Le facilitateur du dialogue congolais, Edem Kodjo, a annoncé lundi 11 avril la convocation du dialogue d’ici la fin de la semaine. Un dialogue qu’il souhaite « inclusif » mais qui pourrait rapidement tourner à un tête-à-tête entre le pouvoir et l’UDPS, qui a accepté d’y prendre part. A Kinshasa comme ailleurs en RDC, beaucoup redoutent ce dialogue qu’ils estiment faussé, en raison notamment des liens qui unissent indirectement le médiateur de l’Union Africaine au Président Kabila.
D’emblée, Edem Kodjo a tenté de se montrer rassurant. L’ancien Premier ministre du Togo a annoncé, hier lundi 11 avril, le lancement du dialogue congolaisd’ici la fin de la semaine. « Il n’y a pas de choses impossibles pour les hommes de bonne volonté », a-t-il déclaré devant un parterre de journalistes réunis pour l’occasion à Kinshasa. La durée d’un tel dialogue ? Deux semaines mais peut-être plus, a-t-il indiqué.
Le « facilitateur » pense pouvoir commencer avec ceux qui seront disponibles et tous ceux qui le souhaitent pourront prendre les discussions en cours de route. Pas sûr, toutefois, que ce dialogue ne vire pas au tête à tête entre le pouvoir et l’UDPS. En effet, le reste de l’opposition (G7, Dynamique de l’opposition…) est fermement contre l’idée d’un dialogue qu’elle qualifie de « distraction ». Quant à la société civile, au premier rang de laquelle figurent les mouvements citoyens comme Filimbi et Lucha, n’en parlons même pas. « Pourquoi vouloir participer à une telle mascarade dont l’objectif est de violer purement et simplement la Constitution », déclare Rose, une militante de la Lucha. De son côté, Floribert Anzuluni, coordonnateur du Front citoyen 2016, qui se bat pour que l’élection présidentielle puisse se tenir dans les délais constitutionnels, a reconnu une nette « différence de stratégie » avec le parti d’Etienne Tshisekedi.
La caution de l’UDPS
Du coup, la rue congolaise s’interroge sur les raisons de la participation de l’UDPS à un tel processus, ardemment souhaité par le Président Kabila et son entourage. « Aujourd’hui, nous avons dans l’opposition un soutien ferme de l’UDPS et je saisis cette occasion pour remercier chaleureusement le président Tshisekedi et tout son entourage pour avoir permis l’organisation du dialogue », a lancé un Edem Kodjo – visiblement soulagé – aux journalistes. « Une caution utile », tranche un militant de l’UNC, dont le parti a fermement refusé de prendre part à ce qu’il qualifie de « trahison ».
Dialogue inclusif ou « deal » politique ?
Officiellement, l’UDPS demeure sceptique à l’égard de la nomination d’Edem Kodjo comme facilitateur. Le parti ne ferme pas la porte aux négociations, à condition que les parties s’engagent, d’ici au 24 avril, à respecter strictement la Constitution. Mais en off, les langues se délient dans les rangs mêmes du parti de Tshisekedi. « Pourquoi accepter un tel processus, rejeté par une majorité de Congolais. J’ai l’impression de trahir le peuple », déclare, dépité, Lucien, fier Kasaïen et militant de longue date de l’UDPS. « Etienne Tshisekedi a-t-il seulement conscience de ce qu’on lui fait faire ? Je suis furieux contre son entourage. Ce sont eux, j’en suis sûre, qui ont tout manigancé », déclare Eve, une autre sympathisante, originaire de Makala, l’une des 24 communes de Kinshasa.
Rencontre secrète en France
Félix Tshisekedi est particulièrement visé par ces soupçons de double jeu. Comme l’a révélé il y a quelques jours le site d’information congolais www.rdc-news.com, son jeune frère Christian Tshisekedi, accompagné d’un ami de son père, M. Tendai, auraient pris part, vendredi dernier en France, à une rencontre avec une délégation du Président Kabila, conduite par le propre directeur de cabinet du chef de l’Etat congolais,Néhémie Mwilanya,et le président de la FEC, Albert Yuma. L’objectif : calibrer la participation de l’UDPS au dialogue pour lui permettre de tirer les marrons du feu. A l’issue de cette réunion, censée demeurer confidentielle, un accord aurait été signé par les parties prenantes, bien que celles représentant l’UDPS, certes titulaires d’un mandat d’Etienne Tshisekedi,n’avaient pas qualité pour engager le parti. Dans les rangs de ce dernier, on évoque à bas bruit l’existence de ce « deal » sur le partage du pouvoir entre l’UDPS et la Majorité Parlementaire dans le cadre d’une Transition dont la durée serait de deux à trois ans. De quoi donner du grain à moudre à ceux, nombreux, qui déplorent la prise en otage du père, Etienne, par la famille (les enfants, la femme, les neveux, les amis, etc.). « La caution de l’UDPS à un prix, Kabila est visiblement prêt à le payer », analyse pudiquement un politologue congolais…
Doute sur la neutralité du médiateur
Au-delà de l’attitude de l’UDPS, qui ne laisse de surprendre, les inquiétudes sont vives quant à l’issue du dialogue en raison de la neutralité « douteuse » du facilitateur nommé par l’Union Africaine. « Le problème qu’il y a aujourd’hui dans le pays, c’est qu’il y a le délai constitutionnel, qu’il faut respecter. Il y a aussi le problème que tous les jours qui passent sont des jours qui ne permettent pas de dire que nous allons respecter ce délai », a indiqué Edem Kodjo lors de sa conférence de presse. Pas sûr que ces déclarations soient de nature à rassurer les tenants de la ligne du respect strict de la Constitution…
Autre élément troublant : la lettre de nomination d’Edem Kodjo par l’Union Africaine ne fait pas mention de la Résolution 2277de l’ONU qui appelle à la tenue des élections – en particulier de la présidentielle – dans les délais prescrits par la Constitution. « Ce point a été clairement posé à Kojdo », affirme sous couvert d’anonymat un des leaders de l’UDPS qui rejette, lui, le dialogue. « Kodjo nous a rétorqué qu’il n’a pas été tenu compte de la résolution de l’ONU car celle-ci est postérieure à sa nomination en qualité de médiateur ». Un argument peu convaincant, avoue-t-il.
La famille Zuma impliquée
Enfin – et surtout –, les liens de grande proximité qu’entretiennent les familles Kabila et Zuma sont évoqués pour rejeter ce dialogue, aux dés manifestement pipés. En effet, les relations entre le Président congolais et son homologue sud-africain sont, de notoriété, très étroites. Peut-être un peu trop d’ailleurs. Comme le révèle l’affaire des Panama Papers, le neveu du Président Zuma, Clive Zuma, en a bénéficié pour obtenir au Congo des permis d’exploitation dans les secteurs pétrolier et minier. Par ailleurs, les sociétés sud-africaines, qui ont remporté de juteux marchés autour du méga-projet de barrage d’Inga, sont lourdement soupçonnées d’avoir bénéficié de l’appui du Président Kabila. Or, rappelle un député influent de l’UDPS, « la présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma, est l’ex-femme du Président Jacob Zuma. Et elle n’a pas ménagé ses efforts pour mettre en place cette médiation sous la responsabilité d’Edem Kodjo. Pourquoi ? », s’interroge-t-il.
« En réalité, Mme Zuma a fait nommer Edem Kodjo pour sauver les intérêts du clan Kabila et, par la même occasion, ceux de sa famille », indique notre source. « Or, plus longtemps Kabila restera au pouvoir, mieux les intérêts des Zuma au Congo seront préservés ». Pour le président sud-africain, empêtré dans de multiples scandales, cette nouvelle affaire congolaise serait-elle celle de trop ?