En République démocratique du Congo (RDC), près de 200 000 femmes ont été victimes d’abus sexuels depuis 1996. Ce qu’on sait moins, c’est que de plus en plus d’hommes sont également violés
«Il était environ onze heures du soir, lorsque des hommes armés sont entrés dans ma hutte. Ils m’ont mis une machette sous la gorge et ont baissé mon pantalon. J’ai essayé de me débattre mais ils m’ont jeté par terre et m’ont violé ». Ces propos rapportés par The New York Times ne viennent pas d’une femme, mais d’un homme. M. Ziwa, qui a accepté de témoigner pour le quotidien américain, est en effet un pygmée de la région de Goma, la capitale provinciale du Nord Kivu. Dans cette partie de la République démocratique du Congo ravagée par les conflits armés, les violeurs déchainés ne font désormais que peu de cas du sexe de leurs victimes.
La situation des femmes, dont 200 000 ont été victimes de violences sexuelles depuis 1996 dans la région, était déjà plus que préoccupante. Il va désormais falloir se pencher aussi sur celle des hommes. « Ce problème a été porté à ma connaissance pour la première fois en avril dernier. Je me trouvais à la garnison de Goma pour assister une femme dans son procès pour viol. J’ai eu des sueurs froides lorsque des hommes se sont plaints d’avoir été violés. Nous les avons encouragés à tout raconter dans les détails. C’est comme cela qu’on a commencé à prendre le problème en considération», explique à Me Janvier Mutumbi, un avocat congolais officiant à Goma.
Les trois plaignants étaient des pygmées, ces hommes de petites tailles qui depuis la nuit des temps vivent au cœur des forêts africaines. Les faits se sont passés en juin dernier. « L’un d’eux est chef de son village. Il a raconté avoir été violé en présence de sa femmes et de ses enfants par plusieurs hommes, lesquels se sont ensuite attaqués à toute sa famille, qui a subi le même sort », ajoute l’avocat. Pour Marcel Stoessel chef de la mission d’Oxfam à Goma, le phénomène a pris une ampleur inquiétante en janvier dernier, au moment de l’opération conjointe des armées congolaise et rwandaise contre les rebelles du Nord-Kivu. Ce qui est paradoxale. « Ces opérations avaient pour but de sécuriser les populations civiles, non de les violenter », se plaint-il.
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Au rang des coupables, il y a aussi bien des éléments indisciplinés de l’armée congolaise, que des membres des différents groupes rebelles – Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)- et même les miliciens Maï Maï, qui servent d’habitude de supplétifs à l’armée congolaise. Les trois quarts des personnes condamnés pour viols, tous sexes confondus, seraient ainsi des militaires. Pour les rebelles, le viol est avant tout une arme de guerre. « Ils sont animés par l’esprit de destruction. Ils utilisent le viol également comme une arme, pour détruire psychologiquement leurs victimes et obtenir leur soumission », analyse un avocat de Goma. Le choix des victimes pygmées s’explique en partie par la recherche des pouvoirs magiques qu’on leur attribue. En les sodomisant, les guerriers espèrent acquérir le don de l’invulnérabilité, appelé « Kilemba », qu’ils possèderaient.
Comme les femmes, les hommes violés sont psychologiquement et physiquement ravagés. Mais, en plus, ils doivent affronter la déchéance sociale. Dans une région où ils conservent encore le statut de chef de famille, et où l’homosexualité est considérée comme une malédiction, être sodomisé revient pour un homme à perdre sa place dans la société. On les raille, on les rejette. « Tu n’es plus un homme à présent. Ces hommes dans la brousse ont fait de toi leur femmes », s’est entendu dire un des hommes interrogés par le New York Times. D’où le surnom « d’épouses de la brousse ».
Selon Me Mutumbi, les violeurs profitent de l’impunité et de la corruption pour continuer à sévir. Dans un cas où il défendait une femme raconte-t-il, il a fallu qu’il insiste auprès du juge pour que ce dernier rende sa décision, plus de cinq mois après avoir mis l’affaire en délibéré. Et la peine infligée à l’accusé a surpris l’avocat. « Le juge l’a condamné à 11 mois de prison et 100 dollars d’amende, alors qu’en cas de viol, la loi fixe le minimum à cinq ans de prison », explique-t-il. Selon lui, la corruption gangrène le corps judiciaire, et des magistrats accepteraient des pots-de-vin pour remettre en liberté des personnes arrêtées pour viol. Pour les Nations Unies, le Nord-Kivu est la capitale mondiale de ce délit.
Des condamnations exemplaires ont pu toutefois été prononcées dans quelques cas. Reconnus coupables d’autres crimes, les militaires qui avaient violés des pygmées ont tous été condamnés à perpétuité. La pression internationale pourrait également pousser le gouvernement congolais à agir avec plus de fermeté. Lors de sa visite Mardi à Goma, Hillary Clinton la Secrétaire d’Etat américaine a exhorté le président Kabila à mettre un terme aux violences sexuelles. Celui-ci déclarait peu avant qu’il appliquerait désormais la politique de la tolérance zéro, principalement en cas de crimes sexuels. On attend de voir.