Arrivé à la tête de la RDC en janvier 2001, Joseph Kabila doit en principe céder son fauteuil en décembre 2016. Après avoir été élu en 2006 et réélu en 2011, il ne peut briguer un troisième mandat et doit donc organiser les élections pour passer le flambeau. Pourtant, à quelques mois de l’échéance électorale, le pays est loin d’être prêt à aller aux urnes. La classe politique s’interroge donc sur le sort de Joseph Kabila en cas de non tenue des élections dans le délai constitutionnel. Invitée par des parlementaires de la majorité à se prononcer sur la question, la Cour constitutionnelle, par un arrêt du 11 mai 2016, a autorisé le Président Joseph Kabila à rester en fonction jusqu’à l’installation d’un nouveau chef d’Etat. Diversement accueillie, cette décision divise tant la classe politique que la société civile. Cet arrêt de la Cour constitutionnelle est-il en phase avec la Constitution ? Autrement, que cache-t-il ?
Selon l’alinéa 2 de l’article 70 de la Constitution que la Haute Cour était appelée à interpréter, « à la fin de son mandat, le président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président ». Mais, aux termes de l’article 73 de cette même Constitution, le scrutin présidentiel est convoqué par la Commission électorale quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice. La lecture conjointe de ces deux articles aboutit à cette conclusion : le Président en exercice reste en fonction dans l’hypothèse où l’élection présidentielle est effectivement organisée dans le délai constitutionnel et où le pays se trouve dans une période de « petite transition » en attendant la passation de témoin entre l’ancien et le nouveau chef de l’Etat. Autrement dit, dans le cas où les élections ne sont pas tenues à temps, le numéro deux dans l’Etat, en l’occurrence le président du Sénat devrait prendre la relève en attendant la tenue et la fin des élections et la passation du pouvoir. Par conséquent, l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’est manifestement pas en accord avec l’esprit et la lettre de la Constitution. D’où le besoin d’aller chercher ses motivations ailleurs.
On pourrait se demander pourquoi Kabila, s’il avait envie réellement de réformer le processus, ne l’a-t-il pas fait plutôt ? Une telle entreprise prenant du temps, son inaction renforce davantage la thèse de la manigance préméditée. Une révision constitutionnelle pour briguer un troisième mandat causerait beaucoup de bruit, aussi le Président Kabila semble avoir opté pour la formule de la prolongation qui est nettement plus « douce ». Pour ce faire, il lui a suffi de ne rien mettre en œuvre pour l’organisation de la Présidentielle et d’utiliser différents arguments peu convaincants. En janvier 2015, par exemple, il a tenté de faire passer une loi conditionnant la tenue de l’élection présidentielle à un recensement préalable de la population (estimée à près de 75 millions d’habitants. Après le retrait de ce texte suite à des émeutes, il est revenu à la charge en proposant une révision électorale pour passer d’un scrutin direct à un scrutin indirect. Actuellement, sa nouvelle trouvaille est le dialogue national. Or, rappelons-le, dès novembre 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans une déclaration, demandait au gouvernement de Kinshasa de veiller à ce que les élections se déroulent sans encombre et dans les délais constitutionnels prévus. Une interpellation qui, comme on le voit, fut vaine face à un Président dont la volonté de rester au pouvoir était déjà arrêtée.
Ainsi, la décision de la Cour constitutionnelle s’apparente à une nouvelle stratégie de Joseph Kabila pour se maintenir au pouvoir. Mais, en faisant fi de la nécessité d’alternance, cette Cour a montré sa connivence avec lui. Un fait déplorable et regrettable qui témoigne du dysfonctionnement des institutions du pays. Celles-ci, inféodées par le clan Kabila, ont perdu toute crédibilité. Souvenons nous qu’après l’assassinat de son père Laurent Désiré Kabila, en janvier 2001, Joseph Kabila lui a succédé contrairement à ce que prévoyait la Constitution en vigueur à cette époque. En 2006, sans consulter le peuple, le Parlement révisait cette même Constitution pour l’adapter à l’âge du candidat Kabila. Tout ceci atteste bien que le Sénat, le Parlement, la Commission Electorale Indépendante Nationale (CENI), et même la Cour constitutionnelle, institutions en apparence démocratiques, ne sont que des boîtes de résonance du pouvoir en place. Pas alors étonnant que la démocratie reste inopérante dans ce pays.
De toute évidence, le clan Kabila veut s’accrocher au pouvoir. Certains pensent même que Kabila prépare un plan à la Poutine qui, en 2008, pour respecter la Constitution, avait laissé la Présidence à Dmitri Medvedev, un proche, et s’était installé à la Primature avec des pouvoirs élargis. En 2012, il était revenu à la tête de l’Etat. Mais quand on sait que la RDC n’a jamais connu de transition pacifique, de Patrice Lumumba à Joseph Kabila, en passant par Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, le pouvoir s’étant toujours transmis dans la violence et le crime, il y a lieu de craindre les conséquences d’un enracinement au pouvoir par Kabila.