En mars dernier, le président de la République démocratique du Congo a promulgué une loi votée en janvier dernier par les députés, portant sur un nouveau découpage territorial, augmentant le nombre de provinces de 11 à 26. Si sur le plan juridique le projet de décentralisation est devenu « faisable », l’aboutissement de ce processus, dans la perspective de réforme de l’État, reste incertain au regard de plusieurs défis.
La décentralisation est incontournable pour réformer l’État, mais il y a des conditions pour la réussir. Tout d’abord, il s’agit de la performance de l’administration. La République démocratique du Congo est un État où la qualité de l’administration laisse à désirer. Si on considère l’indice de la qualité de l’administration de la Fondation Mo Ibrahim, elle est classée 47 sur 52 pays, avec une note de 32,3 sur 100. Si de manière générale l’administration congolaise a démontré ses limites et ses dysfonctionnements (lenteur, rigidité, complexité, cherté, etc.), comment peut-on espérer que l’addition ex nihilo de nouvelles unités administratives contribuerait à la rendre plus performante ?
Une situation qui conduira fatalement à un « millefeuille » administratif budgétivore qui ponctionnerait des ressources qui auraient pu être utilisées autrement et de manière plus efficiente
Certes, il y a dans le pays des endroits où la présence de l’administration centrale se fait encore désirer, mais la garantie de services administratifs de qualité aux Congolais est plus une question de ré-allocation optimale de l’implantation des unités administratives que d’une simple superposition de nouvelles couches administratives. Aussi, doit-on rappeler que dans un pays où l’on semble officiellement se battre pour améliorer le climat des affaires, en réduisant notamment les tracasseries, il faut signaler qu’un tel découpage générerait sans nul doute la multiplication des centres de décisions et le chevauchement des responsabilités et des intervenants. Une situation qui conduira fatalement à un « millefeuille » administratif budgétivore qui ponctionnerait des ressources qui auraient pu être utilisées autrement et de manière plus efficiente.
Par ailleurs, et dans l’absence d’un cadre juridique délimitant de manière claire et précise les responsabilités de chaque échelon administratif, il se poserait certainement des conflits de compétence. Cela peut conduire à des situations de blocages défavorables au bon fonctionnement de l’administration et nuisibles à la fluidité des affaires. Dès lors, l’implémentation d’un cadre juridique de qualité est un défi de taille pour réussir la décentralisation, surtout dans un pays où l’état de droit demeure très fragile.
Un second défi qui conditionne la réussite du processus de décentralisation est celui du financement. S’il est facile de répartir sur papier, il n’est cependant pas simple de financer ce nouveau montage administratif. Il va de soi, que la création de nouvelles provinces se traduira par de nouveaux besoins de financement. On voit très mal comment cela ne peut pas gonfler les dépenses publiques. Par suite, et sachant que l’État ne possède de richesse en dehors celle créée par les contribuables, il est à craindre que la multiplication de ces provinces puisse conduire soit à l’augmentation de la pression fiscale, soit à l’amplification de l’endettement pour financer les nouveaux besoins.
En RDC, le capital humain a déjà montré ses lacunes et ses limites qui rendent incertaine la possibilité de délégation de pouvoir du centre vers les collectivités locales
À côté de la mobilisation des ressources, se pose un autre problème : celui de leur gestion. D’une part, la RDC est réputée être un des pays les plus corrompus, selon tous les indices disponibles. Ne peut-on pas craindre que ce financement soit considéré comme un « business » pour certains rentiers ? Une véritable aubaine ? D’autre part, l’éventualité d’un conflit entre l’État central ou gouvernement central et les provinces n’est pas à exclure. Cette question se pose dans la mesure où le fédéralisme budgétaire est une épineuse question. La théorie comme la pratique confirment cette réalité. En 2009, les gouverneurs et députés provinciaux envisageaient de lancer des poursuites judiciaires contre le gouvernement central pour non-respect des engagements dans la politique de rétrocession des 40% des recettes allouées aux provinces, conformément à la constitution de 2006.
Toujours en 2009, la Ligue Congolaise de lutte contre la Corruption (LICOCO) avait demandé, dans une lettre au Président Kabila, de prendre des mesures contre les Gouverneurs « ayant détourné les fonds publics en les traduisant devant la Justice ». Selon LICOCO, les entités décentralisées n’auraient reçu que 13% des montants envoyés par le gouvernement central. Selon Christian Mwando, ministre des Finances du Katanga, sa province n’aurait reçu que 14% de ce qu’elle devait recevoir. Sur la période 2004-2007, a-t-il indiqué, sa province a enregistré plus de 2 milliards de dollars américains de « manque-à-gagner » sur cette rétrocession.
La décentralisation se fonde sur le fameux principe de subsidiarité : la prise de décision et la mise en œuvre des politiques doivent être attribuées à l’échelon le plus bas. En théorie, la décentralisation présente l’avantage de révéler les préférences de chaque individu dans le choix fiscal, de bien public. Elle permet d’expérimenter et de rechercher de meilleures politiques et réduit le pouvoir confiscatoire de l’État central. Or, pour réussir ce défi, il est primordial de bénéficier d’un capital humain de qualité. En RDC, le capital humain a déjà montré ses lacunes et ses limites qui rendent incertaine la possibilité de délégation de pouvoir du centre vers les collectivités locales (analphabétisme, manque de profils pointus en gestion, en management, rareté des profils techniques, etc.).
Par ailleurs, le peu de compétences disponibles sont très mal réparties géographiquement. En effet, il y a une forte concentration des personnes instruites surtout dans les provinces de Kinshasa, la capitale, le Bas-Congo, province portuaire et le Katanga. Comment alors alimenter les nouvelles provinces créées en ressources humaines adéquates, si la mobilité est rendue difficile par des infrastructures défaillantes ?
Ainsi, si la décentralisation constitue une véritable opportunité pour mettre le pays sur la voie du développement, cette opportunité risque se transformer en une menace si les défis susvisés ne sont pas jugulés par toutes les forces vives du pays.