RDC : quand les institutions dévorent les richesses nationales


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Disparité des revenus en RDC
Disparité des revenus en RDC

Dans un pays regorgeant de richesses minérales et naturelles, la population congolaise continue de vivre dans l’extrême pauvreté tandis que les institutions politiques se partagent un festin budgétaire indécent. Le récent rapport du Réseau panafricain UNIS et de Congo n’est pas à vendre (CNPAV) dévoile l’ampleur de ce pillage institutionnalisé qui hypothèque l’avenir de toute une nation.

La République démocratique du Congo (RDC) est souvent décrite comme un « scandale géologique » en raison de ses ressources minières et naturelles inestimables. Pourtant, ce potentiel économique colossal contraste violemment avec la précarité de sa population. En 2023, 74,6% des Congolais vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour, selon la Banque mondiale. Ce paradoxe révèle un mal profond et systémique : une élite politique qui accapare méthodiquement les richesses nationales au détriment du développement et du bien-être du peuple.

Un pays riche, une population pauvre

Le récent rapport du Réseau panafricain de lutte contre la corruption UNIS, en collaboration avec Congo n’est pas à vendre (CNPAV), met en lumière un système budgétaire fondamentalement inéquitable où les institutions politiques consomment bien plus qu’elles n’investissent dans des projets de développement. L’analyse des données est sans appel : les dépenses de fonctionnement des institutions ont été exécutées à 121,7% au premier semestre 2024, alors que les investissements publics, eux, n’ont été financés qu’à 29,6%. Cette disparité flagrante illustre comment l’argent qui pourrait être utilisé pour construire des infrastructures essentielles, améliorer les écoles ou moderniser les hôpitaux est systématiquement absorbé par une administration vorace et inefficace.

Des salaires exorbitants pour les élites politiques

L’une des inégalités les plus choquantes révélées par ce rapport concerne l’écart vertigineux des rémunérations. Un député national congolais perçoit environ 21 000 dollars par mois, soit plus de 200 fois le salaire d’un enseignant, qui peine à toucher 100 dollars mensuels. Cette opacité savamment entretenue autour des salaires des élites politiques permet une dilapidation systématique des ressources publiques sans que la population ne puisse exiger une véritable redevabilité.

À titre de comparaison, un député français perçoit environ 7 500 euros brut par mois (soit environ 8 100 dollars), ce qui représente environ 5 fois le salaire minimum dans le pays, tandis que son homologue congolais en gagne près de trois fois plus, dans un pays où le PIB par habitant figure parmi les plus bas du monde. Un gouffre non seulement statistique mais profondément indécent sur le plan moral.

Des institutions budgétivores et opaques

Le budget de la Présidence de la République en RDC constitue un véritable gouffre financier aux contours mal définis. Entre janvier et juin 2024, la Présidence a déjà englouti 261,5 millions de dollars, atteignant 99% de son budget annuel prévu en seulement six mois. Cette situation aberrante a nécessité une augmentation des crédits budgétaires en cours d’année, révélant une gestion inefficace et un manque flagrant de discipline budgétaire à tous les niveaux de l’exécutif.

Le rapport épingle également les « fonds spéciaux d’intervention« , une ligne budgétaire délibérément obscure qui permet aux institutions de s’octroyer des sommes considérables sans justification claire ni contrôle effectif. L’Assemblée nationale illustre parfaitement cette dérive avec 540 millions de dollars placés sous cette rubrique en 2024, représentant 69% de son budget total. Ces mécanismes d’autofinancement opaque constituent le cœur d’un système conçu pour l’enrichissement d’une minorité privilégiée.

Un débat politisé mais sans réelle volonté de réforme

Le débat sur la réduction du train de vie des institutions en RDC est régulièrement instrumentalisé par la classe politique, sans jamais déboucher sur des actions concrètes. Plusieurs figures de l’opposition, comme Delly Sesanga ou Martin Fayulu, dénoncent ces abus et proposent des mesures drastiques, telles que la réduction de moitié des émoluments des élus ou la suppression des agences inutiles qui prolifèrent dans le paysage administratif congolais. Pourtant, ces propositions restent lettre morte face à un système verrouillé par ceux-là mêmes qui en bénéficient.

Même au sein du pouvoir, les déclarations d’intention ne se traduisent jamais en actions concrètes. En 2022, le président Félix Tshisekedi avait solennellement promis de publier les salaires des agents de l’État, « du Président jusqu’au dernier huissier« , mais trois ans plus tard, cette transparence demeure totalement inexistante, confirmant l’absence de volonté politique réelle de transformer le système.

Les répercussions sociales et économiques

Ce pillage organisé des finances publiques engendre des conséquences directes et dévastatrices sur la vie quotidienne des Congolais. Le système sanitaire congolais se trouve dans un état de délabrement avancé, avec des infrastructures vétustes et une couverture médicale quasi inexistante pour la majorité de la population, conduisant à une espérance de vie parmi les plus basses au monde.

Dans le domaine éducatif, la crise est tout aussi profonde, avec des enseignants chroniquement sous-payés qui doivent souvent exercer d’autres activités pour survivre, et des établissements manquant cruellement de matériel pédagogique de base. Pendant ce temps, l’insécurité alimentaire progresse inexorablement dans les régions rurales, conséquence directe du sous-investissement chronique dans le secteur agricole, pourtant essentiel dans un pays au potentiel agronomique immense.

Des pistes pour une réforme budgétaire urgente

Face à cette situation alarmante qui hypothèque l’avenir de tout un peuple, le rapport propose plusieurs axes de réforme pour rationaliser les dépenses publiques et rediriger les ressources vers les besoins réels de la population. Une réduction significative de la taille du gouvernement et des cabinets ministériels pléthoriques s’impose comme première mesure d’assainissement, complétée par la suppression des nombreuses agences redondantes qui servent principalement de postes de rente pour les proches du pouvoir. Le rapport préconise également un encadrement strict des missions officielles et des frais de fonctionnement qui constituent actuellement une source majeure de gaspillage des deniers publics.

La transparence totale sur les salaires et avantages des élus et membres du gouvernement représente un préalable indispensable à toute réforme crédible, permettant enfin un investissement prioritaire et massif dans les secteurs sociaux et productifs qui peuvent réellement transformer les conditions de vie des Congolais.

Un test pour la démocratie congolaise

Si la RDC veut réellement amorcer un développement inclusif après des décennies de prédation, elle devra impérativement s’attaquer à ce système de prédation institutionnalisée qui mine ses fondements mêmes. La population congolaise, de plus en plus consciente et informée malgré les difficultés d’accès à l’information, attend des actions concrètes et non de simples discours politiques.

Réduire drastiquement le train de vie des institutions signifierait permettre une redistribution plus juste des richesses immenses du pays. Le combat pour une gouvernance plus éthique et responsable est loin d’être gagné dans un environnement politique encore largement dominé par la recherche d’intérêts personnels, mais il est devenu impératif pour sortir la RDC du cycle infernal de pauvreté et d’instabilité dans lequel elle est enfermée depuis son indépendance. L’avenir du pays dépend désormais de sa capacité à transformer radicalement ses institutions pour les mettre véritablement au service du peuple congolais.

Cet article s’appuie sur les données et conclusions du rapport « Train de vie des institutions en RDC : Le pillage systématique des revenus nationaux par les élites politiques », tout en apportant une contextualisation historique et une réflexion sur les réformes nécessaires pour l’avenir du pays.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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