En RDC, depuis 1960, le 30 juin est synonyme de fête de l’indépendance. Traditionnellement, l’événement donne lieu à un discours du chef de l’Etat retransmis à la télévision, ainsi qu’à un défilé militaire. Cette année, la 57ème depuis l’indépendance, ni l’un ni l’autre de ces événements n’a eu lieu. Explications.
Un fait sans précédent. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, en janvier 2001, le président Joseph Kabila n’a pas prononcé de discours à la RTNC à l’occasion des célébrations du 30 juin. « Je regrette que, pour des raisons de santé, je ne puis, cette année, vous adresser mon message de manière traditionnelle », a-t-il indiqué dans un communiqué diffusé dans la soirée du 29 juin sur le compte Twitter de la présidence. En guise d’explications, Joseph Kabila a invoqué « des raisons de santé ». Très vite, la machine à rumeurs s’est mise en route à Kinshasa. Puis, des informations ont commencé à circuler. Celles-ci permettent de fournir un début d’éclairage sur des faits loin d’être anodins…
Pourquoi le défilé du 30 juin a-t-il été annulé ?
Déjà en 2012 et 2013, le défilé militaire du 30 juin avait été déprogrammé en raison du conflit dans l’est contre le M23, un mouvement rebelle pro-rwandais. Cette année encore, c’est l’argument sécuritaire qui a servi de justification à l’annulation de la manifestation, comme l’a indiqué à Reuters Jean-Pierre Kambila, le directeur adjoint du cabinet du chef de l’Etat.
Une excuse officielle, semble-t-il. Car, en réalité, Joseph Kabila tenait à ce que ce défilé ait lieu. Il souhaitait d’ailleurs en faire une « démonstration de force ». Mais son carré de fidèles l’en a dissuadé sur la base des renseignements fournis par les services de sécurité congolais. Le risque qu’un militaire, à l’occasion de ce défilé, ne retourne son arme contre le Président de la République a été jugé trop élevé pour ne pas être couru. « Joseph Kabila se méfie de la garde républicaine, qui le lui rend bien », confirme de façon lapidaire un officier (lire à ce sujet notre article « RDC : et si la Garde républicaine lâchait Joseph Kabila ? »).
Cette méfiance de Joseph Kabila envers la Garde républicaine, les autres corps de l’armée en ont auparavant été victimes. En partie désarmés, ceux-ci ont été progressivement écartés des cercles du pouvoir. Pour mieux affaiblir cette « grande muette » dont il craint par-dessus tout qu’elle ne se retourne un jour contre lui, le chef de l’Etat a même suscité la création de quatre zones de défense parallèles (est, ouest, centre-sud et centre nord) dont la principale caractéristique est d’être hors hiérarchie. Les commandants de ces zones répondent en effet, non pas au chef d’état-major, mais au président directement, et aucun lien d’autorité ne lie les uns aux autres. Un dispositif mis en place en prévision de décembre 2016 au moment où Joseph Kabila, dont le second mandat arrivait à échéance (le 19 du mois), craignait que l’armée ne se ligue avec le peuple pour le renverser.
Ce manque désormais général de confiance envers l’armée témoigne d’un climat de paranoïa qui s’est peu à peu installé au Palais de la Nation. Depuis quelques mois, Joseph Kabila a changé ses habitudes : modification de parcours au sein du palais présidentiel, équipes prévenues à la dernière minute lors de ses déplacements en province, jusqu’à ses venues – rarissimes désormais – à Kingakati, sa ferme qu’il affectionne tant. Depuis décembre 2016, Joseph Kabila ne s’y est rendu qu’à trois reprises. « Il craint particulièrement les quelque 80 kilomètres qui sépare sa ferme de la présidence. Sur le trajet, tout peut arriver et il le sait », indique un responsable de la sécurité de la ville de Kinshasa.
Pourquoi Joseph Kabila n’a-t-il pas prononcé de discours télévisé ?
Si des raisons de sécurité liées non pas à la situation très troublée dans le pays mais à des menaces pesant sur sa personne ont conduit Joseph Kabila à déprogrammer le défilé militaire, les motifs de l’annulation de son discours télévisé sont, eux, plus obscures. Une certitude en revanche : les raisons de santé qu’il a invoquées pour ne pas s’être livré à l’exercice cette année ne tiennent pas. Tout d’abord, il lui aurait été possible d’enregistrer son allocution quand bien même il aurait été souffrant plutôt que de la prononcer en direct. Mieux, il aurait à tout le moins pu délivrer un message écrit plus long que le message très succinct, s’apparentant à un mot d’excuses, qu’il a fait diffuser via le compte Twitter de la présidence.
Ensuite, pour quelqu’un de souffrant, l’agenda du chef de l’Etat RD congolais a été pour le moins chargé ces dernières 48 heures. Revenu à Kinshasa très tôt le matin dans la nuit de mercredi à jeudi après son séjour à Lubumbashi, Joseph Kabila a enchaîné les rendez-vous durant la journée du 29 juin. Il a successivement reçu le Premier ministre, Bruno Tshibala, le ministre de l’Intérieur, Emmanuel Ramazani Shadary, celui de la Défense, Crispin Atama Tabe, le ministre des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu, ainsi que le patron de l’ANR, Kalev Mutond. Le lendemain, son rythme de rendez-vous a été tout aussi frénétique. Dès le matin, ont défilé dans son bureau les plus hauts responsables de l’appareil sécuritaire RD congolais : Kalev Mutond à nouveau, le général Didier Etumba Longila, le chef d’état-major général des FARDC, le général-major Dieudonné Banze Lubunji, son chef d’état-major particulier, ainsi que le général Delphin Kayimbi, le chef de la DEMIAP, les services de renseignements militaires, et le général John Numbi, l’inspecteur général de la Police nationale. Ce n’est que sur les coups de 17h00 que Joseph Kabila a quitté son bureau.
Si ce n’est une raison médicale, qu’est-ce qui diable a bien pu pousser le chef de l’Etat à annuler son discours télévisé ? « C’est lui-même qui a pris cette décision », tient à préciser une source qui le côtoie quasi-quotidiennement. Pourquoi ? Selon d’autres indiscrétions, Joseph Kabila serait « mal dans sa peau ». « C’est vrai. Il perd confiance », nous confirme notre source. « La situation se tend et il n’a plus de stratégie ou plutôt il en a plusieurs au gré des événements, ce qui revient à dire qu’il n’en a pas véritablement », poursuit-elle avant de conclure : « il y a un réel malaise. Le président ne dort plus. Il n’est qu’à voir les lourdes cernes qu’il a sous les yeux ».
Et si pour une fois le silence du Président Joseph Kabila, d’ordinaire impénétrable, en disait long sur la situation…