Les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo (AFC)/M23, après avoir pris le contrôle de Minova, stratégique localité du Sud-Kivu, affichent désormais leurs ambitions nationales : « Notre objectif demeure Kinshasa », affirme leur coordinateur Corneille Nangaa. Derrière cette nouvelle escalade du conflit qui ravage l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis trois décennies se cache une réalité effroyable : plus de dix millions de morts, des centaines de milliers de femmes victimes de viols systématiques, des populations entières déplacées. Un drame humanitaire sans précédent, alimenté par l’exploitation illégale des ressources minières et largement ignoré par la communauté internationale.
La région des Grands Lacs porte encore les stigmates du génocide rwandais de 1994. L’afflux de réfugiés hutus et la présence des milices Interahamwe ont déclenché une série de conflits : la première guerre du Congo (1996-1997), puis la seconde (1998-2003).
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Mais au-delà des tensions ethniques, c’est l’exploitation des richesses minières qui alimente la perpétuation des violences.
Le sous-sol congolais regorge de minerais stratégiques : 60 à 80% des réserves mondiales de coltan et 90% de la production mondiale de cobalt. Ces minerais sont essentiels pour l’industrie numérique mondiale : téléphones portables, ordinateurs, véhicules électriques. Paradoxalement, le Rwanda, pays dépourvu de ces ressources, en est devenu l’un des premiers exportateurs mondiaux, soulevant des questions sur l’origine réelle de ces minerais et le rôle trouble des multinationales occidentales dans ce conflit.
Le jeu trouble des puissances étrangères
« On a perdu la guerre, » confie un sous-officier congolais, illustrant l’état de déliquescence des Forces armées de la RDC (FARDC). Face à des rebelles bien équipés, l’armée congolaise, minée par le sous-équipement et la désorganisation, multiplie les revers. La chute de Minova et Bweremana renforce l’emprise des insurgés sur le Sud-Kivu.
Pendant ce temps, le gouvernement de Kinshasa semble déconnecté des réalités du terrain. Les critiques fusent contre le président Félix Tshisekedi, accusé de se concentrer davantage sur ses tournées diplomatiques que sur la situation dramatique de l’Est. Le pessimisme gagne du terrain dans la capitale congolaise car les gens sont fatigués de cette guerre sans fin.
Derrière la façade d’un conflit régional se cachent les intérêts des grandes puissances. Les États-Unis, dont les géants technologiques sont les principaux bénéficiaires de l’exploitation minière, maintiennent une position ambiguë. L’Union européenne et la Chine, également dépendantes de ces ressources stratégiques, peinent à adopter une position claire face à ce qu’un nombre croissant d’observateurs qualifient d’holocauste.
Les initiatives diplomatiques, comme le processus de Luanda, s’enlisent dans les querelles personnelles. Les relations entre le président Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame sont au plus bas, rendant impossible tout dialogue constructif malgré les appels internationaux à la désescalade.
L’ambition des rebelles
« Nous voulons la libération totale du Congo, » déclare Corneille Nangaa, coordinateur de l’AFC/M23. « Nous devons reconstruire ce pays, en finir avec cet État qui n’existe pas. Il faut tout reconstruire, l’armée, la police, la justice, l’administration. » Interrogé par la Libre Belgique sur le rôle du Rwanda, il reste évasif : « Ils sont présents au même titre que les autres […] mais ne me demandez pas de justifier cette présence. » “L’objectif n’est pas Goma, mais Kinshasa”, conclu Corneille Nangaa
Le prix Nobel de la Paix, le Dr Denis Mukwege, ne cesse d’alerter sur l’ampleur des violences sexuelles utilisées comme arme de guerre. Les populations déplacées se comptent par millions, les traumatismes touchent désormais plusieurs générations. Face à cette tragédie, la communauté internationale reste étrangement silencieuse.
Une paix impossible sans justice
La reconstruction de la RDC ne pourra se faire sans que les responsables de ces atrocités rendent des comptes. Comme le souligne Charles Onana dans son livre « Holocauste au Congo », l’argent du cobalt et du coltan est « tâché de tellement de sang qu’il finira par brûler les mains qui l’ont mal gagné. » Sans sanctions internationales efficaces et sans une réelle volonté de mettre fin à l’exploitation illégale des ressources, la paix restera hors de portée pour les millions de Congolais pris en otage de ce conflit aux ramifications mondiales.