La mode en conflit ouvert avec les mœurs. C’est ce que l’on peut déduire des incidents qui ont eu lieu en début de semaine dernière dans les rues de Kinshasa où de jeunes Kinoises se sont vues pratiquement dénuder par des éléments de la force publique à cause de leurs pantalons jugés trop moulants. Après vérification, l’ordre n’est venu de nulle part. Mais il n’empêche. Le débat est dans la rue. Pour ou contre. Curieusement ce sont les femmes dites « de bonne famille » qui demandent l’interdiction pure et simple du port des pantalons par les jeunes Congolaises.
De notre correspondant Octave Kambale Juakali
Qui a donné l’ordre aux militaires de s’en prendre aux jeunes filles portant collants et autres jeans parce que trop moulants ? Apparemment personne. Pourtant, quarante-huit heures durant, soit les lundi 25 et mardi 26 octobre 2004, de jeunes filles portant des pantalons se sont vues pourchassées par des militaires qui, armés de baïonnettes et ciseaux se sont mis à déchirer leurs habits. L’affaire a fait scandale dans les rues de Kinshasa, mais personne n’a vraiment cherché à savoir d’où venait la mesure. C’est sur des plaintes répétées des victimes que la police s’est finalement intéressée au phénomène et a remis de l’ordre. « Ce n’est pas normal, on ne peut plus s’habiller comme on le souhaite dans ce pays, déclare Sophie Mwema, l’une des victimes. Je sortais d’une visite à un parent malade à l’hôpital quand j’ai été agressée par les militaires. J’ai été blessée pendant qu’ils déchiraient mon pantalon ».
Pendant deux jours, tout le monde avait trouvé l’opération tout à fait normale. « Que les militaires s’en prennent aux filles qui portent des pantalons n’est pas une première à Kinshasa, explique Martine Ilunga, femme d’affaires. Chaque régime qui prend place à Kinshasa croit devoir moraliser la société en s’en prenant à la mode féminine ». En effet, sous le maréchal Mobutu, la philosophie dite de recours à l’authenticité avait inventé une tenue particulière pour les hommes, l’abacost (A bas le costume), en lieu et place du costume-cravate. Pour les femmes, elle avait interdit le port du pantalon et de la perruque imitant un peu trop la chevelure des femmes occidentales. Le régime de Laurent Désiré Kabila, quant à lui, s’est particulièrement illustré dans la traque des jeunes filles portant pantalons moulants et mini-jupes. Que des militaires fassent de même aujourd’hui au moment même où le gouverneur de la ville, M. Jean Kimbunda, se fait fort d’assainir les mœurs dans Kinshasa, beaucoup de Kinois ont trouvé que cela entrait dans la droite ligne des mesures d’assainissement des mœurs urbaines. L’Hôtel de ville est, en effet, en train de détruire les constructions anarchiques en plein centre ville comme en banlieue afin, dit le gouverneur de la ville, « de garantir des normes urbaines à Kinshasa ».
« Elles doivent nous aider à les respecter »
Les jeunes soldats à l’origine de l’opération sont des militaires subalternes. S’ils ont décidé de prendre l’initiative, disent-ils, c’est parce que les jeunes filles congolaises s’habillent d’une manière scandaleuse. « On nous apprend à l’armée, comme chez nos parents, à respecter la femme, déclare un jeune adjudant qui n’a pas pris part à l’opération. Nous entendons que les femmes nous aident à les respecter. Ce n’est pas ce que font les jeunes filles de Kinshasa. Elles se promènent avec des pantalons qui montrent toute leur anatomie ». Six des militaires de ce commando d’un genre nouveau ont été appréhendés par la police militaire et conduits à l’inspection de la police de Kinshasa (IPK).
Mais cela a provoqué un débat houleux entre les pour et les contre le port des pantalons par les jeunes filles. Et les médias n’ont pas manqué de s’en mêler. Selon Top-Congo, une radio privée spécialisée dans le micro-trottoir, 60% de Kinois approuvent l’initiative des jeunes soldats sans vouloir que nécessairement le port de pantalons par les jeunes filles soit interdit. « Les femmes sont les plus sévères à l’égard de la tenue vestimentaires des jeunes Kinoises », affirme Alain Diosso, l’animateur de l’émission. En effet, les femmes, surtout d’un certain âge, désapprouvent totalement le comportement des jeunes filles qui, selon elles, font honte à la condition de la femme congolaise. « Les hommes n’ont pas besoin de voir toute l’anatomie des femmes pour les désirer ou les apprécier, confie Anastasie Mbula, cadre d’entreprise. Le port du pantalon n’est pas mauvais en soi, mais c’est la façon de le porter ».
« Biper » les garçons trop indifférents
A Kinshasa, la mode jeune est au pantalon qui laisse un peu dépasser le slip et au corsage qui montre le nombril. Les parents sont généralement indignés, tandis que les jeunes filles y trouvent, semble-t-il, un moyen d’accrocher les garçons, un peu trop distraits. « Avec la crise généralisée, les garçons ont tendance à ne plus s’intéresser aux filles, avoue Gisèle. C’est notre façon de leur montrer que nous existons ». Se promener, dans les rues de Kinshasa, le nombril dehors s’appelle « biper » et fait branché. Le phénomène s’adresserait aux garçons trop occupés à chercher à résoudre quelques difficultés de la conjoncture.
Le ministère de la Condition féminine a vite fait de dénoncer l’initiative des jeunes soldats. La ministre, Mme Faïda Mwangilwa, qui venait juste de recevoir des dames modélistes venues lui montrer les richesses de la mode vestimentaire congolaise, a invité les jeunes femmes congolaises à plutôt exploiter les subtilités de l’habillement féminin authentiquement congolais et à le mettre en valeur plutôt que d’imiter servilement la mode occidentale. « Je comprends que le pantalon a beaucoup d’avantages pour les jeunes filles congolaises du fait qu’il coûte moins cher que le pagne et qu’il ne nécessite pas d’aller chez le couturier, mais j’appelle nos jeunes sœurs à plus de décence dans leur habillement ». Incidents clos.
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