Ce lundi 10 avril 2017 au Congo-Kinshasa, l’opposition avait à nouveau appelé la population à protester contre le régime de Joseph Kabila. A l’issue de cette journée à haut-risque, la police s’est félicitée de l’absence de mort et de blessé. Pour autant, nombreux sont les témoins à rapporter ce jour-là des arrestations arbitraires, des violences physiques, des brimades et des humiliations de la part des forces de l’ordre envers les manifestants. Exemple à Lubumbashi, où les « mamans » n’ont pas été épargnées.
Ce lundi 10 avril, à Lubumbashi, le soleil est à son zénith. Le temps est sec et l’ambiance électrique. Depuis plusieurs mois, la contestation couve dans la capitale du Haut-Katanga. En dépit d’un déploiement impressionnant des forces de l’ordre, « L’shi » est bien décidée à marcher. Marcher pour protester contre Joseph Kabila qui s’accroche désespérément au pouvoir.
En ce jour très ensoleillé, les manifestants ont un point de ralliement : la résidence de Gabriel Kyungu Wa Kumwanza. Moïse Katumbi en exil, Jean-Claude Muyambo en prison, Kyungu est la pièce maîtresse du Rassemblement – la principale plateforme de l’opposition RD congolaise – dans l’ex-Katanga. Des centaines de personnes commencent à déferler vers le domicile du président de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec).
Aux avant-postes, des jeunes et des femmes âgées. Très déterminées, ces « mamans », comme on les surnomme affectueusement, entonnent des chants religieux pour se donner du baume au cœur. Malgré la crainte des violences, elles ont tenu à répondre présents à l’appel du Rassemblement. Mais à l’instar des autres manifestants, elles ne marcheront pas longtemps. Près d’Alilac, dans le quartier Golf, au niveau du complexe La Plage, des jeeps et des camions bondés de militaires leur barrent déjà la route. Ordre leur est donné de rebrousser chemin. Le ton des militaires est insultant et menaçant.
« Mamans courages »
Mais pas question pour ces « mamans courages » de rebrousser chemin. Pas question de reculer. La réponse des forces de l’ordre ne va dès lors pas tarder. Elle prend d’abord la forme d’un « feu d’artifice » de gaz lacrymogènes. Mais plutôt que de fuir, les mamans s’asseyent à même le sol, prient, avant de se relever une fois le gaz légèrement dissipé. Plusieurs d’entre elles serrent leurs chapelets entre leurs mains pour se donner de la force. Elles continuent d’avancer.
Il n’en faut pas plus pour exciter des forces de l’ordre dont les nerfs sont à vif. Depuis plusieurs mois, la situation est explosive dans l’ex-province du Katanga, transformée en véritable poudrière. Les militaires décident de charger les manifestants. Des cris, des pleurs. Les mamans sont molestées, frappées à coups de crosse de fusils et jetées manu militari, comme du bétail, dans les remorques des camions. Elles rejoindront bientôt d’autres manifestants, des jeunes notamment, arrêtés un peu plus tôt sur le même tronçon. Au même moment, les forces de l’ordre encerclent la résidence de Gabriel Kyungu wa Kumwanza. Des militaires tirent à balles réelles. Leur objectif ? Empêcher à tout prix le vieux leader de sortir. Ce lundi 10 avril, le pouvoir a une obsession : éviter toute image de foules congolaises scandant, aux côtés des leaders du Rassemblement, des slogans hostiles à Joseph Kabila.
Pour cela, tous les moyens sont bons. Ou presque. Consigne a été donnée par la hiérarchie de ne pas tuer, ni même blesser dans la mesure du possible. Le pouvoir tient à soigner son image auprès de l’opinion publique et de la communauté internationale. Les morts des mois précédents – ceux notamment de septembre et décembre 2016 – ont fait mauvais genre. En revanche, il est permis d’arrêter, de brutaliser, de brimer, d’humilier. Certains membres des forces de l’ordre ne vont d’ailleurs pas s’en priver.
« Vous vouliez marcher ? Et bien, marchez maintenant ! »
Marie-Louise, la petite soixante, qui figurait parmi les mamans arrêtées, raconte. « Nous avons été brutalisées, tabassées. Les militaires ont déchiré nos habits, jusqu’à nos sous-vêtements. Nos biens de valeur, notre argent, ils nous ont tout pris. On nous a acheminées ensuite à la BCRS (Bureau central des renseignements spéciaux). Là-bas, nous avons été à nouveau battues. Vous vous rendez compte ? A nos âges, c’est honteux. Je suis sous le choc. »
Certaines de ces femmes, à l’instar de Marie-Louise, seront libérées peu après. D’autres, en revanche, auront moins de chance. Elles seront conduites dans la brousse à environ 45 kilomètres de Lubumbashi, sur la route Likasi, à bord de deux bus et de camions. Sur un ton hilare, les militaires leur ont lancé : « vous vouliez marcher ? Et bien, marchez maintenant ! La ville est à trente kilomètres. » La plupart de ces femmes sont rentrées depuis. Mais hier, certaines manquaient toujours à l’appel.
Les hommes, eux, ont été conduits pour certains au siège de la 22ème région militaire ou à la BCRS, en centre-ville, pour d’autres au camp de Kimbembe à une trentaine de kilomètres de Lubumbashi. D’après plusieurs témoignages, les policiers se sont montrés « relativement conciliants et compréhensifs » envers les manifestants interpellés. Ils parlaient en lingala. Les militaires, en revanche, s’exprimaient, eux, dans un swahili teinté d’un fort accent de l’Est, « du Rwanda » diront certains témoins. Ils ont été nettement plus brutaux.
Pour cette seule journée du lundi 10 avril, Human Rights Watch a fait état d’un bilan de « plus de 80 arrestations ». Un chiffre qui pourrait bien prochainement être revu à la hausse.