Quelques jours après l’annonce de la nomination du nouveau gouvernement de la république démocratique du Congo le 28 avril 2012, le grand public a assisté à une pluie des décisions gouvernementales. Les premières furent celles portant interdiction de la circulation des véhicules privés, communément appelés 207, pour le transport en commun, et celle de l’interdiction de petits commerces (qui jonchaient les grandes artères de la ville de Kinshasa). La plus commentée et la plus contestée par le public est cependant une décision conjointe entre le gouvernement et l’autorité monétaire – la banque centrale du Congo – frappant la monnaie nationale, « le franc congolais » : ce dernier devait pour la deuxième fois subir une mise en circulation des billets à valeur faciale élevée ; à savoir, les billets de valeur 1.000 FC, 5.000 FC, 10.000 FC et 20.000 FC début juillet 2012.
Selon le gouvernement et la banque centrale du Congo, cette introduction
de billets à valeur faciale élevée devait résoudre trois problèmes :
1. L’inadaptation de la structure fiduciaire actuelle : jusqu’avant la décision, le billet ayant la valeur faciale la plus élevée était celui de 500 FC et ce fait constituait une difficulté pour les congolais qui jusqu’alors effectuaient la majeure partie de leurs transactions au comptant. Il était dans cette mesure encombrant pour un agent économique d’effectuer une transaction de 100.000 FC à cause seulement du nombre des billets qu’il aurait à transporter pour sa transaction. Autre exemple : une entreprise voulant prendre un crédit pour un montant assez élevé dans une banque ne serait pas tentée de le faire en francs congolais à cause du même problème du nombre des billets (elle le ferait en dollars).
2. La rationalisation de la production des billets par rapport au coût de leur impression : le coût de fabrication d’un billet est le même quelle que soit sa valeur faciale, de telle sorte que la fabrication d‘un billet de 50 FC coûte le même montant que celle d’un billet de 500 FC. Par ailleurs, les intrants servant pour la fabrication des billets de banques sont importés et, globalement, le coût de fabrication d’un billet s’élève actuellement à une valeur supérieure à 500 FC.
3. L’accompagnement et la facilitation du processus de dédollarisation de l’économie congolaise : La dollarisation en RDC est tributaire de l’instabilité relative de la monnaie nationale pendant plus d’une décennie et qui a occasionné la perte de certaines fonctions traditionnelles d’une monnaie, principalement celle de réserve de valeur (le franc congolais est passé de 1$= 1,38 FC en 1998 à 1$= 919,5543 FC début 2012). Une pareille perte de valeur détourne les agents économiques rationnels de la détention ou du placement de leurs avoirs en monnaie nationale, au profit de devises qui sont relativement stables dans le temps. En adaptant la structure fiduciaire du franc congolais, la préférence à utiliser le Dollar pour les transactions importantes peut être réduite par l’introduction des billets à valeur faciale avoisinant la valeur des coupures en dollar (les coupures de 10.000 FC avoisineront celles de 10.$).
Au lendemain de l’annonce de la décision de mise en circulation des billets à valeur faciale élevée, l’opinion nationale dans sa majorité semblait unanime et s’était mise à dénoncer cette innovation fiduciaire en la qualifiant de décision tout à fait inflationniste comme si théoriquement il existait un principe qui stipule que toute introduction des billets à valeur faciale élevée entraîne automatiquement l’inflation.
En fait, les billets à valeur faciale élevée ne portent pas en eux-mêmes les germes de l’inflation. L’émission des billets de banques, quelle qu’en soit la valeur faciale, ne peut entrainer de hausse de prix que lorsqu’elle conduit à une variation de la masse monétaire au-delà de la demande de monnaie…
À la lumière de cette théorie, les craintes des congolais face à la décision d’adaptation de la structure fiduciaire du franc congolais peuvent s’avérer infondées si les autorités monétaires prenaient des mesures stratégiques pour que cette mise en circulation des nouveaux billets n’occasionne pas une augmentation de la quantité de monnaie dans l’économie.
Il faut noter cependant que ce réflexe des congolais face à cette décision n’était qu’un effet psychologique causé par le fait que depuis les années 60, ce genre de politique n’a eu pour effet que soit de réduire davantage le pouvoir d’achat des congolais, soit de servir à financer les besoins courants de l’État sans s’inquiéter de l’existence préalable des contreparties avant la création de monnaie supplémentaire. Il faut par ailleurs noter que ce réflexe ne tient pas compte des changements qu’à connu la RDC sur le plan économique.
Dans le cadre macroéconomique des décennies passées (caractérisé par une décroissance criante de l’activité économique, un taux d’inflation faramineux, etc.), l’émission des billets à valeur faciale élevée servait effectivement à financer les dépenses de l’État et ne faisait qu’accroître la masse monétaire en circulation tout en la maintenant supérieure à la demande de monnaie, alors qu’à présent la banque centrale ne finance plus les dépenses de l’État (ce qu’on nomme « Financement monétaire du déficit de l’État » ou de manière plus populaire, « faire tourner la planche à billets »).
L’émission des billets à valeur faciale élevée en RDC n’a pas débouché sur l’inflation mais bien au contraire à la fin 2012, année d’émission de ces billets, le taux d’inflation s’est situé à son plus bas niveau depuis dix ans (3,1%). Il faut espérer que la dédollarisation graduelle de l’économie ne permette pas in fine aux autorités de manipuler la monnaie nationale de manière inflationniste par absence de « pression concurrentielle ».
Caleb Mukadi, étudiant-chercheur à la Faculté des sciences économiques et de gestion de Kinshasa/UNIKIN