RDC : Lambert Mende, l’aboyeur de la « Kabilie »


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En République Démocratique du Congo, il est « l’aboyeur » de la Majorité Parlementaire. Lambert Mende, le ministre de la Communication par ailleurs porte-parole « gouailleur » du gouvernement RD-congolais, est en première ligne pour défendre le régime de Joseph Kabila. Au risque parfois, pour ce tribun né, de tomber dans l’excès.

« Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Lambert Mende ne laisse personne indifférent », dit de lui un de ses proches. Le ministre de la Communication du Congo-Kinshasa a, il est vrai, le don de susciter l’enthousiasme de ses partisans grâce à ses formules chocs, et à l’inverse, l’heur de hérisser les poils de ses détracteurs qui le trouvent plus sophiste que philosophe, toujours prêt à prendre ses distances avec la réalité, si tant est que cela serve la cause qu’il défend sur le moment.

« Avec quelques-uns, les Kin-Kiey Mulumba, Henri Mova, Evariste Boshab, Ramazani Shadari, etc., il fait partie des pousse-au-crime de la Kabilie », poursuit ce proche. Entendez par là, ceux qui incitent le Président Kabila à tenter le diable. Autrement dit, obtenir un glissement du calendrier électoral, voire d’un nouveau mandat, au mépris de la Constitution, dans un pays qui ne peut être comparé, en raison de sa taille, de sa position géostratégique et de la configuration de son paysage politique, au Congo voisin ou au Burundi.

Ces derniers jours n’auront pas échappé à la règle. S’est-il agi de répondre à l’offensive médiatique tous azimuts menée par Moïse Katumbi ? C’est Mende qui s’en est chargé. S’est-il agi de défendre la souveraineté de la RDC face au nouveau coup de poing frappé sur la table par les Américains, excédés face à un pouvoir congolais qui traîne les pieds pour organiser les élections ? C’est à nouveau Mende qui est monté au front.

Et il n’y a pas qu’en conférence de presse, sur les plateaux radio ou télé ou par voie de communiqué que Lambert Mende s’illustre par sa gouaille. Sur les réseaux sociaux également. Avec plus ou moins de bonheur. Sur Twitter, ses dérapages verbaux sont fréquents et le ton employé pas toujours en phase avec la dignité que se doit d’observer tout titulaire d’une charge ministérielle. Mais la dignité attendra car il en va de la survie politique du clan au pouvoir et, donc, de son propre avenir. Lambert Mende le sait. Il fait d’ailleurs sans doute partie, dans l’imaginaire public congolais, des personnes qui incarnent le plus le régime du Président Kabila.

A trop s’exposer, on devient soi-même une cible

Mais voilà, à trop s’exposer, on devient soi-même une cible. Mende est en première ligne, avec des propos souvent virulents. La riposte dans le camp de l’opposition ne s’est donc pas faite attendre. Il y a eu tout d’abord, il y a quelques jours, cette lettre ouverte de Francis Kalombo, l’ex-président national de la Ligue des jeunes du PPRD, qui appelait Lambert Mende à démissionner « pour le bien du pays, de la population ». « Arrêtez avec votre mauvaise foi, vos mensonges que les Congolais ne peuvent plus entendre et mettez votre petit talent d’orateur au service du bien », a lancé en guise de conseil le député national, passé il y a quelques temps avec armes et bagages dans les rangs de l’opposition.

Sur les réseaux sociaux, également, le fer est désormais régulièrement porté à l’encontre du ministre de la Communication RD congolais. Il y compte, il est vrai, de nombreux contempteurs. Sur son compte Twitter, Salomon Kalonda, l’homme de confiance et principal conseiller de Moïse Katumbi, s’est fendu tout récemment de deux tweets incisifs pour fustiger « l’incompétence » du ministre de la Communication. « À l’heure où Lambert Mende appelle les Congolais à connaitre leur Constitution, je vous conseille de revoir cette vidéo. On croit rêver ! », s’est-il exclamé. Dans « cette vidéo » justement (qui a été, depuis, suspendue suite à une réclamation), on voit Lambert Mende interpréter de façon très personnelle l’article 70 de la Constitution qui autoriserait, selon lui, le chef de l’Etat, Joseph Kabila, à se maintenir au pouvoir au-delà du terme constitutionnel fixé pour son second et dernier mandat. Quelques minutes plus tard, Salomon Kalonda enfonçait le clou au moyen d’un second tweet, ironique, dans lequel il fait mine de s’interroger : « qui a besoin de prendre des leçons sur notre Constitution si ce n’est Lambert Mende ? » Et de conclure sur cette harangue : « bonnes études, Monsieur le ministre ! », non sans rappeler qu’« assurer l’alternance démocratique » dans les délais prévus à cet effet faisait partie en RDC des obligations élevées au rang constitutionnel.

La bonne tenue et l’exemplarité attendront

Mauvaise foi pour les uns, talents d’orateur pour les autres, le débat est ouvert. Parmi les critiques les plus récurrentes faîtes au ministre de la Communication, celle concernant son comportement revient fréquemment. « Un peu de tenue, Monsieur le ministre », peut-on lire, en guise d’interpellation,sur les réseaux sociaux, de la part de Congolais outrés par le registre adopté par l’auguste ministre. Mais Lambert Mende affecte d’en avoir cure. « La bonne tenue et l’exemplarité attendront », confirme un proche du Président qui le connaît bien, avant d’ajouter en conclusion de notre échange téléphonique : « seul le résultat compte ». En clair, il est demandé à Lambert Mende de défendre des positions au risque, pour lui, de s’exposer encore davantage chaque jour. Car, et ce n’est un secret pour personne, outre-Atlantique, on goûte peu aux joutes oratoires du ministre de la Communication. De là à l’inclure dans la liste de ceux qui pourraient faire l’objet de sanctions individuelles, il n’y a qu’un pas que beaucoup dans l’opposition congolaise n’hésitent pas à franchir.« Pire que le bourreau qui décapite, il y a son serviteur qui place la tête dans le seau et nettoie la mare de sang », avertit Olivier Kamitatu, président de l’ARC et figure éminente du G7, l’une des principales plateformes politiques de l’opposition en RDC.

Un art consommé du sophisme

Lambert Mende serait-il moins proche de Démosthène que de Gorgias ? « De mon point de vue, il est moins bon orateur que perfide sophiste », tranche, cinglant, un responsable de la Dynamique de l’Opposition. « C’est un bon ministre de la Communication », réplique, laconique, un membre du PPRD, la formation du Président Kabila. Toutefois, à mesure que la date prévue dans la Constitution pour la tenue de l’élection présidentielle approche, l’étoile du porte-parole du gouvernement RD congolais semble pâlir. Le ton se durcit et les dérapages, comme les invectives, se multiplient. Les critiques, elles, se font chaque jour plus acerbes.

Celle sur l’exemplarité tout d’abord. Car Lambert Mende n’est pas seulement ministre de la Communication et porte-parole du Gouvernement, il est aussi –on l’oublie trop souvent – ministre de l’Initiation à la Nouvelle Citoyenneté. « Etre titulaire de ce maroquin et pratiquer l’invective, comme il le fait, jusque sur les réseaux sociaux, c’est assez paradoxal », fait pudiquement observer un de ses collègues ministre en Afrique centrale. « Le ton et le niveau de vocabulaire qu’il emploie rabaissent le niveau du débat public », déplore, de façon moins diplomatique, l’un des responsables de la Lucha à Kinshasa.

Il y a aussi ce débat sur son niveau de qualification. « L’un des angles d’attaque préféré de Lambert Mende contre les adversaires du Président Kabila est leur niveau de diplôme », relève un professeur en sciences politiques de l’UniKin. « Mais il oublie deux choses : d’une part, personne ne peut garantir que les diplômes affichés par le chef de l’Etat sont authentiques ; d’autre part, lui-même, quel est son parcours universitaire ? En réalité, nul ne le sait véritablement. On doit se contenter des dires de l’intéressé », s’amuse-t-il. Il est vrai qu’aux yeux des Congolais, ce débat sur le niveau de diplôme semble futile. « Le meilleur diplôme, c’est le bilan. Qu’a fait le Président Kabila durant toutes ces années au pouvoir ? Nous, Congolais, vivons dans la misère », peste Simone, une commerçante originaire de la Gombe, l’une des communes de la capitale Kinshasa. L’augmentation continue du dollar face au franc congolais n’a en effet cessé, ces derniers mois, de rogner le maigre pouvoir d’achat de la population.

Il y a aussi ce débat sur la défense de la souveraineté. Lambert Mende est-il bien placé pour en faire un argument massue face à une communauté internationale qui presse son gouvernement de ne pas entraver la tenue de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel ? « C’est oublier un peu vite que si le Président Kabila a été installé et s’est maintenu au pouvoir pendant ces quinze dernières années, c’est grâce à un certain nombre de grandes puissantes étrangères », rappelle notre professeur en sciences politiques de l’UniKin. « Mais il y a plus grave », rappelle quant à lui ce membre de l’UDPS, le parti d’Etienne Tshisekedi. « Brandir la souveraineté nationale comme un chiffon rouge alors qu’on possède une demeure à Bruxelles et que ses enfants vont à l’université aux Etats-Unis, de qui se moque-t-on ? »

Un passé (de mercenaire) qui ne passe pas

Enfin, et même si la liste est loin d’être exhaustive, il y a ce débat sur le passé du ministre Mende, émaillé de zones d’ombre. « Une boue qu’il ne souhaite pas voir remuée », déclare un de ses ex-compagnons de lutte. Ce passé qui ne passe pas a pourtant refait surface, il y a quelques jours, sous la plume de Francis Kalombo, ex-compagnon de route de Joseph Kabila. « Vous n’êtes pas bien placé pour entretenir les ridicules accusations de recrutement de mercenaires contre Moïse Katumbi… Vous, le rebelle à répétition », a-t-il lancé dans sa lettre ouverte à l’attention du ministre. « La rébellion RCD dont vous faisiez partie a commis les pires crimes de l’Histoire de notre pays. Vous avez tué, violé des milliers de Congolais innocents, enterré des femmes vivantes… Vos crimes impunis ont des répercussions encore aujourd’hui puisqu’ils sont à l’origine des drames quotidiens que vivent nos compatriotes à l’Est du pays… » Des propos on ne peut plus clairs sur lesquels le ministre, d’habitude très prolixe, n’a pas jugé bon de revenir.

Comme souvent, face à ces accusations, Lambert Mende est resté impavide. En apparence tout du moins. En public, il affiche fréquemment un large sourire. De façade ? « Comme tous les membres de la MP, il cogite sur son avenir proche », dit un de ses intimes. En privé, beaucoup lui conseillent la prudence et la retenue. « Un conseil qu’il serait bien inspiré de suivre », selon ce membre de l’Alternance pour la République, l’une des principales plateformes de l’opposition, pour qui « Lambert Mende est dans une fuite en avant verbale. Tôt ou tard, il se fera rattraper par la patrouille. Rira donc bien qui rira le dernier. »

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