newsDepuis le mercredi 22 juin 2022, toute la RDC vibre au diapason du retour de la dépouille de Patrice Lumumba, une dent gardée durant 61 ans en Belgique. Après un tour dans les provinces du pays, le cercueil renfermant la dent, seule reste du premier chef du gouvernement congolais, atterrit à Kinshasa, ce lundi où débute un deuil national de trois jours. Dans la foulée de cet hommage au héros national congolais, Martin Milolo Nsenda, activiste de la société civile et coordonnateur du mouvement Forum Citoyen (FC) a livré à Afrik.com ses sentiments sur ce qui se joue actuellement dans son pays, et sur l’héritage du martyr de l’indépendance.
Entretien
Afrik.com : La seule relique de Lumumba, une dent prélevée par un des Belges chargés de faire disparaître son corps, a été rendue au Congo. Que vous inspire cette restitution ? Comment avez-vous accueilli ce retour au bercail du héros national ?
C’est un bon geste d’apaisement de la part de la Belgique dans le dossier de l’assassinat de Patrice Émery Lumumba. Cette restitution permettra enfin à notre héros national d’avoir une sépulture, un lieu où la génération présente et celles à venir pourront se recueillir pour se remémorer les idéaux de Lumumba et continuer son combat. C’est une bonne chose aussi pour la famille biologique de notre Premier ministre, notamment ses enfants qui pourront enfin organiser le deuil de leur père. Nous avons accueilli la nouvelle avec joie, mais beaucoup reste à faire sur ce dossier ; car la Belgique doit dire aux Congolais et aux Africains qui a tué Lumumba et pourquoi, où est son corps, quel est son niveau de responsabilité dans cette affaire. Est-elle auteur ou complice de l’assassinat ? Par ailleurs, la restitution de la dent doit également s’accompagner de la restitution des richesses aussi bien économiques que culturelles pillées pendant la colonisation. Donc, la restitution de la dent est un pas dans la bonne direction, mais beaucoup reste à faire.
Que représente Patrice Lumumba pour la jeunesse congolaise, aujourd’hui, d’une part, et pour la classe politique d’autre part ? Un martyr lointain et peut-être oublié de l’indépendance ou un personnage qui compte réellement ?
Pour la jeunesse congolaise, Lumumba est un modèle du sacrifice de soi pour la liberté et la dignité de l’Afrique et des Africains en général, des Congolais en particulier. Il y a même aujourd’hui un mouvement qui se développe consistant à dire «Ressuscitez Lumumba en vous», une façon de montrer que nous devons être tous des Lumumba, nous battre pour ses idéaux, notamment, l’unité, le panafricanisme, le patriotisme, la démocratie et l’État de droit. Pour la classe politique, toutes tendances confondues par contre, Lumumba est resté un modèle juste dans la théorie, dans les paroles et non dans les actes. Plus de 61 ans après l’assassinat de Lumumba, le Congo démocratique peine encore à trouver une direction claire vers son développement.
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La démocratie, l’État de droit et l’unité nationale qui sont notamment des idéaux pour lesquels Lumumba s’est battu, sont aujourd’hui sabotés par une classe politique médiocre, minée par la corruption et le tribalisme, malgré les déclarations. Alors que Lumumba fut un véritable homme d’État, respectueux des principes démocratiques, les politiciens congolais d’aujourd’hui en majorité n’ont pas cette carrure d’homme d’État et changent de discours selon qu’ils se trouvent au pouvoir ou dans l’opposition. L’exemple récent nous est donné par l’actuel régime au pouvoir constitué des opposants d’hier et qui fait la même chose que celui qu’il a combattu pendant des années. Presque tous les politiciens congolais se réclament lumumbistes, mais foulent aux pieds les principes pour lesquels Lumumba est mort.
Que fait l’État congolais pour que vive le souvenir de Patrice Lumumba dans l’esprit du peuple congolais ?
Quelques actes décoratifs sont posés par-ci et par-là, comme le baptême des certaines avenues, des certaines écoles, aéronefs au nom de Lumumba ; mais il n’y a pas une stratégie globale pour pérenniser les idéaux de Lumumba chez les nouvelles générations. La meilleure façon de se souvenir de Lumumba, c’est de promouvoir la liberté, l’égalité, l’État de droit, la bonne gouvernance, la démocratie, mais rien de tout ça n’est effectif à ce jour.
Sa vie, son histoire, est-elle enseignée aux écoliers, élèves et étudiants congolais ?
Dans les cours d’histoire à l’école et dans les cours de droit constitutionnel et de sciences politiques dans les facultés de droit et de sciences politiques des Universités de la RDC, des enseignements sont consacrés à Lumumba qui est présenté, de manière expéditive, comme un des acteurs politiques congolais des années 1960 ayant milité pour l’indépendance. Mais ses idées ne sont pas enseignées de manière à former de nouvelles générations qui en soient totalement imprégnées. Ceci explique même la rareté des ouvrages approfondis écrits par les Congolais sur l’homme politique. La plupart des écrits portant sur lui sont descriptifs et non analytiques. C’est plutôt au niveau continental qu’on trouve des analyses plus approfondies sur cette icône et c’est là où la jeunesse d’aujourd’hui trouve des explications de la lutte de Lumumba qui est pour elle une source d’inspiration.
Le roi Philippe de Belgique était récemment en RDC. Beaucoup de Congolais qui attendaient des excuses formelles de sa part ont été déçus. Faites-vous partie de ceux-là ?
Oui. Nous avons été déçus de voir le roi afficher des regrets de principe, sans aucune excuse et sans aucun mot sur la réparation des préjudices causés au Congo et aux Congolais. Nous venons de parler de l’assassinat de Lumumba, le roi n’a rien dit sur la réparation en rapport avec ce crime. La Belgique a été construite avec la richesse du Congo, nous n’avons toujours pas reçu la restitution. Donc beaucoup de choses sur lesquelles nous attendions d’avoir les réponses du roi n’ont pas été abordées lors de cette visite.
Lors de la cérémonie de remise de la relique en Belgique, le Premier ministre belge, Alexander De Croo, a déclaré : «Un homme a été assassiné pour ses convictions politiques, ses propos, son idéal. Pour le démocrate que je suis, c’est indéfendable. Pour le libéral que je suis, c’est inacceptable. Et pour l’humain que je suis, c’est odieux». Votre commentaire sur ces propos.
C’est une bonne déclaration, mais ça reste une déclaration. Nous attendons des actes concrets par lesquels la Belgique reconnaît clairement sa responsabilité dans l’assassinat de Lumumba et s’engage à réparer le préjudice causé aux Congolais afin qu’on arrive à tourner la page. «Un homme a été assassiné pour ses convictions (…)», mais par qui ? Que nous inspire la restitution de la dent de Lumumba par la Belgique alors qu’il été tué au Congo ? Qu’est-ce que la Belgique est venue chercher dans les conflits politiques au Congo, un État souverain, après son indépendance ? C’est en répondant à ces questions que nous pouvons trouver tous une ligne de conduite dans nos relations bilatérales fondées sur le respect mutuel d’égal à égal. La vérité est que la Belgique ne voulait pas d’un Congo réellement indépendant après l’indépendance, alors que Lumumba voulait le contraire et se comportait en conséquence. C’est ce qui a fondé sa neutralisation et malheureusement, la même attitude continue de la part non seulement des amis belges, mais aussi des autres Européens, voire des Américains qui sous-traitent des États voisins ou des groupuscules armés pour continuer à avoir la main sur le Congo et ses richesses.
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