En RDC, la situation sécuritaire est très critique. Après la prise de contrôle de la ville minière de Rubaya, des bombes ont été larguées, vendredi, dans des camps de réfugiés près de Goma faisant plusieurs victimes. Une situation préoccupante sur laquelle nous avons recueilli à chaud l’avis de l’avocat et militant des droits humains, Martin Milolo Nsenda. Entretien.
Que savez-vous exactement des explosions dans le camp de déplacés de Lushagala ?
Depuis hier, nous sommes consternés par cette tragédie de bombardement des deux camps des réfugiés dans les sites de Lac-vert et Mugunga dans les faubourgs de la ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu qui est particulièrement devenue le théâtre des atrocités et des affrontements armés entre l’armée congolaise et les éléments de la rébellion du M23 soutenue par le Rwanda. Plus d’une cinquantaine des compatriotes ont été tués notamment les enfants et les femmes sans défense.
Vous parlez d’une cinquantaine de morts, alors qu’officiellement, moins de 10 morts sont annoncés. Quel est le bilan réel des dégâts à l’heure actuelle ?
Le bilan réel n’est pas encore connu. Seule une enquête indépendante pourra nous donner le bilan réel de ce bombardement. Mais, nous pouvons affirmer suivant les éléments obtenus de sources concordantes que plus d’une cinquantaine des compatriotes ont été tués notamment les enfants et les femmes sans défense. Je sais pourquoi j’avance ce chiffre. C’est parce que, comme je le disais tantôt, il n’y a pas encore eu une enquête indépendante pour ça. Déjà, pour qu’il y ait une enquête, il faut qu’il y ait des organes pour la mener. Or pour l’instant, l’armée et la rébellion se renvoient la responsabilité, une situation qui va avoir une incidence sur les nombres de victimes annoncées.
Mais, ce que nous savons, parce que nous avons des collègues sur place – vous savez que je suis aussi de la société civile – qui nous communiquent que le nombre de victimes est plus important que ce qui a été annoncé. L’annonce officielle fait état de six enfants touchés, alors qu’il y a eu plus de 10 enfants tués y compris des bébés. Le nombre de victimes emmenées à l’hôpital et qui sont décédées à la suite de leurs blessures n’a pas été pris en compte dans les chiffres officiels annoncés par la presse internationale. Je m’appuie sur des sources locales et la société civile.
L’armée attribue l’attaque au M23 qui nie toute implication. Quelle est votre réaction par rapport à ces deux positions ?
Il est clair que cette attaque est l’œuvre du M23 soutenu par l’armée rwandaise. C’est cette coalition qui s’est caractérisée par les attaques contre les FARDC du fait de son ascendance sur l’armée. Une ascendance qui s’explique par le soutien de l’armée rwandaise. Ce qui est déplorable, c’est l’incapacité de l’armée congolaise à résister sur le terrain contre les attaques de la coalition RDF/M23.
Insinuez-vous que l’armée rwandaise est mieux équipée que l’armée congolaise ?
Effectivement. L’armée rwandaise est mieux équipée que l’armée congolaise, parce que l’armée rwandaise bénéficie des appuis des organisations comme l’Union européenne et même des États-Unis pour la lutte contre les groupes terroristes au Cabo Delgado au Mozambique. Mais aussi à cause de son implication dans le cadre de missions de maintien de la paix, notamment en Centrafrique et autres. Donc, c’est une armée qui a des armes que l’armée congolaise n’a pas. Il faut dire aussi que grâce à son intervention sur le sol congolais, le Rwanda a accès à des matières premières stratégiques comme le coltan. Si vous regardez les statistiques aujourd’hui, vous verrez que le Rwanda est devenu l’un des premiers producteurs de coltan, de l’or, etc., ce qui lui donne la possibilité d’avoir plus d’armes.
Tous ces éléments mis ensemble expliquent l’ascendance sur le terrain de l’armée rwandaise sur l’armée congolaise. Et donc, l’appui de l’armée rwandaise au M23 donne à la rébellion une puissance de frappe qui fait que les FARDC ne font que perdre des localités depuis la résurgence de ce mouvement. Voilà ce qui explique ma réponse qui est plus axée sur la réalité des choses sur le terrain. Comme vous le savez, sur le terrain aujourd’hui, la RDC a perdu des territoires qu’elle contrôlait après l’avancement du M23.
Il y a eu l’intervention des forces de l’EAC qui avaient imposé une trêve. Après le départ de cette force régionale, la coalition RDF/M23 a conquis non seulement des localités que cette force avait remises à l’armée congolaise, mais également d’autres positions que l’armée congolaise contrôlait. Depuis le début, l’armée congolaise n’a pas réussi à récupérer et protéger les localités conquises par la coalition RDF/M23.
Comment expliquer alors le classement 2024 de Global Fire Power qui classe l’armée congolaise dans le top 10 des puissances militaires à l’échelle africaine ? La RDC occupe exactement la 8e place. Le Rwanda ne figure pas dans ce peloton de tête des puissance militaires du continent.
Il y a des classements monnayés. Même le président de la République reconnaît que l’armée congolaise n’est pas aussi performante que l’armée rwandaise. Sinon, l’armée rwandaise n’aurait pas des soldats sur le territoire congolais qui combattent aux côtés du M23.
Au nombre des localités passées sous le contrôle du M23, il y a tout récemment la ville minière de Rubaya. Vous venez de souligner la faiblesse de l’armée congolaise par rapport à celle du Rwanda, soutien du M23. Est-ce la seule raison qui explique ces nombreux revers subis par l’armée congolaise face à ce groupe rebelle ?
Il y a aussi et surtout l’ambiguïté de la vision et de l’action du gouvernement congolais face à cette guerre. On ne sait pas exactement quelle est l’action principale du gouvernement congolais face à cette guerre. Tantôt on assiste à un activisme diplomatique du gouvernement congolais pour faire sanctionner le Rwanda, tantôt on assiste à la multiplication des armées étrangères sur le terrain, sans résultats, et à de multiples réformes de l’armée sans résultats concrets sur le terrain. En dehors de tout cela, il faut souligner l’affairisme et la traîtrise de certains éléments des FARDC.
Félix Tshisekedi qui est en visite en Europe a décidé d’écourter son séjour à cause du drame. Quelle suite attendez-vous de ce retour en catastrophe du chef de l’État ?
Je n’attends rien de ce retour précipité du président de la République, car il a plusieurs fois annoncé des mesures pour mettre fin à ce conflit, qui n’ont pas été concrétisées. Ce retour me semble plus être une annonce populiste pour la consommation de la masse. Nous constatons l’incohérence et le tâtonnement dans les solutions jusqu’ici mises en place par le président de la République face à cette guerre.
Selon vous, que faut-il faire pour mettre définitivement un terme à la souffrance des populations de l’Est de votre pays qui n’a que trop duré ?
Le gouvernement congolais doit travailler sur la montée en puissance de l’armée congolaise pour qu’elle soit plus professionnelle et républicaine au lieu de multiplier l’invitation des armées étrangères sur le sol congolais sans résultats concrets. Il faut aussi que la communauté internationale fasse pression sur le Rwanda pour qu’elle arrête de mener une guerre économique par procuration sur le sol congolais. En définitive, la population congolaise doit se mobiliser pour imposer une solution finale à cette tragédie en amenant les gouvernants à prendre leurs responsabilités et arrêter le populisme et les discours de lamentation.