Devant le juge ce mardi, l’ancien ministre congolais de la Santé, Eteni Longondo, arrêté il y a quelques jours, a clamé son innocence et demandé une mise en liberté provisoire. Que va décider la justice congolaise ?
Mis aux arrêts depuis vendredi pour détournements présumés de fonds destinés à la riposte contre le Covid-19, l’ancien ministre congolais de la Santé, Dr Eteni Longondo, était devant le juge, ce mardi. L’information a été confirmée à l’AFP par Me Hugues Pulusi Eka, l’un de ses avocats. Eteni Longondo « a comparu cet après-midi en chambre de conseil devant le tribunal de grande instance de Kinshasa Gombe, où il a sollicité sa mise en liberté provisoire. L’affaire a été mise en délibéré », a déclaré l’avocat.
Puis il poursuit : « Notre client a clamé son innocence, nous avons présenté les pièces justificatives que réclamaient les juges et il n’y a pas d’indices sérieux de culpabilité ».
Conformément aux dispositions légales en vigueur en RDC, toute personne placée sous mandat d’arrêt provisoire doit être présentée devant la chambre de conseil afin qu’un juge compétent statue sur sa détention préventive. C’est ce qui s’est passé hier avec l’ancien ministre de la Santé.
Un os en travers de la gorge du régime de Kinshasa ?
Si l’arrestation de ce gros ponte de l’UDPS, parti présidentiel, a surpris plus d’un y compris les proches du Président Félix Tshisekedi, pour Florimond Muteba, président du conseil d’administration de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP), elle constitue un bon signe pour la justice et l’État de droit au Congo. « Il y a certainement eu des indices sérieux de culpabilité relevés par l’IGF qui ont fait qu’on puisse interpeller Eteni Longondo », a-t-il déclaré.
« Alors qu’il était encore en fonction, le rapport était déjà fait au sujet de sa gestion des fonds Covid-19. C’est un bon signe, surtout qu’il est de l’UDPS. Parce que jusque-là, on accusait l’IGF de faire la chasse aux anciens membres du régime Kabila. C’est un signe d’une justice et d’un contrôle équitables à tous. J’encourage la traque des détourneurs, pilleurs et corrompus », a poursuivi le président du conseil d’administration de l’Observatoire de la dépense publique.
Ce dossier constitue un véritable casse-tête pour le pouvoir de Kinshasa puisqu’il s’agit quand même de Eteni Longondo, un des plus hauts cadres de l’UDPS, et qui a dans sa gibecière un titre de secrétaire général adjoint de la formation politique. Mais un responsable qui semble bien mouillé dans ce dossier qui a commencé par faire des vagues depuis juin 2020, dès les débuts de la crise sanitaire liée au Covid-19 dans le pays.
Reconstitution des faits
Tout a commencé avec la fuite, début juillet, sur les réseaux sociaux d’un mémorandum confidentiel adressé par le vice-ministre de la Santé, Albert M’peti Biyombo, au Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Dans ce document, Albert M’peti Biyombo avait accusé son supérieur hiérarchique de faits graves de détournements des fonds destinés à la lutte contre le Covid-19. Alors qu’il est attendu pour réagir vivement, produire les preuves irréfutables de son innocence, Eteni Longondo se contente de porter plainte contre X, alors que son accusateur a un nom et n’est pas n’importe qui dans l’appareillage du ministère dont il avait la charge : c’était son adjoint direct.
Sur ce coup, Eteni Longondo n’avait pas convaincu. Mieux, il affirmait à l’époque n’avoir géré que 3 millions USD dans le cadre de la riposte contre le Coronavirus, alors que le gouvernement dont il faisait partie avait annoncé avoir débloqué 27 millions USD depuis le déclenchement de l’épidémie dans le pays. L’atmosphère de suspicions installée dans le pays par cette affaire a amené le Président Tshisekedi à dépêcher l’Inspection générale des finances (IGF) au ministère de la Santé pour auditer la gestion des fonds du Covid-19.
Le rapport d’étape de l’institution rendu public à la mi-août 2020 était sans appel : « L’Inspection générale des finances a trouvé des faits de mégestion caractérisée. Et nous avons déjà saisi la justice de la République auprès de qui nous avons transféré les dossiers pour une prise en charge », avait alors confié à la presse, Jules Alingete, l’Inspecteur général des finances, avant de poursuivre : « Nous espérons que dans les prochains jours, la justice de notre pays pourra interpeller les personnes impliquées dans cette mégestion constatée et déplorée ».
Eteni Longondo se retrouvait sous l’eau, complètement noyé par les faits, surtout que là encore, il n’a pu produire aucune pièce justificative des 3 millions de dollars qu’il avait lui-même reconnu avoir gérés. Il avait déclaré que « ces pièces étaient en plein processus de vérification par ses services », au moment du contrôle de l’IGF. Au cours d’une sortie médiatique tenue, le 25 août 2020, soit près de deux semaines après la publication du rapport de l’IGF, le ministre de la Santé se contentait toujours de déclarer: « Il n’y a jamais eu un détournement de fonds Covid-19 au ministère de la Santé. Je le dis et je le confirme tout haut ». Toujours sans brandir la moindre preuve.
Au cours de cette conférence de presse, le premier responsable de la santé en RDC avait au moins reconnu que le ministre des Finances avait ordonné, « par mégarde, un double décaissement de fonds de prime des agents commis au secrétariat du comité multisectoriel de lutte contre le Coronavirus ». Mais il avait également précisé que, depuis le 9 juillet 2020, le ministre des Finances avait notifié à la Banque centrale congolaise le reversement au Trésor public de la somme de 119 938 000 CDF, et attendait que la banque lui communique le compte sur lequel l’argent sera reversé. Cette somme a été restituée au Trésor public congolais en novembre 2020.
Pendant que ces affaires de détournements défrayaient la chronique, des membres du personnel soignant demandaient la démission du ministre visé, ce qu’ils n’avaient pas obtenu à l’époque. En dépit de tous ces éléments qui l’accablent, l’ancien ministre et ses avocats clament son innocence et ne voient aucun indice sérieux de culpabilité. D’où la question de savoir si la justice accèderait à la requête de mise en liberté provisoire introduite par les avocats. Tous les regards sont fixés sur cette justice pour la suite qui sera donnée à ce dossier.
Pour l’instant, Eteni Longondo partage la même prison centrale de Makala qu’un certain Vital Kamerhe à qui toute demande de mise en liberté provisoire a été systématique refusée depuis avril 2020. Ce qui été refusé à un détenu dont il est difficile de justifier le maintien en détention pourra-t-il être accordé à un autre accablé par de proches collaborateurs ?
Affaire à suivre.