Le sphinx est mort ce soir. Etienne Tshisekedi, figure emblématique de la vie politique RD congolaise depuis l’indépendance, s’est éteint ce mercredi 1er février à Bruxelles, à la clinique Sainte-Elisabeth, emporté par une embolie pulmonaire à l’âge de 84 ans. Mardi dernier, il avait quitté Kinshasa en avion privé (non médicalisé) pour se rendre dans la capitale belge. Le « Sphinx de Limete », connu pour son intransigeance, ne verra donc pas son pays parvenir à l’alternance démocratique pour laquelle il se sera battu jusqu’au bout.
Etienne Tshisekedi est mort hier à Bruxelles. Cette nouvelle, si elle a profondément affecté ses proches, ne les a guère surpris. Depuis plusieurs années, la santé de cette figure marquante de la vie politique RD congolaise était vacillante. Mais même fatigué, il a entendu mener son combat jusqu’au bout. « Pour Tshisekedi, la politique, c’était la vie », confie l’un de ses vieux compagnons de lutte.
Ce jeune Luba, né en 1932 à Kananga au Kasaï occidental, est, au début de sa carrière, un compagnon de route du dictateur Mobutu. En 1960, il accepte d’entrer dans le collège des commissaires généraux mis en place pour écarter le gouvernement de Patrice Lumumba. En 1965, Etienne Tshisekedi devient ministre de l’Intérieur, puis de la Justice.
A 48 ans, il débute une carrière d’opposant
En décembre 1980, virage à 180 degré. A 48 ans, Tshisekedi se lance dans une nouvelle carrière : celle d’opposant irréductible, incorruptible, intransigeant, voire… irascible. C’est le début d’un long combat politique, durant lequel il bénéficiera en toute circonstance du soutien de son épouse Marthe, et de la construction de sa légende. En 1982, il créé l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), un parti très influent dans les deux Kasaï et auprès de la jeunesse de Kinshasa avant d’atteindre une audience nationale. En août 1992, suite à la Conférence nationale souveraine, Etienne Tshisekedi est élu Premier ministre de Mobutu. Mais la cohabitation ne dure que sept mois. Il ne peut y avoir en effet deux crocodiles dans le même marigot…
Incorruptible, irascible et populaire
En juillet 2006, Etienne Tshisekedi boycotte les premières élections pluralistes organisées en RDC depuis 1965. Le 28 novembre 2011, lors du premier tour de la présidentielle, des millions de Congolais lui apportent leurs suffrages. Officiellement, Joseph Kabila l’emporte avec 48,9 % contre 32,3 % pour le « Lider Maximo », son autre surnom. Des résultats fortement sujets à caution. En juillet 2016, il était revenu à Kinshasa après une longue absence. Des centaines de milliers de Congolais étaient alors venus l’ovationner. Etienne Tshisekedi disparait ce 1er février 2017, au moment critique où l’opposition négocie une transition délicate avec le pouvoir en place à Kinshasa.
Concert de louanges et hommages dithyrambiques
De part et d’autre de l’échiquier politique RD congolais, les hommages ont été quasi-unanimes et dithyrambiques. « Nous venons de perdre l’une des figures les plus marquantes de l’Histoire de notre pays », a indiqué Moïse Katumbi dans un communiqué, avant de préciser : « je perds un modèle dans la lutte pour la démocratie et l’Etat de droit ». Dans la foulée, son principal conseiller, Salomon Kalonda, a déclaré : « Ya Tshitshi a donné sa vie pour la démocratie. C’est une immense perte pour nous tous. C’est en instaurant l’Etat de droit que la RDC lui rendra hommage ». Martin Fayulu, l’une des figures de la Dynamique de l’opposition, a, de son côté, indiqué sur son compte Twitter que la mort d’Etienne Tshisekedi « laiss(ait) un grand vide mais qu’il demeurera(it) pour toujours un exemple du don de soi au service de son pays ». « Il incarne encore aujourd’hui la lutte pour une réelle démocratie et un véritable Etat de droit », a souligné Albert Moleka qui fut son directeur de cabinet.
Dans ce concert de louanges unanimes, certaines figurent de la majorité présidentielle sont venues joindre leurs voix à celle de l’opposition. Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, a indiqué sur compte Twitter qu’« un baobab (venait) de tomber et qu’Etienne Tshisekedi (demeurerait) une icône ». Leonard She Okitundu, le ministre des Affaires étrangères, a, lui, déclaré : « Etienne Tshisekedi était devenu un mythe ». Pour Evariste Boshab, l’ex-ministre de l’Intérieur, le Sphinx de Limete, « figure de proue de la vie politique congolaise, mérite la considération de tous ». Quant à Henry Mova, le secrétaire général du PPRD, « la mort d’Etienne Tshisekedi est une très grande perte pour la nation congolaise ».
Et maintenant ?
« C’est avec consternation que nous avons appris cette nouvelle. C’est arrivé à un très mauvais moment », a indiqué l’abbé Donatien Nshole, le secrétaire général adjoint de la Cenco. Et pour cause, le décès d’Etienne Tshisekedi complique la donne politique au sein de l’opposition RD congolaise, alors que la mise en œuvre de l’accord de la Saint Sylvestre se fait toujours attendre du fait des manœuvres dilatoires des proches de Joseph Kabila.
Il oblige tout d’abord à une redistribution des cartes au sein de l’UDPS, au siège duquel s’est tenue cet après-midi une réunion de crise en la présence de Félix Tshisekedi, Jean-Marc Kabund, Bruno Thsibala, etc. Objectif : éviter l’éclatement d’un parti dont le véritable ciment était le défunt président. Qui, par ailleurs, pour succéder à Etienne Tshisekedi au poste de président du Conseil national de suivi de l’accord (CNSA) ? Et qui, également, pour prendre sa suite comme leader naturel de l’opposition ? « Moïse Katumbi, qui jouit d’une forte popularité et dont la candidature à l’élection présidentielle est soutenue par le Rassemblement de l’opposition, est le mieux placé », fait observer un professeur de sciences politiques de l’UniKin.
En attendant, deux thèses s’affrontent chez les observateurs de la vie politique kinoise. Pour certains, le décès d’Etienne Tshisekedi provoquera un électrochoc, un sursaut national, propice à la mise en œuvre de l’accord politique du 31 décembre 2016. Pour d’autres, à l’inverse, Joseph en ressort conforté dans sa stratégie consistant à jouer la montre afin de repousser le plus loin possible la date de l’élection présidentielle. De quel côté penchera la balance ? Bien malin qui pourrait le prévoir.
Le Sphinx est mort ce soir. Il ne renaîtra plus de ses cendres. Mais son mythe demeurera sans doute vivant encore longtemps. Pour beaucoup de Congolais, il restera dans l’Histoire comme l’éternel opposant, celui qui savait dire « non » dans un pays où beaucoup finissent par succomber aux tentations du pouvoir.