Ida Sawyer, chercheuse renommée chez Human Rights Watch et grande spécialiste du Congo, a été expulsée de RDC samedi 21 janvier. Une fois de plus. En août 2016, elle avait déjà subi le même sort. Il faut dire que ses enquêtes fouillées sur les violences commises par le régime de Joseph Kabila, notamment à l’encontre des opposants politiques et des mouvements de citoyens, ne sont pas du goût du régime… À Kinshasa, on pointe du doigt le manque d’attention de Kalev Mutond, le patron de l’ANR, sur un dossier qui ne contribue pas – loin s’en faut – à redorer l’image du pouvoir en place.
Depuis son expulsion du Congo en août dernier, Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch, séjourne la plupart du temps en Belgique, entre deux déplacements à l’étranger. Pour des raisons professionnelles, cette citoyenne américaine doit se rendre durant ce mois de janvier au Rwanda. Elle profite de l’occasion pour tenter sa chance auprès de l’Ambassade du Congo en Belgique. Elle redemande donc un visa pour pouvoir de nouveau entrer sur le territoire congolais. L’accord signé entre la MP et le Rassemblement le 31 décembre 2016 et les mesures de décrispation politique qu’il contient lui laissent en effet penser qu’elle pourrait avoir une chance, même minime, de l’obtenir. Quelques jours plus tard, à sa grande surprise, les services diplomatiques de l’Ambassade du Congo en Belgique lui délivrent le précieux sésame : un visa de trois mois.
Manifestement soulagée et ravie de retrouver son pays d’adoption, Ida Sawyer se fend alors d’une déclaration : « je suis très heureuse d’être de retour en RD Congo, après une longue période d’absence due à l’annulation, puis au renouvellement de mon visa. Alors qu’il m’a été de nouveau permis de séjourner en RDC, j’espère que ceci reflète un effort plus large du gouvernement pour respecter les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifiques et que les autres activistes des droits humains seront libres de faire leur travail sans entraves. » La réalité, comme le démontre la suite de l’histoire, sera tout autre.
Ce vendredi 20 janvier, depuis le Rwanda voisin où elle s’est d’abord rendue, Ida Sawyer passe la frontière en toute quiétude pour rejoindre Goma, la capitale du Nord-Kivu. En règle sur le plan administratif, elle ne se cache pas. Elle en profite même pour signaler sa présence sur Twitter. Mais la situation ne tarde pas à se gâter… Alerté, Kalev Mutond, le patron de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR), d’habitude très vigilant sur ce genre de cas, est furieux. L’homme, qui décide de qui rentre et qui sort du territoire, a manqué de vigilance en l’espèce.
Décrispation ou non?
L’affaire ne tarde pas à être un nouveau chiffon rouge au sein de la Majorité Présidentielle (MP), où les tensions sont vives sous fond de course au leadership dans la perspective de l’après-Kabila. Emmanuel Ramazani Shadary, le nouveau ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre, déclare devant la commission « décrispation politique » mise sur pied pour mettre en œuvre cette partie de l’accord de la Saint-Sylvestre, que le retour d’Ida Sawyer au Congo s’inscrit dans le cadre des mesures de décrispation politique. Des propos publiquement démentis par Lambert Mende, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, qui affirme de son côté qu’Ida Sawyer est toujours persona non grata en RDC. Et un nouveau couac, un de plus, au sein de la MP qui a tendance depuis le début du mois à les accumuler !
« Dans cette histoire, le fautif c’est Kalev. C’est lui qui a imposé cette procédure informelle de délivrance des visas en vertu de laquelle il décide réellement – lui et lui seul – de qui doit ou non pénétrer sur le territoire national« , indique un proche du ministre de l’Intérieur. En off, notre interlocuteur raille la propension du patron de l’ANR à vouloir tout contrôler « alors qu’il passe le plus clair de son temps à créer des preuves fantaisistes dans tout un tas de dossiers. »
Expulsion rapide
Samedi 21 janvier au matin, Ida Sawyer, qui séjourne au Lac Kivu Lodge, est convoquée séance tenante d’abord à 9h00, puis finalement à 11h00 (heure locale), à la Direction Générale des Migrations de Goma. Elle est sous la menace d’une annulation de son visa. Dans l’intervalle, des mesures disciplinaires sont prises à l’égard des agents défaillants (« des lampistes », selon les termes d’un de leur collègue de travail). Quatre personnes rattachées à la DGM « grande barrière » sont suspendues de leurs fonctions, dont la cheffe de poste, Gertrude Kamara, son adjoint Changwi Muhindo Demou, ainsi que John Kabala. Finalement, à midi, à l’issue de son rendez-vous, le directeur provincial de la DGM ordonne à Ida Sawyer de boucler ses valises. Son visa est annulé. Des agents de la Direction la raccompagneront à la frontière. « Le pouvoir cherche à éloigner un témoin gênant », constate avec amertume le responsable d’une ONG congolaise des droits de l’Homme.
Dans l’après-midi, Ida Sawyer est effectivement expulsée du territoire congolais. « Le fait de (lui) délivrer un visa un jour et de le révoquer quinze jours plus tard remet en question l’engagement du gouvernement congolais à inverser le climat de répression qui règne dans le pays« , déclare dans la foulée Kenneth Roth, le directeur exécutif de Human Rights Watch. Peu de temps après, les quatre agents de la DGM de Goma seront eux révoqués sans ménagement. « Une décision injuste », déplore une source administrative, qui pointe du doigt la responsabilité de ceux qui ont autorité pour délivrer les visas. « Nos collègues de Goma n’ont fait qu’appliquer le droit. Ida Sawyer était parfaitement en règle quand elle a pénétré sur le territoire national. Dans cette histoire, ils ne sont que des boucs émissaires. Les véritables responsables sont à rechercher du côté de l’ANR, à commencer par Kalev lui-même« , peste-t-il.
En RDC, la Majorité Présidentielle traine les pieds pour respecter ses engagements pris dans le cadre de l’accord signé le 31 décembre 2016 avec le Rassemblement de l’opposition. Les mesures de décrispation politique, en particulier, se font toujours attendre. De ce point de vue, l’expulsion d’Ida Sawyer est un très mauvais signal adressé par le régime de Joseph Kabila tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.