Le report des élections présidentielles en République démocratique du Congo, annoncé à demi-mot par la Commission nationale électorale indépendante, embrase Kinshasa depuis samedi, aux prises à nombreuses manifestations. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont provoqué quatre morts lundi dans la capitale, désormais ville morte.
Morts pour avoir protesté contre le report des élections présidentielles. Quatre Kinois (République Démocratique du Congo) sont morts, ce lundi, lors de violentes manifestations où sont intervenues les forces de l’ordre. La rue protestait contre la décision de la Commission nationale électorale indépendante de repousser le scrutin présidentiel. Son président, l’abbé Malu Malu, avait en effet expliqué, la semaine dernière sur Radio France Internationale, que, faute de financements, il ne sera peut-être pas possible que les joutes électorales aient lieu en juin prochain, comme prévu dans l’Accord Global et Exclusif, qui régit la transition politique vers la 3è République. Les mois d’octobre ou novembre 2005 seraient plus probables. Des révélations qui sont la goutte d’eau qui a fait déborder le vase à Kinshasa. Retour sur des événements qui ont enflammé le week-end.
Week-end de tous les dangers!
Samedi 8 janvier : le groupe très actif de sympathisants de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), dits « Parlementaires-debout », sont infiltrés par des éléments de la police et de l’armée, déguisés en civil. Trois d’entre eux, arrêtés, sont lynchés et désarmés. Des mains du secrétaire général de l’UDPS, les armes sont rendues auprès du bourgmestre de la commune compétente, celle de Limete (centre de la capitale).
Dimanche 9, cinq heures du matin. Avec des armes d’assaut et des lance-roquettes, des éléments de la Police d’Intervention Rapide (PIR), font une irruption dans la résidence du secrétaire national du parti politique précité. Ils s’emparent de sa petite sœur avec son bébé de huit mois malade, pour une destination inconnue. Au passage, un pasteur rencontré est porté disparu. L’appel au calme, dimanche, de Théophile Mbemba, ministre de l’Intérieur, relayé à la télévision nationale, qui elle-même demandait aux travailleurs longtemps impayés de se mettre au travail, ne rencontre point d’oreille favorable.
Les étudiants en tête de file
Lundi 10, dès l’aube : les étudiants entrent en action, entraînant avec eux la population. Plusieurs points de la ville, notamment le Centre et l’Est, sont le théâtre de manifestations. Certains tentent d’opérer un vaste pillage sur les biens d’autrui. A Masina, le siège du PPRD (Parti pour la reconstruction et le développement), famille politique du Président Joseph Kabila, est saccagé. En réponse, les forces de l’ordre font parler la poudre et renforcent la sécurité au siège de la Commission nationale électorale indépendante.
Sous la commande de quelques politiciens en mal de règlement des comptes, des milices privées exécutent leurs basses besognes. Intimidations, perquisitions, sont signalées çà et là. Lemba, Kauka, Rond-Points Ngaba et Victoire… sont ainsi quelques secteurs en effervescence.
Quatre morts
Des grenades lacrymogènes lancées en direction de la résidence d’Etienne Tshisekedi, opposant historique et président national de l’UDPS. Des coups de feu retentises dans la capitale, entièrement quadrillée. Bilan provisoire indiqué par le président de la Ligue des Electeurs : quatre morts, deux à Kingasani et Masina (dites zones rouges, à l’Est de Kinshasa), un mort à Yolo Ezo et un autre à Yolo Médical (quartiers du centre).
Du coup, Kinshasa devient ville morte. Pas de marché, pas de travail, pas d’électricité. Et naturellement plus question de transports en commun. Ceux qui tentent de circuler, le font à pied. Ligne 11.
Solutions médianes
La Ligue des Electeurs, association pour la défense des droits humains spécialisée dans les élections, tente sa médiation depuis ce lundi.« Le président de la CNEI se dit prêt à recevoir tout le monde. Pour l’instant, j’attends l’avis de l’Udps, du Palu (Parti lumumbiste unifié, ndlr) et du G14 (groupement des formations de l’opposition, dont le Front Patriotique du virulent leader, Docteur Kabamba, ndlr) », signale Paul Nsapu, président de la Ligue des électeurs.
Il estime que la volonté politique et le pragmatisme font partie des solutions de la crise. « Nous pouvons bien organiser et réussir les élections en juin 2005. Arrêtons de compter tout le temps sur l’aide financière étrangère. Il nous suffit de nous partager les responsabilités, en vue des recensements populaires à effectuer. A moins qu’ils détiennent leurs agendas cachés, ce que les autorités comptent réaliser en l’espace de trois mois par exemple, nous le pourrions tous ensemble en un seul ! Puisque nous avons les infrastructures sociétales en place, les églises notamment (la population nationale est densément croyante : outre les églises catholique, protestante et les mosquées, de nombreuses communautés évangéliques se retrouvent dans chaque quartier, ndlr) ».
Silence radio sur le vote de la loi électorale
Pour l’heure, la loi électorale, comme le projet de Constitution de la future République, n’est pas encore votée. Le flou total est entretenu par l’ensemble de la classe dirigeante : l’espace présidentiel, le gouvernement, le parlement avec ses deux chambres, la Commission nationale électorale indépendante. Cette dernière, sur ses 21 membres, compte 18 délégués de la classe politique, contre seulement trois de la société civile !
En ce qui concerne la loi sur le recensement et l’enrôlement des électeurs, elle a été promulguée en décembre 2004. Pendant ce temps, depuis trois semaines, avec 3 000 dollars de deniers publics remis à chacun, les sénateurs se sont rendus dans leurs provinces respectives. Officiellement, pour consulter la base sur le régime ainsi que la forme de l’Etat à adopter. Retour à Kinshasa, courant janvier, où les attend une population en furie.
« Tout ce temps et cet argent engloutis pour rien ! Alors qu’il nous suffirait de faire d’une pierre deux coups : adopter l’acte ou la loi électorale intérimaire assortie des dispositions constitutionnelles concernant justement la forme de l’Etat, et son régime ! », s’indigne monsieur Paul Nsapu. Et le Peuple souverain avec le slogan : « Allons aux élections ! »