La décision de Félix Tshisekedi de rétablir la peine de mort “pour les traitres” soulève un tollé en RDC où cette mesure n’était plus appliquée depuis bien longtemps, faisant l’objet d’un moratoire, plusieurs propositions de loi en cours d’examen ayant été déposées afin de la supprimer purement et simplement.
C’est par une simple circulaire en date du 13 mars 2024 relative à la levée du moratoire sur l’exécution de la peine de mort en République Démocratique du Congo que la ministre de la Justice et Garde des Sceaux a mis fin à un moratoire qui constituait clairement une avancée des Droits de l’Homme en RDC.
S.E. le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu donne de la voix
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Notamment par la bouche de Son Eminence le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu, Archevêque de Kinshasa, et l’une des plus hautes autorités spirituelles d’Afrique, qui s’étonne sur la chaîne Kto « qu’un gouvernement vraiment responsable puisse lever une telle option » en relevant précisément qu’il s’agisse de « punir des gens qu’on appellerait des traitres », en soulevant l’inconsistance de cette dénomination d’un point de vue juridique.
Et la véhémence de sa protestation pointe que dans la réalité congolaise « les grands traitres à la patrie sont justement ceux qui sont au pouvoir, dès lors qu’ils ne servent pas l’intérêt du peuple ». Son Éminence Fridolin Ambongo Besungu d’avertir : « Je ne souhaiterais pas qu’on profite d’une notion floue de « traitres » pour des règlements de compte sur le plan politique ».
Un Communiqué de l’Alliance Fleuve Congo
Autre protestation immédiate, celle de l’Alliance Fleuve Congo, dans un communiqué publié le 16 mars, qui souligne : « la Constitution de notre pays interdit et condamne la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Il n’y a pas de peine ou de traitement plus cruel ou inhumain que la mise à mort (Article 61 de la Constitution) », en précisant également qu’une telle décision ne se prend pas à la légère, sur un coin de table, mais impose la consultation du peuple et de ses représentants et un véritable processus législatif et ne peut être le fait « d’un gouvernement constitutionnellement démissionnaire, expédiant les affaires courante ».
Dans un contexte où les arrestations, détentions arbitraires, exécutions inexpliquées se sont multipliées au cours des derniers mois, l’AFC considère que cette mesure inacceptable « répond au besoin de justifier les pratiques déjà en vigueur d’arrestations et détentions illégales, de tortures, d’assassinats et de meurtres du régime ».
L’AFC rappelle également que le père de l’actuel président Tshisekedi, Étienne Tshisekedi Wa Mulumba, alors ministre de la Justice du Maréchal Mobutu, fut celui qui organisa et justifia la pendaison publique d’Évariste Kimba et de ses compagnons (Jérôme Anani, Emmanuel Bamba et Alexandre Mahamba), ajoutant : « On peut remonter jusqu’à Patrice Emery Lumumba qu’il qualifia de « crapaud » et aux autres nationalistes notamment Mulele, Kazadi, Muzungu, Lubaya, Elengesa, victimes de ce même ministre de la Justice ».
Et dans un tweet publié dans la foulée, Adam Chalwe Munkutu, lui-même cofondateur et responsable de la mobilisation de l’AFC, rappelle que le 27 juin 2023, à Mbuji-Mayi, Félix Thisekedi Tshilombo avait lancé : « Je m’attaquerai sans hésitation, sans remords à tout Congolais. Peu importe ce que l’on dira : violation des Droits de l’Homme, privation de liberté. Je n’en démordrai pas ». La décision de la ministre de la Justice apparaît donc comme la traduction juridique de cette déclaration, Adam Chalwe Munkutu évoquant une forme de « palingénésie criminelle », c’est-à-dire une réapparition héréditaire du recours à la violence politique…
En tout état de cause, propension héréditaire ou décision personnelle et conjoncturelle, la levée du moratoire sur la peine de mort en RDC par Félix Tshisekedi s’inscrit dans une montée des tensions internes à la société congolaise, consécutive à la parodie électorale de décembre 2023, qui laisse nombre de citoyens Congolais amers.
Notamment parmi les partisans de Moïse Katumbi, candidat de la plateforme « Ensemble pour la République », qui apparaît pour de nombreux observateurs comme le vainqueur probable du scrutin de décembre, si celui-ci s’était régulièrement tenu, et qui a solennellement appelé à l’annulation des résultats proclamés. Mais également parmi les fidèles de Joseph Kabila, nombreux à avoir été écartés du jeu politique à la faveur d’élections hautement contestables. Autant de mécontents que les positions de l’AFC et de son Coordinateur Corneille Nangaa pourraient bien fédérer au cours des prochains mois.