Kramo Germain, analyse la stratégie de Kabila pour se maintenir au pouvoir alors même que son mandat expirait en 2016. D’entrée de jeu, notons qu’il a 80 entreprises privées, il ficèle les marchés autour de ses proches et amis, ce qui lui a permis d’amasser une fortune colossale. Le pouvoir et l’argent font bon ménage… La communauté internationale reste passive face à cela parce que nombre de grandes entreprises occidentales ont leur part du gâteau… La démocratie agonise sous le copinage et la corruption.
Le Congo traverse une crise politique depuis la fin du mandat du Président Kabila en décembre 2016. Une crise consécutive au refus de ce dernier d’organiser les élections devant désigner son successeur. Pour beaucoup d’observateurs cette crise est essentiellement politique. Cependant, malgré les tentatives politiques, les nombreuses contestations et manifestations, le Président Kabila a réussi à se maintenir. Et si cette crise n’était pas que politique ? Et si Kabila avait réussi à s’accrocher, grâce à son pouvoir économique ?
Une économie accaparée par le clan Kabila
De façon générale en Afrique, si le politique est là, l’économique n’est jamais loin. Le Président Kabila et sa famille ne feront pas l’exception car, selon le rapport du groupe d’étude sur le Congo (2017)[1] , les membres de la famille détiennent partiellement ou en totalité plus de 80 sociétés et entreprises créées au cours des seize dernières années. Ce sont des fermes, des banques, des entreprises de télécommunication, des compagnies aériennes, des hôtels et des sociétés impliquées dans différents types de commerce. On recense aussi des sociétés d’extraction de diamant, d’or, de cuivre et de cobalt. Ils sont donc présents dans tous les secteurs de l’économie. Ces sociétés permettent au clan Kabila de disposer d’un pouvoir économique important. Par exemple, la détention d’actifs dans des banques leur facilite les différents transferts de ressources financières aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Congo. L’existence de filiale de banques étrangères pourrait faciliter ces transferts internationaux.
La rente pour verrouiller le système politique
Dans la littérature d’économie politique, Il existe donc différents mécanismes par lesquels le contrôle de la rente conduit au verrouillage du système politique et donc au contrôle du pouvoir. D’abord, la détention de rentes issues du contrôle du système économique en dehors du système classique de financement d’un Etat (financement par impôts) permet au Président Kabila et à son gouvernement de jouir d’une autonomie financière leur permettant de se soustraire plus facilement au contrôle du peuple. Cette autonomie fiscale les place au-dessus de toute reddition de comptes.
Ensuite, la rente leur permet également de contrôler l’appareil sécuritaire (armée, police), conserver le pouvoir et surtout de financer la répression de toute opposition hostile. La preuve en est que malgré les sanctions contre les dignitaires de l’appareil sécuritaire, ils restent toujours fidèles à Kabila.
Enfin, grâce à leur pouvoir économique ils peuvent diviser l’opposition. Le cas du Congo illustre bien le proverbe « diviser pour mieux régner ». A titre d’illustration, nous pouvons citer la division au sein des partis politiques de l’opposition comme l’UDPS. De plus, le pouvoir économique facilite également l’achat des alliances politiques, ce qui leur permet de former des castes de rentiers. Ils accroissent ainsi, leur réseau d’amis partageant les mêmes intérêts et le même destin. Ce lobby de rentiers fait tout pour annihiler toute velléité de réforme, d’où la persistance du statu quo. Sans oublier l’usage de l’argent pour acheter la sympathie et le soutien de certaines franges de la population pour semer la division. Ainsi, Kabila a augmenté en août 2017 le salaire des fonctionnaires congolais.
Complicité coupable des chancelleries occidentales
Selon Bloomberg, la famille Kabila a mis en place un réseau international d’affaires leur permettant de disposer d’un pouvoir économique au-delà des frontières congolaises. Certes, officiellement certains pays brandissent des sanctions contre le clan Kabila, mais officieusement ils soutiennent le régime indirectement via leurs multinationales. En effet, au moment où des sanctions sont prises contre le régime, des contrats continuent d’être signés entre les multinationales et le gouvernement de Kabila. De plus, en situation d’instabilité politique, ces entreprises en profitent pour acheter les minerais à vil prix ou signer des contrats qui leurs sont très avantageux. Elles ont donc intérêt que la crise perdure. Le maintien du Président Kabila en dépit de la fin de son mandat crée une situation gagnante-gagnante pour lui et les multinationales étrangères. Pour rappel, le Congo dispose de minerais incontournables (cobalt et coltan) dans les nouvelles technologies comme les smartphones, les tablettes et les voitures électriques. Ces ressources sont très convoitées par les multinationales telles que Glencore, Randgold Resources, China Molybdenum, MMG, etc.
Par ailleurs, afin de s’assurer que ces multinationales lui conservent leur soutien et conserver la sympathie du peuple, Kabila a fait réviser le code minier. Cette révision du code minier offre au président deux atouts majeurs. D’un côté elle lui permet d’améliorer son image auprès de la population en taxant davantage les firmes étrangères et camouflant de facto leur soutien à son régime. Pour rappel, la promulgation du nouveau code a été présentée comme une victoire patriotique et politique par les partisans du président Kabila car il a été promulgué malgré le lobbying et l’opposition des multinationales. De l’autre côté, il pourrait conditionner la révision ou modification du nouveau code par le soutien de ces entreprises vu qu’un communiqué de la présidence avait indiqué l’existence d’un dialogue constructif avec les multinationales autour des mesures d’application dudit code. De surcroit, le timing de la révision laisse penser à une instrumentalisation de cette réforme. En effet, l’idée de la révision du code a commencé à germer en 2012 puis elle a été gelée en mars 2015 pour reprendre en juin 2017, pile au moment où des sanctions sont prises par les occidentaux contre le régime du président Kabila.
Comme le dit l’adage « l’argent c’est le nerf de la guerre ». La résolution de l’équation congolaise ne peut se limiter à l’aspect politique. Kabila aujourd’hui est en position de force face à une opposition amorphe. Le salut viendra certainement d’un changement des rapports de forces, lequel implique l’affaiblissement du pouvoir économique de Kabila. Son emprise sur l’appareil sécuritaire s’effritera, ce qui le fragilisera à coup sûr. Mais pour ce faire, il est impératif que les chancelleries occidentales cessent de faire double jeu.
Kramo Germain, analyste économiste.