RDC :  » L’Assemblée Nationale peut encore décider d’abolir la peine de mort « 


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Si l’abolition de la peine de mort est aujourd’hui débattue par les parlementaires congolais, c’est aussi grâce à la mobilisation de la Coalition congolaise contre la peine de mort, qui fonctionne depuis 2003 et regroupe plus d’une trentaine d’ONG, et notamment aux efforts de son Coordonnateur, Me. Liévin Ngondji Ongombe, président de l’association  » Culture pour la paix et la Justice  » (…) Interview à quelques semaines du vote de l’Assemblée nationale, qui inscrira ou non la peine de mort dans la constitution de la République démocratique du Congo (RDC).

De notre partenaire Ensemble contre la peine de mort

ECPM : Combien de condamnés à mort y a-t-il à peu près dans les prisons congolaises ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Sans avoir de chiffres précis, le nombre de condamnés avoisine les 400. Déjà dans la province de Kinshasa ils sont environ 160.

ECPM : Il semble que le Congo soit passé assez rapidement d’une position de leader mondial du point de vue du nombre des exécutions à un moratoire pour suspendre les exécussions. Comment expliquer cette évolution ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
En fait le Congo est passé d’abord d’un pays abolitionniste de facto à un pays qui condamne et qui exécute. Il faut rappeler qu’avant la guerre de Kabila de 1997, on n’exécutait plus les condamnés à mort depuis les années 80. C’est avec la guerre de libération qu’on est revenu aux exécutions. Après, c’est la guerre avec l’Ouganda et le Rwanda, qui a causé beaucoup de problèmes aggravant l’application de cette peine prononcée à l’encontre des militaires accusés d’être des déserteurs, des traîtres devant l’ennemi, etc. Mais, deux choses ont joué pour l’adoption du moratoire sur l’exécution des condamnés à mort. D’abord le travail des ONG, relayé par le rapporteur spécial Roberto Gareton qui a fait un rapport important sur les atrocités des massacres [de civils] dans les zones de guerre contrôlées par les rebellions (…) Ainsi, le gouvernement, voulant avoir une bonne image au niveau international, décida d’agir différemment de [ces] groupes armés en matières des protections des Droits de l’Homme. Il a donc [adopté] ce moratoire en 1999 (…)

ECPM : Et pourquoi le moratoire a-t-il été levé deux ans plus tard ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Nous étions tous surpris parce que le moratoire a été déclaré en 1999 par le Président Laurent Désiré Kabila, mort en janvier 2001. En mars 2001, son successeur déclarera à Genève qu’il maintenait le moratoire jusqu’à ce que le Parlement se prononce sur l’abolition définitive de la peine de mort. Mais curieusement, à la veille du réquisitoire dans le procès des assassins du Président L.D Kabila, le père du Président actuel, le ministre de la Justice, NGELE MASUDI, est passé à la télévision pour dire « nous levons le moratoire pour faire face à la recrudescence de la criminalité dans notre pays « . Il était clair que la décision était en relation avec le procès qui était en cours. Finalement une trentaine des condamnations à mort ont été prononcées dans ce procès.

ECPM : Comment expliquer alors qu’un avant-projet de constitution prévoyait l’abolition de la peine de mort ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Il faut avouer qu’un grand travail de médiatisation a été fait par les membres de la Coalition congolaise contre la peine de mort, dont l’ONG  » Culture pour la paix et la justice  » CPJ asbl  » que je dirige. Ce travail a été relayé au niveau international par différents rapports dont ceux de Mme Julia Motoc qui était le dernier rapporteur du Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme et qui insistait pour poursuivre les efforts pour l’abolition de la peine de mort. Madame Marry Robinson avait [également] fait un travail de lobbying important. De même, les débats menés en Afrique du Sud pour parvenir à l’Accord Global pour mettre fin à la guerre en R.D.Congo, avaient souligné cette nécessité d’abolir la peine de mort. C’est ainsi qu’avant la préparation du projet de constitution, les membres du Sénat, l’une des chambres du Parlement, sont allés à travers le pays pour recueillir les options à mettre dans le texte. Et parmi les points qui revenaient régulièrement dans les sujets abordés par la population et les ONG, il y avait l’abolition de la peine de mort. C’est ainsi que lorsque le comité d’experts, dirigé par l’ancien premier président de la Cour Suprême de Justice, le Sénateur MBIANGO KEKESE a été mis en place, pour apprêter l’avant projet de la Constitution, il a inséré l’abolition de la peine de mort.

ECPM : Et pourquoi le comité d’experts est finalement revenu sur l’abolition ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Il y a eu deux groupes d’experts. Le premier, dont je viens de vous parler, était désigné par le Sénat ; le second, l’a été par le gouvernement avec l’appui de l’ambassade de Belgique. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi l’ambassade de Belgique est intervenue dans ce dossier. Et c’est ce deuxième groupe qui a, sans aucune explication ni commentaire, retiré cette disposition abolitionniste du texte à soumettre au parlement. Nous en étions très déçus et nous sommes alors mis en action contre ce comportement tout à fait contraire à des promesses et engagements du chef de l’Etat. Il avait, lui-même, dit, devant la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies à Genève, que la RDC cesserait d’exécuter les condamnés à mort jusqu’à ce que l’abolition soit votée au Parlement. Et voilà que maintenant on veut justement éviter les dits débats parlementaires sur la question. Nous avons fait un travail au niveau du Sénat, et la disposition a été réintroduite mais de manière limitative. En effet, et alors que la disposition du texte original disait que la peine de mort était abolie en République Démocratique du Congo, le texte du Sénat dit que la peine de mort ne peut être appliquée que pour assassinat et homicide volontaire. Ca n’est pas suffisant, il faut aller jusqu’au bout, c’est pour cela que nous faisons ce travail au niveau de l’Assemblée Nationale.

ECPM : Donc il est possible que l’Assemblée Nationale revienne sur le maintien de la peine de mort ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Absolument, c’est très possible pour trois raisons. Premièrement, l’Assemblée nationale a à sa tête des dirigeants qui sont favorables à l’abolition de la peine de mort, notamment le président du Parlement Monsieur Olivier Kamitatu et le deuxième vice-président Maître Matadi Nenga. Deuxièmement, les députés ne sont pas liés par le travail du Sénat. Ils ont la liberté de faire leur propre analyse sur toutes les questions. Enfin, ils ont la possibilité d’avoir beaucoup plus d’arguments parce qu’en plus de l’appel urgent nous sommes en train de préparer un mémorandum présentant tous les arguments nécessaires, sur le plan national et international, pour qu’ils puissent apprécier cette question de manière tout à fait libre et indépendante. Je crois que grâce à notre travail de suivi il serait possible que la disposition prévoyant l’abolition de la peine de mort soit réintroduite dans le texte.

ECPM : Vous sentez-vous soutenus par certains acteurs politiques congolais, ou pas du tout ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Au niveau du gouvernement nous ne sommes pas beaucoup soutenus. Il y a la ministre des droits humains, Marie Madeleine Kalala, qui nous défend vraiment au sein du gouvernement, mais c’est une voix isolée. Au niveau du Parlement il y a quand même un appui, mais il faut avouer que les autorités politiques, surtout gouvernementales, ne sont pas d’accord avec nous. Il y a une raison à cela : nous, défenseurs des droits de l’Homme, pensons que la peine de mort est utilisée comme une arme politique. Alors vous comprenez bien que les dirigeants politiques ne veuillent pas la lâcher facilement. C’est vite fait avec les opposants politiques, on les amène dans une procédure devant la justice militaire pour trahison ou je ne sais quoi ; ils sont rapidement condamnés à mort, et seront laissés dans les couloirs de la mort, à attendre la grâce présidentielle, et on les oublie… C’est plus pratique comme ça que les avoir dans un combat d’idées.

ECPM : Quelles ont été vos actions en dehors du lobbying envers les parlementaires ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Nous menons des actions de lobbying à tous les niveaux, au niveau des parlementaires, au niveau du gouvernement – même s’il y a de la résistance – au niveau des avocats et des magistrats, au niveau des ambassades et des institutions des Nations Unies. Nous menons aussi des activités de médiatisation par des conférences, et nous faisons régulièrement des émissions de télévision pour essayer de créer un débat sur l’abolition.

ECPM : Avez-vous l’impression d’être bien accueillis par l’opinion publique ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
De plus en plus. A l’époque, quand nous avons commencé le travail, nous étions vraiment pris pour des extra-terrestres. Mais le débat commence à être suivi. Il faut avouer que c’est quand même très difficile pour nous. Il nous faut beaucoup de courage. Pour la majorité des gens c’est très difficile, parce que le pouvoir en place utilise cette arme-là pour distraire les gens. Vous savez les gens ici vivent dans des conditions de dénuement le plus total, et quand l’insécurité augmente, on prend un ou deux bandits, on les montre à la télévision, on dit voilà, ils méritent la mort ainsi de suite. Et c’est la haine qu’on attise de cette façon-là. Et nous n’avons pas les mêmes capacités de communication pour dire que c’est un message tronqué, qu’on ne fait rien en amont de la situation, qu’on ne dit pas que les policiers ne font pas leur travail. Surtout que 90% des bandits qu’on attrape sont des policiers ou des militaires. C’est de la manipulation. Il est vrai que les gens ne sont pas en état de beaucoup réfléchir, ils sont préoccupés par la survie. C’est ce qui nous met en minorité. Mais nous pensons que c’est un combat qui vaut la peine d’être mené.

ECPM : Pensez-vous qu’il soit possible de faire évoluer l’opinion publique sur ces questions ?

Me. Liévin Ngondji Ongombe :
Vous savez quand nous avons commencé même les ONG de défense des droits de l’homme ne voulaient pas nous suivre car elles disaient qu’il y a tellement d’insécurité qu’on ne pouvait pas abolir la peine de mort. Bien souvent dans les émissions de télévision on nous interpellait en nous disant : on attend le jour où ça va arriver dans votre famille, et vous changerez d’avis etc. Mais on a quand même vu un changement donc je pense qu’une communication régulière et permanente à ce sujet peut nous amener à changer l’opinion publique là-dessus. Vous savez on est arrivé à ce qu’une disposition prévoyant la peine de mort soit inscrite dans l’avant-projet de constitution. Ça ne signifie pas que c’est bon, mais les parlementaires avaient été recueillir des informations à l’intérieur du pays, ça signifie que certaines personnes qui nous lisent et suivent nos émissions et nos rapports arrivent à analyser la question de manière froide, et comprennent qu’il faut réfléchir à la question. Nous avons de grandes possibilités d’être écouté au niveau des intellectuels, et si nous arrivons à avoir les intellectuels avec nous, même les gens qui sont moins formés peuvent suivre.

Propos recueillis le 25 mars 2005

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