RDC : exilé, Moïse Katumbi continue de croire en l’alternance


Lecture 6 min.
arton58885

Un an après un procès qui tient plus de la farce que de la justice, l’opposant numéro un au régime congolais, interdit de territoire et victime d’une campagne de déstabilisation, milite plus que jamais pour une République « démocratique » du Congo. Il garde l’espoir d’une alternance politique à son profit.

Dans une vidéo publiée sur YouTube il y a quelques jours, le député de l’opposition Antoine Kyungu wa Kumwanza est revenu sur une polémique qui agite le cénacle politique à Kinshasa depuis quelque temps déjà. Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga et opposant numéro un au chef de l’Etat, Joseph Kabila, est accusé par ce dernier d’usurpation de nationalité, ce qui l’empêcherait de pouvoir prétendre au fauteuil de président. Tissu de mensonges pour M. Kyungu wa Kumwanza, qui se demande logiquement comment il serait devenu député au niveau national et gouverneur au niveau régional, s’il n’était pas Congolais.

Le « débat » sur la nationalité de Moïse Katumbi pourrait prêter à rire s’il ne faisait partie d’une entreprise de déstabilisation violente de la part du pouvoir en place. En prenant fait et cause pour Moïse Katumbi, accusé de tous les maux du pays par l’exécutif, Antoine Kyungu wa Kumwanza en a d’ailleurs profité pour adresser indirectement à Joseph Kabila des remontrances sur sa pratique du pouvoir. Légèrement autocratique ? Le terme peut sembler faible. Celui-ci, à la tête de la RDC depuis 2001, n’hésite par exemple pas à mêler justice et politique pour tenir éloigné de la vie publique un opposant. En ligne de mire, ce n’est un secret pour personne : l’élection présidentielle qui doit se tenir à la fin de l’année.

« Manoeuvres pour fragiliser l’adversaire »

C’est, semble-t-il, à travers ce double prisme, justice et politique, qu’il faut étudier la condamnation de Moïse Katumbi, en juin 2016, à trois ans de prison, dans une affaire de spoliation immobilière qui tient davantage de la machination politique que de la justice impartiale. La juge du Tribunal de paix de Lubumbashi Kamalondo, Ramazani Wazuri, qui avait prononcé la sentence à l’encontre de l’ancien gouverneur du Katanga, s’était d’ailleurs déjugée quelque temps après. Dans un courrier adressé au ministre de la Justice, signé et daté du 23 juillet dernier, elle déclarait ne pas supporter voir un innocent condamné ; selon elle, le verdict était « une œuvre de la haute hiérarchie ». « J’ai été menacée de révocation et d’emprisonnement » avait-elle écrit par ailleurs, avant d’affirmer que « sur instruction de la hiérarchie, le fond de la cause n’a jamais été examiné juridiquement. »

Si certains ont émis des doutes sur la véracité de ses propos, le frère de Moïse Katumbi avait surpris en déclarant, peu après le procès, être le propriétaire du bâtiment objet de la condamnation, renforçant par-là même la thèse de la machination politique. Raphaël Katebe Katoto avait en effet dénoncé « un procès bidon où l’on sent que la main du pouvoir est derrière » et rappelé que lui aussi avait été victime d’une manipulation politico-judiciaire dans le passé. Selon lui, l’affaire immobilière n’était que « manœuvres pour fragiliser l’adversaire ».

« Une alternance pacifique »

Un acharnement contre M. Katumbi perçu par le plus grand nombre comme la preuve que Joseph Kabila craint de perdre son poste après la présidentielle. Cela fait des années que l’opposant numéro un au régime de Kinshasa réclame « une alternance pacifique », notamment après les résultats contestés des élections de 2006 et 2011. Et qui d’autre pour incarner ce vent du changement que l’ex-gouverneur du Katanga, qui détient le titre officieux de « député le mieux élu » de RDC ? Après tout, il a toutes les armes pour : l’argent – il a réussi dans le transport et dans la mine –, l’expérience et, surtout, la popularité, dans la région du Katanga, mais pas seulement.

Lorsqu’il annonce sa participation à l’élection présidentielle en mai 2016, les témoignages de soutien affluent d’un peu partout dans le pays. Moïse Katumbi est pour certains « un élu de Dieu », pour d’autres « un don du Seigneur » et « celui qui a fait disparaître la poussière ». De telles marques de sympathie ont vite fait d’agacer le pouvoir en place, qui a reculé le scrutin d’un an et tout fait pour mettre des bâtons dans les roues de l’opposant. La décision de justice dans l’affaire immobilière, étonnamment, est tombée peu de temps après sa déclaration de candidature et l’excuse donnée par l’actuel président, selon laquelle celui-ci ne dispose pas des fonds nécessaires pour mettre en place ces élections ne tient pas au regard des sommes astronomiques qu’il dépense en lobbying à Washington (5,6 millions de dollars viennent ainsi d’être déboursés). Mais pour quel profit?

Le pouvoir en place a « perdu la tête »

Depuis près d’un an, « l’homme le plus craint » de Joseph Kabila est carrément interdit d’entrée sur le territoire national, sous peine d’emprisonnement. Pour ses partisans, cet exil forcé n’a qu’un seul but : l’éloigner des électeurs congolais en le rendant inaudible au pays depuis l’étranger. Pourtant, entre Paris et Londres – et même Bordeaux, en avril dernier, à l’occasion des Journées nationales des diasporas africaines (JNDA) –, Moïse Katumbi continue de croire en l’alternance politique dans son pays. Et d’appeler à des manifestations pacifiques, alors que le pouvoir en place avait réprimé dans le sang un attroupement d’opposants, fin 2016, peu après que Joseph Kabila avait annoncé le report de la présidentielle. A la présence physique dans le pays, Moïse Katumbi substitue une forte présence sur les réseaux sociaux, fruit d’une action de communication cohérente, concertée et massive.

« Avant, déclare-t-il au « Monde » lors des JNDA, nous n’appelions pas les Congolais à manifester, car le président Kabila avait une légitimité. Or il n’a pas appliqué l’accord de la Saint-Sylvestre [qui instaure le principe de la cogestion du pays jusqu’à l’élection]. Aujourd’hui, il n’a plus de légitimité [et] refuse de quitter le pouvoir. »

A la place, il tente donc par tous les moyens de déstabiliser celui qui pourrait lui succéder. Car pour Antoine Kyungu wa Kumwanza, il s’agit très clairement d’une campagne anti-Katumbi de la part d’un pouvoir qui a « perdu la tête ». Et le député de s’interroger à nouveau, non sans malice : si Moïse Katumbi rentre au pays et se fait arrêter, le président Kabila emprisonnera-t-il également ses dizaines de milliers de sympathisants ?

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News