Alors qu’il est en liberté conditionnelle, sous le coup d’une condamnation par la Cour Pénale Internationale (CPI) de La Haye pour fausses déclarations et subornation de témoin dans l’affaire des mercenaires de Jean-Pierre Bemba en Centrafrique, Fidèle Babala Wandu, l’ex-directeur de cabinet du « Chairman », est au cœur d’une rocambolesque arnaque à la congolaise, une histoire digne des pires « kinoiseries ». La victime : le Premier ministre de l’époque, Augustin Matata Ponyo, ou – plus justement – le contribuable congolais. Le montant du préjudice : 2,5 millions de dollars. Explications.
Il est connu pour son franc-parler et pour ses saillies à l’encontre de la classe politique congolaise, qu’il accuse d’avoir abandonné à son triste sort le « Chairman », surnom donné à Jean-Pierre Bemba, condamné par la CPI et détenu à la prison de Scheveningen, dans la banlieue de La Haye aux Pays-Bas. Mais dans le microcosme politique kinois, Fidèle Babala, député national et ancien bras droit du président du MLC, est aussi affublé d’un autre surnom, pour le moins explicite : celui de « roi de l’arnaque ».
Son plus grand fait d’armes, Fidèle Babala, la soixantaine, l’a sans doute commis il y a une poignée d’années au détriment d’Augustin Matata Ponyo, alors Premier ministre, et pour un butin évalué à 2,5 millions de dollars. Rappel des faits : nous sommes en 2013. A l’époque, le MLC s’apprête à prendre part aux Concertations nationales au Palais du peuple, souhaitées par le chef de l’Etat. Mais l’hostilité au sein de l’opinion publique congolaise, qui voit dans cette démarche un stratagème pour permettre à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de son second et dernier mandat, est telle que le Chairman ne tardera pas à remettre en cause cette participation.
Mais pour l’heure, cette décision de ne participer en aucun cas à un gouvernement de « cohésion nationale » n’a pas encore été éventée. Avant que la délégation du MLC ne la rende publique, un homme décide d’en profiter : Fidèle Babala, qui renifle l’opportunité. « Il est persuadé qu’il y peut tirer financièrement partie de la situation en raison des intérêts politiques en jeu, qui sont considérables », explique l’un de ses proches, qui a depuis pris ses distances.
Babala, qui se présente encore aujourd’hui comme « le bras droit du Chairman », s’empresse alors de prendre contact avec Augustin Matata Ponyo, dont le poste de Premier ministre est directement menacé en cas de consensus à l’issue des concertations nationales. Car si un gouvernement d’union est formé, son sort sera scellé. Or, Matata est bien décidé à sauver sa peau. L’offre ne tarde donc pas à rencontrer la demande. Fidèle Babala s’en va expliquer à Matata qu’il est le seul à pouvoir convaincre Bemba de reconsidérer sa position de faire participer le MLC a un gouvernement d’union nationale. Ainsi, celui-ci pourra-t-il se maintenir en fonction.
Babala – Matata trinquent, le contribuable congolais paye !
Sur le principe, l’affaire est entendue. Il ne reste plus aux deux parties qu’à trouver un accord sur le prix. Mais le madré Babala se montre particulièrement gourmand. Il demande 4 millions de dollars. Finalement, au terme d’un marchandage de boutiquier, l’affaire sera conclue pour un montant de 2,5 millions de dollars. Une somme rondelette, s’il en est, qui sera directement puisée sur le budget de l’Etat.
Problème : à l’instar de Saint-Thomas qui ne croit que ce qu’il voit, Matata exige d’échanger lui-même par téléphone avec Jean-Pierre Bemba. Mais il n’y a pas de problème insoluble pour l’ingénieux Babala. C’est là, avec l’entrée en scène de Germain Kambinga, l’ex-ministre congolais de l’industrie et ex-porte-parole du MLC, que l’affaire devient cocasse. Ce dernier a un talent, qu’il ne cache pas : celui d’imiter parfaitement la voix de Jean-Pierre Bemba. Babala a trouvé le complice idéal. Il ne reste plus aux deux comparses qu’à commettre leur forfait pour empocher le magot. Ce qui ne tardera pas à se produire. Babala l’explique lui-même au Premier ministre : il a pris rendez-vous téléphonique avec le Chairman en personne. Celui-ci l’appellera dès que Matata sera à ses côtés, fait-il savoir à l’intéressé. La chose est d’autant plus crédible que le tout Kinshasa politique – et journalistique – sait que Babala est l’une des très rares personnes à pouvoir parler directement par téléphone à Bemba, depuis sa cellule de la prison de Scheveningen aux Pays-Bas.
Le jour « J », c’est en numéro masqué que le faux Bemba (en réalité, Kambinga) appelle Babala. Le Premier ministre, naïf, est ravi. Il obtient de la bouche du Chairman toutes les assurances souhaitées. Il raccroche alors, persuadé d’avoir – grâce à la précieuse intercession de Babala – sauvé son poste. Matata satisfait, la transaction peut avoir lieu : elle sera réalisée en cash, de la main à la main pour ne laisser aucune trace. Au final, c’est le contribuable congolais qui en est pour ses frais.
Mais Kambinga, qui se frottait déjà les mains, va rapidement déchanter. Lors du partage du butin, Babala se taille la part du Lion et ne lui réserve que la portion congrue : 60.000 dollars. L’ex-directeur de cabinet de Bemba ne tardera d’ailleurs pas a utilisé sa nouvelle fortune. Il acquiert, peu de temps après, une somptueuse villa dans l’un des quartiers chics de Kinshasa, Ma Campagne. Une propriété évaluée à près d’un million de dollars.
Quand Babala joue les aigrefins auprès de Kabila
A Kinshasa, adversaires et partisans de Jean-Pierre Bemba se retrouvent sur un point : le côté aigrefin de Fidèle Babala. « C’est un homme mu par ses intérêts, obnubilé par l’argent. Chez lui, les convictions n’existent pas », pointent du doigt l’un des responsables du MLC, très sévère sur le personnage. Tous, pro et anti-Bemba, sont intarissables dès lors qu’il s’agit de narrer des anecdotes censées démontrer la cupidité – réelle ou supposée – du secrétaire général adjoint du MLC.
L’épisode qui suit, vérifié à travers le témoignage de plusieurs sources et qui a pour théâtre la ferme présidentielle de Kingakati, en offre une démonstration éclatante. Ce jour-là, Babala a rendez-vous au ranch de Joseph Kabila. Il a prétexté être le porteur d’un message « personnel de la plus haute importance » de Jean-Pierre Bemba à l’adresse du chef de l’Etat. C’est André Kimbuta, le gouverneur de la ville-province de Kinshasa, dont l’intrigante amitié avec Babala est connue de tous au MLC, qui s’est chargé de caler le rendez-vous.
A cette occasion, Fidèle Balala est venu accompagné de Kambinga, toujours lui. Mais ce dernier est tenu de faire banquette et d’attendre dans une autre pièce le temps de l’entretien entre les deux hommes. Au sortir du rendez-vous, Fidèle Babala a la mine réjouie. Il a soutiré… 20.000 dollars à Joseph Kabila (ce qui, en réalité, était le but exclusif de ce rendez-vous, Bemba n’ayant aucun message à adresser à Kabila). En tendant la sébile, Babala a prétexté un mariage – imaginaire – de sa fille qu’il aurait peiné à financer. Pour Fidèle Babala, il n’y a donc pas de petits profits. Qu’il s’agisse de 2,5 millions ou de 20.000 dollars, « tout fait nombre », comme disait M. de la Fontaine, ou – si l’on préfère – « panier compte » selon une expression populaire en vogue à Kinshasa. Grand prince, Babala concédera tout de même ce jour-là à Kambinga 5.000 dollars.
Babala – Kimbuta, une amitié… intéressée
L’un des éléments les plus troublants concernant Fidèle Babala tient sans doute à sa relation de grande proximité avec André Kimbuta. Nombreux sont ceux au sein de la direction du MLC à s’être interrogé sur la nature réelle des liens qui unissent les deux hommes. Jean-Pierre Bemba lui-même, en privé, a, à plusieurs reprises, fait part de son trouble… dissipé à chaque fois par les explications alambiquées du rusé Babala, sûr de son ascendance psychologique sur le Chairman.
Pourtant, les interrogations sont légitimes. Chaque mois, Babala est l’heureux bénéficiaire d’un virement bancaire de 25.000 dollars émis par l’Hôtel de ville de Kinshasa. « C’est sans doute ce qui explique pourquoi le Gouverneur Kimbuta bénéficie d’une majorité à l’Assemblée provinciale de Kinshasa, alors qu’on y dénombre 22 députés (sur 48) issus des rangs du MLC ; lequel détient d’ailleurs, avec ses alliés, la majorité absolue (plus de 25 sièges au total) », rappelle un professeur en science politique de l’UniKin. Une situation pour le moins troublante…
Cette gratification mensuelle est, par surcroît, complétée au moment du vote du budget. En effet, à l’occasion de chaque session budgétaire, Fidèle Babala empoche un supplément de 15.000 dollars. « A chaque fois, c’est le même argument qui revient », déplore un élu MLC. « Babala nous prie de le croire sur parole quand il dit que Bemba n’a rien contre Kimbuta et que notre seul ennemi, c’est le Président Kabila. Il pousse même le cynisme jusqu’à sous-entendre qu’il y aurait un deal financier entre le Chairman et Kimbuta », conclut-il, dépité.
« Fidèle Babala est aveuglé par l’argent. Cela le perdra sans doute un jour », déclare un ex-intime, qui a pris depuis ses distances. « Quand on a dépassé les bornes, il n’y a plus de limite », dit un célèbre dicton. Pourtant, la fuite en avant de Fidèle Babala, qui a prospéré sur les ruines de l’empire Bemba, pourrait bientôt s’arrêter net. Aux portes de la prison de Scheveningen, en cas de condamnation lors de son procès devant la CPI à La Haye. Verdict prochainement.