RDC: l’opération « Kimia » est un vrai désastre


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Immaculée Birhaheka, la présidente de l’ONG Promotion et appui aux initiatives féminines (PAIF) basée à Goma, capitale du Nord-Kivu à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a participé à la rédaction d’un communiqué de presse publié mardi, sur le bilan des dix premiers mois de « Kimia », la campagne de l’armée congolaise contre les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), repliées à l’est du Congo depuis le génocide de 1994 au Rwanda. Les populations civiles payent un prix « inacceptable » dans les combats, jugent les ONG, qui réclament d’urgence le renforcement de leur protection

imma.jpgSelon Congo Advocacy Coalition un groupe de 84 ONG agissant dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu à l’est de la RDC, plus de 1000 civils ont été tués, depuis le déclenchement de la campagne militaire contre les FDLR, en janvier dernier. Dans le même temps, quelque 7000 femmes et jeunes filles ont été violées, et plus de 6000 logements détruits. Le déplacement des populations s’est également accentué : près de 900 000 personnes ont été contraintes d’abandonner leur domicile, et se retrouvent à la merci des intempéries, du fait de la dégradation des conditions de secours. L’armée congolaise est autant responsable des exactions que subissent ces civils, que les rebelles des FDLR qu’elle combat. Les soldats de la MONUC sont de leur côté accusés de ne rien faire pour aider les victimes collatérales des combats. Actrice de terrain et Prix Martin Ennals pour les Défenseurs des Droits de l’Homme (an 2000), Immaculée Birhaheka fait le point sur la situation sur le terrain. Elle précise aussi l’action et les attentes des ONG.

Afrik.com : Quelle est la situation actuelle des populations qui fuient les combats ?

Immaculée Birhaheka :
L’opération « Kimia» est un vrai désastre pour les populations, qui sont prises entre les feux de l’armée congolaise secondée par les hommes de la MONUC, et les rebelles des FDLR. Les personnes déplacées sont quasiment privées d’assistance. Or elles ont besoin de médicaments, de nourritures et d’un toit. Mais chassées d’un lieu à l’autre, elles sont soumises à toutes sortes d’intempéries. Plus graves encore, l’armée a demandé à plusieurs centaines de personnes regroupées dans des baraquements autour de Goma, de détruire leurs campements pour rentrer dans leurs villages, où elles pourraient recevoir l’aide humanitaire. Or c’est justement dans ces zones reculées que les combats font rage en ce moment. Les FDLR qui sont mises en déroutes se retournent contre les populations civiles. Les rebelles tuent, violent et pillent. Certains militaires font la même chose. De sorte qu’au niveau des ONG, nous nous demandons si ça valait la peine de combattre les rebelles hutus rwandais et d’essayer de les repousser dans leur pays, si la population doit payer un prix aussi élevé.

Afrik.com : Le communiqué de la Congo Advocacy coalition pointe également du doigt les soldats de la MONUC. Que leur reprochez-vous ?

Immaculée Birhaheka :
La MONUC a beaucoup de moyens. Mais nous constatons qu’elle ne fait rien pour protéger les populations. Vous pouvez imaginer notre désarroi de voir des personnes tuées, ou des femmes violées à quelques mètres des camps de la MONUC. En tant que mission de la paix, la MONUC devrait avoir comme priorité la protection des civils, ce qui n’est pas le cas.

Afrik.com : Les hommes de la MONUC participent-ils aux combats ? Sont-ils impliqués dans les exactions envers les populations ?

Immaculée Birhaheka :
Nous savons qu’ils apportent un appui logistique à l’armée congolaise. Pour ce qui est de leur implication dans les cas de violence, de viol et de pillage, nous avons constaté que les choses se sont beaucoup améliorées. On avait un temps accusé certains hommes de cette force d’avoir violé des femmes. Les choses semblent être rentrées dans l’ordre.

Afrik.com : L’implication des soldats congolais dans les exactions envers les civils est décriée depuis plusieurs mois. Pourquoi la situation ne change-t-elle pas ?

Immaculée Birhaheka :
Il règne un climat d’impunité, dû en l’occurrence au laxisme du gouvernement et de la justice. Le gouvernement doit veiller sur les populations et sanctionner les soldats indisciplinés, ce qui n’est pas le cas. Au contraire, on a vu des militaires accusés de viol montés en grade. Certains parmi eux commandent actuellement des troupes impliquées dans les combats. La justice de son côté est très lente à agir. On ne voit pas de saisine d’office, lorsqu’il y a flagrant délit de viol par exemple. On est obligé de pousser les victimes à déposer plainte, à soutenir les familles et à suivre toute la procédure, pour qu’elle avance. Il y a toutefois eu quelques condamnations.

Afrik.com : Que faites-vous au niveau des ONG pour aider les populations déplacées ?

Immaculée Birhaheka :
La coalition des 84 ONG fait habituellement des plaidoyers au niveau de l’Onu pour que le sort des populations soit mieux pris en compte dans la gestion du conflit. C’est pour cela que nous avons publié un communiqué sur les opérations militaires actuelles. Nous avons ainsi exhorté les diplomates et représentants de l’ONU à travailler, pour que des mesures fortes au profit des populations civiles soient prises, lors de leur prochaine rencontre à Washington. Au niveau de Promotion et appui aux initiatives féminines, notre ONG, nous avons mis en place à Goma, un programme de réinsertion sociale des femmes victimes de violence et de viol. Nous leur prodiguons des soins et une assistance psychologique. Nous les formons à divers métiers, et leur octroyons aussi des microcrédits, pour qu’elles s’assument financièrement. Nous travaillons aussi à l’insertion des anciens enfants soldats. Mais nous rencontrons beaucoup de difficultés. Par exemple, lorsqu’on demande aux femmes que nous avons secourues de retourner dans leur village à l’intérieur des forêts, elles sont de nouveau victimes d’exactions. C’est pour cela que nous avons l’impression de faire du surplace.

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