RDC, Me Martin Milolo Nsenda : « Il est clair que de bonnes élections ne pourront être organisées le 20 décembre 2023 »


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Martin Milolo Nsenda
Martin Milolo Nsenda

En RDC, la fièvre électorale bat son plein. Depuis le 19 novembre 2023, les candidats parcourent le pays pour aller à la rencontre des électeurs. Mais, la campagne en cours ne se déroule pas sans anicroche. Des actes de violence, d’affrontements avec perte en vie humaine ont été observés. Des candidats de l’opposition dénoncent des entraves placées sur leur chemin par le camp du Président Félix Tshisekedi, candidat à sa propre succession. Nous faisons le point de ces 25 jours de campagne avec Me Martin Milolo Nsenda. Avocat au barreau de Kinshasa/Matete, il est également un activiste des mouvements citoyens, et coordonnateur du mouvement Forum Citoyen (FC).

Entretien

Ce mercredi 13 décembre 2023, cela fait 25 jours que la RDC vibre au rythme de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle. Comment appréciez-vous le déroulement global de cette campagne ?

La campagne se déroule dans un climat socio-politique très tendu, marqué par des actes d’intolérance et des incidents contre certains opposants comme Moïse Katumbi dont les meetings ont été perturbés à Kindu, la semaine antérieure, à Kinshasa la semaine passée et hier, à Moanda, dans la province du Kongo-central. Il faut aussi noter que des discours radicaux, identitaires et tribalistes ont émaillé cette campagne. D’autres candidats comme Martin Fayulu et Denis Mukwege sont bloqués (respectivement à l’Équateur et au Sud-Kivu) à cause d’une pénurie de carburant.

Bloqués vous dites ? Est-ce à dire que c’est une pénurie voulue ?

Absolument. C’est une mesure bien mûrie et mise en place pour contrer la campagne des candidats de l’opposition. Parce qu’au-delà de ça, il y a des actes d’affrontements. On vient encore de nous signaler des cas d’affrontements entre les partisans du parti au pouvoir qui attaquent les cortèges, les manifestations des candidats de l’opposition. D’ailleurs, l’un des partisans de Martin Fayulu vient de me le confirmer. La pénurie, c’est pour éviter que les opposants se mobilisent trop et qu’ils puissent aller contredire le chef là où il est passé. En clair, lorsque le Président candidat est passé quelque part, il ne faut pas permettre à ce que des opposants aillent dans les mêmes endroits apporter des messages contraires au sien.

La stratégie vise donc à limiter la mobilité des opposants. C’est dans ce sens que nous comprenons cela, sans oublier que le camp du Président utilise même les moyens de l’État pour battre campagne, ce qui n’est pas admis. Il y a aussi les cas des membres du gouvernement qui ont postulé pour les Législatives nationales et Provinciales, mais sans démissionner de leur poste comme l’exige la Constitution congolaise. Ce sont autant d’éléments qui nous prouvent qu’il s’agit d’une stratégie bien réfléchie pour essayer de lier les mains de l’opposition.

Quels sont les principaux sujets abordés au cours de cette campagne ?

Parmi les sujets abordés, il y a la sécurité à l’Est du pays, le chômage, la diplomatie avec un accent particulier sur les relations entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, souvent impliqués dans la déstabilisation de la partie orientale du territoire congolais, les infrastructures, l’agriculture et le climat des affaires. L’environnement et climat reviennent timidement dans les propos de certains candidats.

L’ombre de la fraude couvre toujours les résultats des élections de 2018. Aller en ordre dispersé, c’est ouvrir la voie à la victoire du Président candidat

Aucun des candidats ne présente, de manière concrète, claire et cohérente, son programme de gouvernement. Il faut souligner que certains candidats sont même inaudibles ou ne font pratiquement pas la campagne. L’explosion des candidatures aux différents scrutins témoigne que l’attractivité de la scène politique congolaise est d’abord basée sur le besoin de survie économique et non celui de la mise en place de politiques publiques devant booster le développement économique du pays.

À la suite des actes de violence que vous avez d’ailleurs rappelés dans cet entretien, craignez-vous pour le déroulement pacifique des élections ?

Oui. Nous craignons l’affrontement pendant ce processus électoral qui risque de conduire même vers la guerre civile à l’image des tensions qu’on observe actuellement entre Kasaiens et Katangais dans l’espace grand Katanga. Nous avons, à plusieurs reprises, appelé à l’apaisement et nous venons de mettre en place une mission de bons offices de la société civile pour amener les parties prenantes au processus électoral (y compris la CENI) à signer un acte d’engagement pour préserver la paix et la cohésion nationale. Cette mission est une solution pour combler le vide créé par la non-signature du code de conduite proposé par la CENI.

Qu’en est-il des doutes qui persistent sur la tenue à bonne date du scrutin à la suite des dernières difficultés logistiques évoquées par la CENI ?

Il est clair que de bonnes élections ne pourront être organisées le 20 décembre 2023 (dans une semaine). La CENI a écrit au président de la République et au gouvernement pour présenter les défis logistiques et financiers, et demander l’appui en avions pour déployer les matériels sensibles et le personnel. Il faut souligner la période pluvieuse couplée à la détérioration du réseau routier congolais ne faciliteront pas une mobilité accélérée pour tenir le délai constitutionnel. Si les parties prenantes ne lèvent pas une option politique d’un report pour la tenue de bonnes élections, on se dirige vers un scrutin chaotique certain.

L’opposition n’a pas réussi à désigner un candidat unique. Est-ce un échec de sa part ?

L’élection à un tour, qui a été instaurée en RDC après la révision constitutionnelle de 2011, oblige l’opposition à faire bloc, à coaliser pour maximiser ses chances de gagner, mais cette option ne marche pas en RDC. C’est un échec stratégique, à mon avis, pour l’opposition. On parle de la situation de 2018 où malgré la division de l’opposition, elle a quand même gagné, car l’un des opposants a été proclamé vainqueur. Mais, il me semble que la situation de 2023 est différente de celle de 2018, car en 2018 le Président en fonction n’était pas candidat à sa propre succession, même s’il avait un dauphin. En outre, l’ombre de la fraude couvre toujours les résultats des élections de 2018. Aller en ordre dispersé, c’est ouvrir la voie à la victoire du Président candidat.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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