Six mois après des élections tronquées, la crise de légitimité couve toujours en RD-Congo, alors que les combats ont repris dans le Kivu sur fond de rumeurs de balkanisation. «There Is No Congo », tel est le titre d’un article publié en mars 2009 dans Foreign Policy (1) par Jeffrey Herbst et Greg Mills invitant la communauté internationale à reconnaitre une « évidence brutale » : la non-existence de la RD-Congo comme État-Nation. Leur thèse se résume à peu près à ceci : extrêmement riche en ressources naturelles, sous-peuplée et ayant une population culturellement moins intégrée et institutionnellement faible, le Congo ne serait pas un État fonctionnel.
De nombreux Congolais en ont déduit que cette thèse serait téléguidée par les firmes multinationales, en collusion avec certains pays voisins, dans le but de fournir la preuve scientifique à la matérialisation de la partition du Congo. Question : pourquoi relie-t-on cette thèse à un « complot » visant la partition du Congo ?
Premièrement, elle tombe singulièrement à pic, au moment où la RDC est assaillie par une guerre déclenchée en 1996 par M’zee Kabila pour renverser Mobutu avec l’aide du Rwanda et de l’Ouganda sous la houlette des États-Unis. Depuis, l’Est du pays est soumis au pillage systématique de ses ressources naturelles par une bande des milices armées opérant à la solde des pays voisins susnommés et des puissantes multinationales sous l’œil attendri de la Monusco et de la Communauté internationale.
Deuxièmement, les déclarations simultanées de Nicolas Sarkozy et Herman Cohen, le premier plaidant pour un meilleur partage de l’espace et des richesses dans la région des Grands-Lacs et le second affirmant qu’au Département d’Etat, le Kivu faisait partie du Rwanda, sont révélatrices des intentions des grandes puissances.
Enfin, en 2010, les Pays-Bas ont abrité un séminaire centré sur les frontières du Congo à l’horizon 2020. Récidivant en avril 2012, le ministère des Affaires étrangères du même pays en collaboration avec la fondation Netherlands-African Business Council, convoquait une rencontre d’information aux entreprises intéressées sur la situation du « Ghana, de l’Éthiopie et de la région des Grands-Lacs » (sic !), la RDC comme État est ignorée !
Voilà pour les indices. Rappelons toutefois que le Congo n’est pas à sa première expérience de tentative de partition commanditée à partir de l’extérieur. En remontant la trajectoire de son histoire, il y a un siècle environ, vers 1890, les minerais du Katanga attirèrent le premier ministre de la colonie du Cap (Afrique du Sud), le britannique Cecil Rhodes, fondateur de De Beers. Au faîte de sa puissance, Rhodes menait une stratégie agressive dans la conquête de nouvelles sources des minerais. Il projeta de déconnecter le Katanga de l’État Indépendant du Congo (EIC) pour l’intégrer dans l’Empire britannique en Afrique Orientale, quitte à soudoyer le roi Mwenda M’Siri. Celui-ci réservera une fin de non-recevoir à sa requête.
Utilisant un argumentaire presqu’identique à la thèse Herbst-Mills (sous-peuplement, vaste superficie), mais tout en évitant de mentionner leur appétit pour les mines d’or et de cuivre, les médias britanniques firent de grosses manchettes revendiquant ouvertement ni plus ni moins la séparation du Katanga de l’EIC. Alerté, Léopold II déjoua ce plan en envoyant une expédition armée au terme de laquelle fut décapité le roi M’Siri qui était farouchement opposé autant à la partition du Katanga qu’à son occupation par un souverain étranger.
A l’indépendance (1960), les multinationales belges et américaines rééditeront le même subterfuge en commanditant la session katangaise.
La thèse Herbst-Mills a omis deux variables non négligeables dans l’équation de la partition du Congo. La première est relative à l’affirmation contrastante de Delphine Schrank (2), soutenant que le nationalisme dont font preuve les Congolais empêcherait l’émiettement de leur territoire. En effet, il y a lieu de marteler que l’identité nationaliste congolaise ne se réduit pas à la simple prise de conscience de soi, de sa culture ou de l’appartenance à un groupe ethnique spatialement dominant ou non. Elle plonge ses racines plutôt dans la relation mythique que les Congolais, à l’instar du Mwami M’Siri ou de Nvita-a-Nkanga (roi Kongo qui fut décapité en 1665 par les portugais pour s’être opposé à la prédation des mines de cuivre), entretiennent avec le « mabele ya ba Nkoko » (la terre de nos ancêtres), sans ignorer les considérations rituelles qui l’entourent.
En dépit de la diversité des particularités ethnoculturelles, les Congolais ont vécu et partagé sur leur terre, au cours des 50 dernières années, des événements historiques de portée nationale : la lutte pour l’accession à l’indépendance, le chaos postindépendance, le mobutisme avec ses périodes de gloire et de décadence, les turpitudes de la Conférence Nationale Souveraine, la double opération de « libération » menée par M’zee Kabila (contre la dictature mobutienne et contre les forces d’occupation rwandaises), la fraude électorale de novembre 2011… De là s’est développée une identité de situation qui vient fortifier une conscience nationale.
L’autre variable concerne la cristallisation politique de la génération congolaise-Y. Celle qui, entre décembre 2011 et février 2012, par milliers, a pris d’assaut les grandes artères des métropoles des 5 continents, a brandi le drapeau congolais devant le Capitole, la CNN, la CPI, la Maison Blanche, l’Élysée dénonçant le complot… Cette génération-là porte collectivement les stigmates du sang versé par 8 millions de congolais assassinés, violés et mutilés dans l’Est du pays par les forces d’occupation étrangères face à un État congolais incapable de les défendre et de défendre son territoire.
Ainsi, si l’institution « État congolais » parait inexistante, la Nation congolaise, elle, existe et se conforte justement en réponse aux dysfonctionnements du même État congolais sur son territoire (soit en pillant son peuple, soit en ne le protégeant pas de l’étranger, puis en le transcendant pour bénéficier d’une protection étrangère).
L’Histoire veillera à valider ou non le pouvoir prédictif de la thèse Herbst-Mills. En revanche, ces deux variables pèseront sans aucun doute dans l’analyse des résultats.