans un élan patriotique partagé.
En refusant de confirmer ou d’infirmer la présence de Joseph Kabila, le porte-parole du gouvernement adopte une stratégie d’attente. Il ménage le flou, peut-être pour éviter de politiser davantage la situation sur le terrain ou pour laisser à l’ancien Président l’opportunité de clarifier lui-même ses intentions. Cette prudence diplomatique évite aussi de raviver les tensions entre l’actuel pouvoir et le camp kabiliste, toujours influent dans plusieurs provinces du pays, notamment au Katanga, d’où Muyaya est lui-même originaire.
Silence, mémoire et symboles
La situation est donc à la fois stratégique et symbolique. Goma devient le théâtre d’un face-à-face silencieux entre deux figures majeures de l’histoire politique récente de la RDC. D’un côté, un Président en exercice engagé dans une guerre existentielle ; de l’autre, un ancien chef d’État qui reste énigmatique, mais dont la parole — ou l’absence de parole — peut résonner fortement dans l’imaginaire collectif congolais.
Ce qui se joue à Goma n’est pas qu’une affaire de présence physique. C’est un combat autour de la légitimité, de la continuité historique, et de la fidélité au serment de ne jamais trahir le Congo.