Le jeudi 30 juin a été le jour de tous les dangers en République démocratique du Congo. Date du 45e anniversaire de l’indépendance, c’était aussi celle des élections qui devaient mettre fin à la période de transition. Mais ni la fête ni le changement politique n’ont été au rendez-vous. A Kinshasa et dans plusieurs villes du pays, des manifestations d’opposants ont été réprimées par les armes. Bilan : entre 1 et 11 morts sur l’ensemble du territoire.
Après la journée noire du jeudi 30 juin, le calme est revenu, vendredi, à Kinshasa. Un calme « apparent », comme le précise un membre de la Voix des Sans-Voix pour les droits de l’Homme (VSV), une association basée dans la capitale congolaise. Si les effectifs des forces de l’ordre ont été revus à la baisse, en comparaison des quelque 5 000 hommes déployés jeudi 30 juin, l’atmosphère reste tendue. « La population est encore traumatisée par ce qui s’est passé jeudi », explique notre interlocuteur. « L’activité n’a pas totalement repris, ni les transports en commun. Les gens ont peur de sortir de chez eux car il y avait encore des foyers de tension vendredi matin. »
Jeudi, la répression, à Kinshasa, et dans d’autres villes congolaises, d’une série de rassemblements pacifiques de l’opposition a « traumatisé » la population. Une « répression disproportionnée », selon l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), premier parti d’opposition. Ce dernier avait appelé à manifester contre la prolongation de la transition lancée en 2003 et dont la fin, prévue le 30 juin et qui devait être couronné par des élections, a été repoussée à décembre 2005. Les partisans de l’UDPS, qui se sont retrouvés en ville par petits groupes de 100 à 300 personnes, ont demandé le départ du Président Joseph Kabila et des quatre vice-présidents du pays.
Les bilans divergent
Mais les forces de l’ordre ne leur ont pas laissé le temps de se rejoindre et ont fait parler les armes. Les bilans sont divers. L’USDP a annoncé avoir perdu 11 de ses militants dans l’ensemble du pays, alors que le gouvernement annonce 1 mort. Selon Jean-Pierre Bemba, l’un des quatre vice-présidents, il y aurait eu, sur l’ensemble du territoire, 10 morts et des dizaines de blessés. La VSV, qui a établi un décompte très précis, parle de 3 personnes tuées par balle à Kinshasa, dans le quartier Yolo Nord et au rond-point Bongolo dans la commune de Kalamu. Quatre autres personnes auraient trouvé la mort à à Tschikapa, au Kasaï occidental, et deux à Mwene-Ditu, province du Kasaï oriental.
Quant aux blessés, ils l’auraient été par balle mais aussi par « le poignard d’un militaire » et suite à « une poursuite par une jeep de l’armée ». « Il faut savoir que les personnes qui ont été blessées et tuées ce jour-là l’ont été par des balles tirées à bout portant et pas par des balles perdues. Pour la plupart, ce ne sont pas des manifestants mais des gens qui se trouvaient sur le pas de leur porte », affirme le membre de VSV. Qui rapporte la présence, pendant l’opération de répression, de mercenaires et de militaires des forces régulières du Congo voisin et d’autres pays.
Raga TV interdite d’antenne
« Nous savons, à cause des problèmes de langue qu’ils ont rencontrés, qu’il y avait des Tanzaniens, des Zimbabwéens, des Angolais et des Rwandais, habillés en tenue noire de la police nationale congolaise. Ces hommes sont venus en prévision, quelques jours avant le 30 juin et ont pris position dès le 29 au soir sur les places principales de la ville. Des rumeurs couraient comme quoi les militaires et policiers de RDC auraient pu se rallier à la population. C’est pourquoi les autorités n’ont pas eu confiance et ont préféré faire stationner des étrangers. Ceux-ci se sont installés avec des engins de guerre et des armes lourdes et légères, des chars de combat et des gaz lacrymogènes. Dès le matin du 30 juin, ils étaient en poste, la plupart casqués ou cagoulés, avec leurs armes pointées en direction des manifestants. »
La VSV s’inquiète aussi de cas de journalistes « détroussés » et « malmenés » comme John Ngomba et Noël Tunda, de la chaîne Antenne A, arrêtés en pleine émission, sur le plateau où ils passaient en direct des images de la manifestation. Luc Mokomo, le directeur des informations de la chaîne Raga TV a également été arrêté par des hommes des services spéciaux de la police. Les militaires ont déconnecté tous les câbles de sa station et la Haute autorité des médias a interdit la chaîne pour 10 jours, pour diffusion d’images dites « subjectives » de la manifestation de Kinshasa.
Transition jusqu’en 2006
Le 30 juin était aussi la date du 45e anniversaire de l’indépendance du Congo. Une fête au goût amer. A ce titre, dans son message radio-télévisé à la nation, le Président Kabila a affirmé être « déterminé à mettre fin à la spirale des transitions interminables et de donner au peuple l’occasion de se prononcer librement sur ceux qui doivent présider à sa destinée ». Soulignant : « J’invite tous les acteurs politiques à soutenir le processus électoral en cours et à participer de façon positive à l’édification de cette œuvre grandiose. » Mais le gouvernement de transition a d’ores et déjà échoué. Les élections auraient dû avoir lieu ce jeudi, en vertu de l’accord de fin des hostilités signé en 2003 entre Kinshasa et la rébellion, et qui a mis fin à 5 ans d’une guerre meurtrière.
Le 17 juin, les députés avaient prolongé l’existence du gouvernement de transition jusqu’à la fin 2005, et il semblerait que la transition soit repoussée à nouveau jusqu’en juin 2006, comme l’autorise l’Accord global de gouvernement, signé par l’ensemble de la classe politique congolaise en décembre 2002. Manuel Barroso, président de la Commission européenne, de passage à Kinshasa la semaine dernière a mis en garde : « L’échec éventuel de la transition au 30 juin 2006 sera synonyme de rejet, pour longtemps, de la RDC par la communauté internationale ». A la VSV, on explique : « Le début de la campagne électorale pour le référendum constitutionnel a été annoncée pour le 31 janvier 2006, et les présidentielles pour octobre-novembre 2006. Les Congolais veulent bien attendre car ils ne souhaitent pas d’élections bâclées. Mais ce qu’ils veulent, c’est qu’il y ait une évaluation de l’action gouvernementale. C’est ce que demande aussi l’opposition. Et c’est là où réside tout le problème. »
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