Les événements qui se produisent aujourd’hui en République Démocratique du Congo sont à la fois prévisibles et désastreux. Ils traduisent la fragilité d’un pouvoir qui s’est affranchi de toute apparence de légitimité démocratique pour s’imposer.
Le résultat improbable du scrutin absurde de décembre dernier a placé Félix Tshisekedi à la présidence de la République Démocratique du Congo pour un second mandat. Pourtant pas un message diplomatique prenant acte de cette élection n’a omis d’en noter le caractère factice. Ainsi, c’est une opinion nationale et internationale également dubitatives qui ont accueilli cette réélection, intervenant à l’issue d’un processus électoral farcesque où les machines à voter restaient au domicile des futurs élus, au lieu d’être dans les bureaux de vote, et s’activaient jour et nuit pour fabriquer des votes tant pour les Législatives que pour la Présidentielle.
Frauder aux yeux de tous : élection ou coup d’État tacite ?
Pris sur le fait en plein bourrage d’urnes numériques, les candidats à la députation furent nombreux à être invalidés, le vote des électeurs ayant été à l’évidence trafiqué en leur faveur. Mais quid des votes pour le Président lui-même, fabriqués en même temps et par les mêmes machines ? Eux ne furent pas invalidés et assurèrent une majorité à la fois confortable et indue à celui qui se présentait à sa propre réélection… Alors même que son premier mandat n’avait pas non plus résulté du choix des électeurs … ce dont tous convenaient déjà tant parmi les Congolais que parmi les observateurs internationaux.
Quelle différence, alors, entre 2023 et 2019, puisque ni en 2023 ni en 2019, le Président réputé élu n’avait eu la faveur des électeurs ? Une différence de taille: lorsque le compromis se fit entre le camp de Kabila et celui de Tshisekedi, sous l’égide d’une CENI présidée par Corneille Nangaa avec un accord tacite de la communauté internationale, le compromis fut de nature à satisfaire toute la population congolaise, parce qu’il y avait une alternance, et qu’elle se faisait dans la sérénité et sans chasse aux sorcières. Ainsi tous y trouvaient leur compte et le pays n’était pas fracturé.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui : la preuve, l’artisan du compromis de 2019 lui même, Corneille Nangaa, a réussi à fédérer autour de lui l’immense majorité des mouvements de révolte et de mécontentement présents dans la population. L’Alliance Fleuve Congo oppose la légitimité de citoyens congolais réclamant un exercice démocratique véritable, face à l’illégitimité d’un pouvoir qui ne peut plus alléguer la moindre origine démocratique.
La grande différence pour la légitimité du Président Tshisekedi avant et après les élections de décembre 2023, c’est qu’avant le scrutin, elle résultait d’un compromis qui faisait consensus, alors qu’au lendemain du vote, elle n’a plus pour base qu’une fraude massive, perpétrée au vu et au su de tous, et pour tous dépourvue de crédibilité.
Le bras de fer que représente cette empoignade historique est susceptible de dégénérer d’un moment à un autre, selon le cours des combats qui se déroulent au Kivu. Et c’est pourquoi les chancelleries du monde entier surveillent comme le lait sur le feu la révolte armée qui se propage, redoutant plus que tout une rupture d’approvisionnement dans la chaîne d’exportation du coltan, du cobalt et d’autres minerais rares indispensables à la nouvelle économie du numérique et du tout électrique et dont le statu quo dans l’Est de la RDC garantissait jusque-là l’exploitation. La bataille de Goma qui s’annonce pourrait précipiter un désastre économique mondial dont ni l’Amérique ni la Chine ne veulent ! D’où la multiplication des appels à la paix et la difficulté de la diplomatie à l’imposer. Comment restaurer les conditions d’un dialogue équilibré ?
Négocier pour refonder une légitimité ?
Quand on fera l’histoire du conflit civil qui secoue aujourd’hui la République Démocratique du Congo, on ne pourra que constater que cette crise de légitimité à la tête de l’État congolais affaiblit considérablement les Forces Armées de la République Démocratique du Congo dans leur résistance face à l’opposition politique ou armée qui conteste un résultat du processus électoral notoirement biaisé, à la fois pour l’Assemblée et pour la Présidence, avec une évidente sur-représentation, dans ce grand pays composite, des politiciens originaires du Kasaï, tout comme le Président lui-même.
On ne peut évidemment que déplorer le retour de la guerre, mais force est de constater que le déni de démocratie qui l’a précédé a donné des arguments nouveaux aux partisans d’un renversement de Félix Tshisekedi, auxquels le pouvoir en place n’a pas permis de s’exprimer par les urnes. Une négociation politique est plus que jamais nécessaire pour retrouver la paix !